Roubina Jadoo-Jaunbocus :« L’enfant doit être mis devant ses responsabilités »

La violence domestique n’est pas uniquement le problème du gouvernement ou de la police, mais aussi celui de la société, insiste l’ancienne ministre de l’Égalité des Genres, Roubina Jadoo-Jaunbocus. Elle préconise, dans l’entretien qui suit, une approche holistique pour régler ce problème, tout en louant le travail abattu par son successeur. La députée du MSM salue aussi le « Children’s Bill », dont elle a été la cheville ouvrière, et soutient que celui-ci a fait l’objet de diverses consultations avant qu’il ne soit rédigé…

Zahirah RADHA

 

Q: Trois femmes ont été tuées brutalement par leurs conjoints la semaine dernière. Cela vous interpelle-t-il ?

Bien sûr ! C’est très triste, d’autant qu’il y a des familles qui se déchirent et des enfants qui sont affectés puisque ces drames entraînent bien évidemment des séquelles.

Q: Quel regard portez-vous sur l’ampleur qu’a prise la violence domestique chez nous ?

Je suis avant tout une femme, une mère de famille, un légiste tout en étant aussi une députée qui a eu la chance d’être ministre. J’ai donc une réaction un peu plus prononcée puisque je connais le problème et l’ampleur qu’il prend. Je ressens donc un besoin de trouver des solutions pour y remédier. C’est vraiment très touchant de voir des cas pareils. Personne n’aimerait que ses proches ou lui-même se retrouvent dans une telle situation.

Q : La violence domestique relève-t-elle plus d’un problème social ou juridique à Maurice ?

Je dirais plutôt que c’est un mélange des deux. Normalement, quand une victime de la violence domestique, qu’il soit femme ou homme, sollicite de l’aide, elle se tourne soit vers la police soit vers la cour pour obtenir un « protection order ».  Et s’il y a un « breach » de celui-ci, la police devra arrêter le conjoint violent et le traduire en cour. Or très souvent, au sein des familles mauriciennes, les victimes enclenchent les démarches mais elles se rétractent ensuite pour des raisons sociales, le qu’en-dira-t-on, ou peut-être parce qu’elles sont découragées – et c’est chagrinant – car elles sont confrontées à certaines réactions négatives quand elles se rendent au poste de police pour chercher de l’aide. On ne peut donc pas catégoriser le problème comme étant simplement juridique ou simplement social.

Q: Êtes-vous satisfaite des actions prises, ou pas, par le ministère que vous avez occupé pendant huit mois en ce qu’il s’agit de ce problème alarmant ?

Il y a eu beaucoup d’efforts qui ont été faits, dont un amendement à la loi. Cependant, j’ai toujours dit, et je le maintiens, que le durcissement de la loi n’est pas la solution. Il faut une approche plus holistique, à commencer par le respect de la femme, la reconnaissance de sa contribution au sein du foyer et le partage des responsabilités de l’enfant entre autres.

La violence domestique est un problème de société que celle-ci n’arrive pas à résoudre. De nos jours, chacun est centré sur soi-même. Ce qui aggrave le problème. Auparavant, la victime pouvait se tourner vers la famille ou la société pour avoir un soutien. C’est une des raisons pour laquelle, quand j’étais ministre, je m’étais tournée vers des associations socio-culturelles pour solliciter leur aide en termes de soutien, de sensibilisation et d’éducation.

J’avais aussi demandé à ce que les jeunes soient formés aux devoirs et aux obligations du mariage, soit le « premarital counselling », avant qu’ils ne se marient. Car la violence domestique résulte aussi d’un échec du mariage et des responsabilités. D’où l’appel que j’avais lancé aux associations socio-culturelles et auquel beaucoup d’entre elles avaient répondu présentes, dont la Jummah Masjid et l’Arya Sabha. Je suis sûre que le travail se poursuit.

Q : Où se situe donc la responsabilité de l’État pour contrer ce phénomène ?

