Saisie record de drogue à Pointe aux Canonniers : Ramifications internationales et connexions politiques avec Lakwizinn

C’est la plus grosse saisie de drogue effectuée sur le sol mauricien. 243 kilos d’héroïne et 26 kilos de haschisch estimés à Rs 3,6 milliards. A ce jour, sept suspects ont été arrêtés par l’Anti Drug and Smuggling Unit (ADSU) et l’Independent Commission Against Corruption (ICAC). Les suspects sont six membres de la famille Gurroby de Grand-Baie, et un policier, le constable Gary Kevin Jumont, affecté à la Special Supporting Unit (SSU).

Les Gurroby, Nitesh, Niresh et Ritesh, leur père, et les femmes de deux fils répondent d’une accusation provisoire de trafic de drogue et de blanchiment d’argent. Les hommes ont été maintenus en cellule policière après leur inculpation provisoire, alors que les femmes ont été relâchées sur parole, en attendant leur inculpation provisoire devant le tribunal de Mapou ce lundi. Quant au constable Jumont, il est en détention ‘In Communicado’ depuis jeudi soir, c’est-à-dire qu’il ne peut être en contact avec personne, sauf avec les officiers qui enquêtent sur cette saisie record de drogue.

Le premier suspect arrêté dans cette affaire, qui sera considéré comme témoin principal est Sewdanand Rawah, un vigile arrêté à Pointe aux Canonniers dimanche après-midi sur le terrain où la drogue a été retrouvée. Soumis à un interrogatoire serré, Rawah a expliqué aux enquêteurs qu’il était employé par Ritesh Gurroby pour assurer la surveillance sur place. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il est sollicité pour surveiller cet endroit. Face aux enquêteurs, il explique que Ritesh Gurroby est celui qui a déposé les colis de drogue en ce lieu,  trois jours avant la descente policière à Pointe aux Canonniers. Le suspect était accompagné de deux autres personnes. Depuis, Sewdanand Rawah est détenu dans un endroit bien gardé par les limiers de l’ADSU.

Ramification politique

Mais ce qui intrigue, comment les permis de pêche des Gurroby ont été renouvelés, alors qu’ils étaient en liberté conditionnelle avant dimanche dernier. En février dernier, Ritesh et Nitesh Gurroby avaient été arrêtés pour un délit de blanchiment d’argent, alors que leur frère Niresh avait pris la fuite. Ce n’est que mardi après-midi qu’il a été arrêté dans un appartement à Pointe aux Canonniers. Mais comment ont-ils pu conserver leur permis ? Y a-t-il eu des interventions de haut niveau ? C’est la question qui est sur toute les lèvres depuis l’éclatement de cette affaire. D’autant que des connexions avec Lakwizinn sont évoquées avec persistence.

Ramification internationale

D’où provient l’argent utilisé pour financer l’achat d’une telle quantité de drogue ? Selon des sources proches de la brigade anti-drogue, il s’agit de gros réseaux internationaux, qui facilitent l’entrée de drogues dans l’océan Indien, et par la suite ce sont des hors-bords qui sont utilisés pour aller les récupérer en haute mer, sur le littoral nord avant d’envahir les nombreux points de vente à travers le pays.

Les membres de la famille Gurroby font actuellement l’objet d’une enquête de blanchiment d’argent et plusieurs de leurs biens ont été placés sous scellés en attendant les conclusions de l’enquête. Au moins 10 bateaux de pêche et bateaux de loisirs ont été saisis. De gros développements sont à prévoir.  

Hors-texte 1

Maurice : une « destination populaire » pour les trafiquants de drogue

Comment autant de drogue peut-elle être en circulation alors que le pays vient tout juste de sortir du confinement ? Qu’en est-il de la surveillance des autorités ?

On se rappellera que Maurice avait été classé en première position par l’indice ENACT en 2020 en ce qui concerne le trafic de drogue synthétique dans la région de la ‘Southern African Development Community’ (SADC), et parmi les dix premiers pays du continent africain. (L’indice ENACT répertorie le crime organisé en Afrique.)

D’ailleurs, dès 2010, dans un article de Richard Chelin sur le site ENACT Observer, il avait été révélé que « Depuis des décennies, l’île Maurice est une destination populaire pour les trafiquants de drogues traditionnelles, telles que l’héroïne et le cannabis ».

Hors-texte 2

Le rapport Lam Shang Leen a-t-il été implémenté ?

Sam Lauthan, travailleur social, et qui avait siégé comme assesseur de la Commission d’enquête sur la drogue présidée par l’ex-juge Paul Lam Shang Leen, revient sur la dernière saisie de dimanche dernier. Il nous indique qu’il est difficile pour lui d’être surpris par quoi que ce soit mais que « Je suis quand même choqué de voir tous ces milliards. »

Sam Lauthan persiste et signe qu’on doit bien surveiller nos frontières. L’ancien ministre se dit convaincu des explications de l’inspecteur Bhojoo de l’ADSU, qui avait avancé que cette drogue est entrée à Maurice par la voie maritime. « Il faut maintenant qu’on ouvre les yeux. Nous avons en face de nous des gens qui sont superpuissants et qui ont beaucoup d’argent », dit-il.

 « La famille du principal suspect est dans le business de poissons. On avait parlé de ça dans notre rapport. Nous avions dit qu’il y a des personnes qui ont des permis pour approvisionner les prisons avec du poisson, qui sont proches avec certaines personnes au pouvoir, et qui sont impliqués dans le trafic de drogue », soutient Sam Lauthan.

« Comme travailleur social, étant dans ce domaine, je me pose la question que toute personne, y compris les autorités, devraient se poser : est-ce la première fois qu’on a affaire à de telles quantités de drogue ? Il faut être naïf pour croire une telle chose », dit-il.

Il revient sur la saisie de 137 kg d’héroïne dans une bonbonne de gaz au port. Selon lui, cela aurait être un « eye-opener ». Les gens, avance-t-il, devraient comprendre qu’on a affaire avec de gros trafiquants et que de grosses sommes d’argent sont en circulation. Il devait aussi  rappeler que quelque temps après, 95 kg de cocaïne avaient été retrouvés dans une tractopelle, une drogue qui coûte plus cher que l’héroïne. Le travailleur social déplore qu’on n’entend plus rien dans cette affaire, et qu’on n’a jamais su qui était derrière tout ça.

L’assesseur de la commission d’enquête sur la drogue revient sur un entretien donné par un représentant du gouvernement, qui avait déclaré que 70 % des recommandations de la commission antidrogue ont été implémentées. Or, il y a eu 450 recommandations dans le rapport, et si c’est les cas, il devrait y avoir 315 recommandations qui devraient être visibles, selon Sam Lauthan.

Il s’insurge contre le fait que 15 jours plus tard, un autre représentant du gouvernement est venu dire que 50 % des recommandations du rapport ont été implémentés. « Pendant 3 ans, je n’ai pas pu dormir avant 11 heures du soir pour finaliser le rapport de la commission antidrogue. Le rapport fait provision pour boucler la boucle partout ». Il insiste sur une implémentation du rapport à 100 % pour avoir des résultats.