L’État a évidemment un grand rôle à jouer que ce soit en termes du maintien du ‘law and order’ ou du bien-être de la famille et de l’enfant. Raison pour laquelle le ministère de l’Égalité des Genres a pris les devants pour travailler avec la société et des organisations pour éduquer et soutenir des personnes vulnérables.

Mais je le répète : la violence domestique n’est pas uniquement un problème du gouvernement ou de la police. C’est une bataille qui nécessite l’effort de tout un chacun. C’est pour cela que j’avais toujours demandé à la presse de nous aider pour sensibiliser, prévenir et dénoncer les cas de maltraitances envers les femmes. Si on avait travaillé de concert avec la presse, on aurait pu « go a long way ». Il faut aussi mettre l’accent sur les mesures de préventions au lieu d’être « reactive ».

Q: Ne fallait-il pas qu’il y ait une structure qui regroupe toutes les unités concernées par la violence domestique afin d’aider les victimes pour que ce qui s’est passé avec Shabneez Mohamud ne se répète pas? 

Il y a des officiers qui ont été formés spécifiquement pour donner une assistance immédiate aux victimes de violences domestiques. Mais bien sûr, il y a des brebis galeuses partout, comme on l’a vu dans le cas de Shabneez Mohamud. C’est déplorable, je le dis franchement, que la police n’a pas prêté attention à deux enfants qui demandaient de l’aide. Toutefois, on ne peut pas jeter le blâme sur le ministère ou le système dans ce cas-ci. Il y avait des personnes qui étaient ‘on duty’ mais qui ont lamentablement failli à leurs responsabilités en tant des policiers d’abord, mais aussi en tant que citoyens. On ne peut pas rester insensible face à la violence. Il y a une enquête qui est en cours et des sanctions ont déjà été prises contre eux. On attend de voir la conclusion de l’enquête.

Q : En tant qu’ancienne occupante du fauteuil ministériel de l’Égalité des Genres, êtes-vous satisfaite du travail qui est actuellement abattu au sein de ce ministère ?

Ce n’est pas à moi que vous auriez dû poser la question ! Je ne suis pas là pour juger qui que ce soit. Je crois que la ministre actuelle fait un travail formidable, surtout avec les nouvelles lois qui sont apportées. Il y avait d’ailleurs eu le « Constitutional Amendment Bill » qui préconisait qu’un tiers de femmes soit représenté au Parlement, mais qui n’a malheureusement pas été voté. C’était une loi qui concernait l’« empowerment » des femmes.

Quand on parle de violence domestique, il ne faut pas oublier qu’on doit aussi aider les femmes à se mettre debout sur leurs pieds. Une des raisons pourquoi les femmes – il y a aussi des hommes mais bien moins – sont victimisées, c’est parce qu’elles n’arrivent pas à être indépendantes et craignent ainsi pour leur avenir et celui de leurs enfants. D’où le fait qu’elles subissent les coups même si elles sont battues à mort au lieu de se rendre aux ‘shelters’. C’est précisément pour cette raison qu’il nous faut donner plus de moyens aux femmes pour qu’elles soient moins vulnérables à ce genre de problème.

Q: Vous pensez que le ministère que vous avez dirigé pendant huit mois aurait pu faire mieux s’il y avait à sa tête un ministre full-time ?

La ministre est là et elle fait son travail comme il se doit pour faire bouger les choses. D’ailleurs, elle a beaucoup d’expériences dans ce qu’elle fait. Je dois aussi souligner que ce sont les officiers qui sont chargés d’implémenter les décisions prises, qu’il s’agit de l’éducation ou de la prévention. Il y a tout un personnel qui est formé pour faire ce travail.

Q: Vous avez été la cheville ouvrière du « Children’s Bill » qui doit être débattu au Parlement mardi. Comment l’accueillez-vous ?

C’est une grande avancée, voire un moment historique, pour le pays. Cette loi était grandement attendue. Pravind Jugnauth avait toujours dit que son gouvernement fera de son mieux pour que ce projet de loi soit concrétisé. D’ailleurs, quand j’avais prêté serment comme ministre, il m’avait dit que cette loi devrait être l’une de mes priorités. Il sera débattu ce mardi et espérons qu’il pourra être voté.

Q : Mais déjà, des voix discordantes se font entendre par rapport à l’âge du mariage qui n’a pas été revu. A-t-on raté le coche ?  

Je voudrais d’abord écouter les explications de ministre de tutelle avant de me prononcer sur cet aspect. Je tiens aussi à préciser qu’il y avait eu des consultations avec diverses ONG et avec toutes les parties concernées avant l’élaboration de ce projet de loi.

Q: L’âge de la responsabilité criminelle à 12 ans est également contesté. Cette clause n’est-elle pas déraisonnable ?

C’est une façon pour que les enfants ayant commis un délit prennent conscience de leurs actes. Ceci dit, l’enfant passera d’abord devant un juge et des professionnels avant qu’il ne soit jugé. Il faut savoir que le « Children’s Bill » concerne avant tout les droits de l’enfant, but with rights come responsibilities. C’est une des façons pour que l’enfant se réjouisse de son droit tout en le responsabilisant vis-à-vis de ses actions. Je ne crois pas de toute façon qu’un enfant sera envoyé en prison pour un délit mineur. Cela ne marche pas ainsi. Mais il faut que l’enfant soit mis devant ses responsabilités.

Q : Mais il y a eu des cas où des enfants se trouvant dans des ‘shelters’ ont été victimes de maltraitances. Comment donc s’attendre à ce qu’ils soient réformés alors qu’ils soient maltraités ?

Il y a eu des enquêtes sur des ‘shelters’ et des recommandations ont été faites comme la réduction du nombre d’enfants qui s’y sont réfugiés ou l’augmentation du personnel qui est attaché dans chacun de ces ‘shelters’. Ces recommandations sont en train d’être implémentées petit à petit.

L’on se souviendra que quand j’étais ministre, j’avais ordonné, après enquête, à ce qu’un ‘shelter’ soit fermé ‘overnight’ parce que des refugiés y étaient victimes de maltraitances. Bien qu’il y ait eu des critiques, une action immédiate était requise pour sécuriser les enfants. Maintenant ceux-ci sont en sécurité.

Q : Avez-vous des regrets de ne plus être ministre ?

Il ne faut pas qu’on ait des regrets dans la vie. Il faut toujours qu’on soit « in the right place ». Vous m’avez fait la remarque vous-même, je suis plus décontractée et souriante maintenant (rires).

Q : Comment se passe le travail sur le terrain ?

Mon travail se poursuit sur le terrain, bien que j’exerce aussi comme légiste. J’ai beaucoup plus de temps pour m’occuper de ma circonscription. Pas plus tard que jeudi, j’ai lancé une grande campagne de nettoyage car il faut aussi sensibiliser la population sur la nécessité de garder notre environnement propre.

Q : Les prochaines élections approchent à grands pas. Comment évaluez-vous le travail que le gouvernement a effectué durant son mandat ?

Le gouvernement a beaucoup accompli durant ce mandat. Il a d’abord fallu un certain temps pour que le gouvernement fasse un état des lieux de la situation avant d’établir son ‘masterplan’ et le mettre en pratique. Mais le pays est maintenant transformé en un grand chantier, avec les travaux du Metro Express, des flyovers, des infrastructures ou encore de la construction des bâtiments. Nous avons réalisé beaucoup de nos promesses électorales, que ce soit en termes d’emplois et de développement. Nous sommes satisfaits, mais en même temps, pour un gouvernement qui veut œuvrer pour le peuple, nous resterons sur notre faim car il nous faudra encore un mandat pour terminer le travail que nous avons commencé, comme tous les gouvernements d’ailleurs.