Il est déçu, mais il n’a pas encore dit son dernier mot. L’avocat Sanjeev Teeluckdharry avoue sa déception de n’avoir pas pu faire sa plaidoirie dans le sillage de la « private prosecution » qu’a intentée Simla Kistnen contre Yogida Sawmynaden en cour mardi. Mais ce n’est que partie remise, promet-il, en égratignant, encore et toujours, le bureau du DPP…
Zahirah RADHA
Q : Vous semblez déçu de n’avoir pas pu faire votre plaidoirie concernant l’admissibilité de l’accusation provisoire en cour mardi. Pourquoi ?
Nous nous attendions à pouvoir réfuter les arguments que les avocats de Yogida Sawmynaden avaient évoqué durant leurs plaidoiries. Nous voulions soulever des points de droits importants en vertu de la jurisprudence. Malheureusement, le représentant du Directeur des Poursuites Publiques (DPP) est venu avec un subterfuge pour demander un renvoi des travaux. Ce n’est finalement que le 29 janvier que je pourrais leur répliquer sur les points légaux concernant la « private prosecution » par voie de « provisional charge ».
Q : Le but des Avengers n’est-il pas que l’enquête policière progresse ? Pourquoi donc parler de subterfuge ?
Oui c’est vrai. Mais il n’y avait aucune raison, selon moi, pour renvoyer les plaidoiries. Une « provisional charge » n’empêche pas à ce que l’enquête de la police et l’ICAC se poursuivent.
Q : Mais qu’est-ce qui aurait changé si vous aviez pu faire votre plaidoirie avant l’ajournement des travaux, comme vous insistiez de le faire ?
Quand un point de droit est soulevé, il incombe à la cour d’écouter les deux partis avant d’émettre un ‘ruling’. La Cour doit être indépendante, comme dans tous les pays civilisés. La perception veut que ce ne soit pas correct quand le bureau du DPP, à travers son représentant, donne une directive à la Cour pour renvoyer les travaux.
Q : Remettez-vous en cause l’indépendance du bureau du DPP ?
Nous croyons dans l’indépendance du judiciaire et nous respectons toutes les décisions de la magistrate Cassamally. Mais j’ai un point d’interrogation concernant le bureau du DPP. Quand une offense a été commise, la police doit enquêter avant d’envoyer le dossier au bureau du DPP qui décidera s’il y aura poursuite ou pas. Mais que se passe-t-il si la police n’agit pas, comme dans les cas Wakashio et Kistnen ? C’est là qu’une « private prosecution » est logée par un citoyen. Or, dans le cas Wakashio, le DPP avait dit dans un premier temps qu’il faudra respecter le « due process of the law » avant de tout arrêter en donnant la garantie qu’il prendra tout en main pour des poursuites.
Mais du 10 septembre jusqu’au 10 janvier, l’enquête est au point mort et il n’y a eu point de poursuites. Pourtant, il n’a fallu que deux semaines à mon équipe légale et moi-même pour nous entretenir avec des personnes et de rassembler des évidences « beyond reasonable doubt » pour établir un cas en Cour. Je ne le dis pas par arrogance ou fierté, mais la police n’aurait pas pu rassembler autant de preuves même si elle avait la volonté.
Le même scénario se répète avec l’affaire Kistnen. La police avait initialement refusé d’enquêter. Nous avons fait pression en logeant une « private prosecution », mais le bureau du DPP trouve maintenant qu’il y en a des défauts techniques. Ce que nous contestons. Un citoyen doit obtenir la justice à travers une « private prosecution ».
Q : Mais pourquoi avoir opté pour une « provisional charge » au lieu d’une charge formelle ?
Les avocats du DPP et de l’accusé, soit le ministre Sawmynaden, ont fait une abstraction complète sur les « powers of arrest of the citizen », dans certaines circonstances, qui existent depuis 1888. Dans l’éventualité qu’un citoyen arrête un suspect et qu’il le traduise en Cour sur la base d’une information, le mécanisme prévoit que ce dernier soit détenu soit relâché sous caution.
Puisqu’un citoyen n’a aucun moyen de s’approcher d’un magistrat, ce n’est qu’à travers un affidavit qu’il peut faire une demande pour que la Cour émette un « summons ». C’est ce qui a été fait dans le cas Kistnen. La charge provisoire s’explique par le fait qu’il nous faut donner l’opportunité à l’accusé de se défendre bien que nous ayons des évidences pour établir une offense. Ce dernier peut opter de donner sa version ou de garder son droit au silence.
Une « provisional charge » permet à ce que l’enquête se poursuive. Une « main charge », par contre, n’aurait pas été pratique. Bien que la loi ne semble pas reconnaître la « provisional charge », la jurisprudence reconnaît cette pratique, d’autant qu’il n’y a aucune loi qui stipule que seule la police peut la loger.
Q : N’est-ce pas bon signe que l’enquête respective de l’ICAC et du CCID bouge enfin ?
C’est bon que le CCID réagisse. La première fois que nous y étions rendus, on nous avait dit que la mort de Kistnen ne relevait pas d’un homicide mais d’un suicide. Il nous a fallu prendre plusieurs actions pour « fouette cheval la pou ki li galouper sinon li reste en place ». Des crimes atroces sont banalisés. J’ai dit, dès le départ, qu’il y a une mafia politico-financière qui sévit alors que mon confrère Rama Valayden a évoqué l’existence d’un escadron de la mort. Mais le CCID l’a tourné en dérision.
Il y a un manque de sérieux et de volonté de la part des institutions. Quand celles-ci échouent dans leurs responsabilités, le citoyen a alors un « residual power » pour intenter une « private prosecution ». Les autorités peuvent être en « full control » mais les citoyens détiennent, eux, le « remote control » quand il s’agit du procès au pénal.
Q : Quelle pourrait être l’issue de la « Private Prosecution » au cas où une charge formelle est logée contre le ministre Sawmynaden d’ici le 29 janvier ou dans l’éventualité qu’il sort indemne d’un éventuel interrogatoire ?
Nous ne sommes concernés que par la vérité et la justice, peu importe l’identité de l’accusé, qu’il soit ministre ou pas. Nous étions en présence de « reasonable suspicions » et des « prima facie evidences » pour une « provisional charge » dans le cadre d’une « private prosecution », nous avons donc agi selon les instructions reçues de notre cliente. Rien n’empêche à la police d’enquêter et au DPP de poursuivre par la suite.
Mais s’ils ne le font pas, on pourra toujours faire éclater la vérité par voie de « private prosecution ». La justice n’est pas dépendante des caprices de la police et du bureau du DPP ! D’autant qu’il s’agit d’un sujet d’intérêt national ayant trait à un crime. Qui l’a commis ? Il peut y avoir plusieurs motifs. Mais selon la veuve de Soopramanien Kistnen, celui-ci était en colère parce que le couple avait découvert que le nom de Simla Kistnen avait été enregistré comme « constituency clerk », ce qui la privait de l’allocation « Self Employed Assistance Scheme » (SEAS). Il peut également y avoir d’autres motifs, comme les Kistnen Papers.
Q : Ces mêmes Kistnen Papers qui font la lumière sur l’organisation de la campagne de votre ancien leader au no. 8. Cela vous embarrasse-t-il ?
Valeur du jour, je suis très loin de la politique. Je ne suis pas redevable envers qui que ce soit, encore moins à un parti ou un leader politique. J’exerce ma profession d’avocat en toute indépendance et notre but, dans le cas Kistnen, c’est de faire triompher la vérité et la justice. Dans la vie, nous sommes souvent appelés à choisir notre camp. J’ai choisi celui des principes au lieu de celui peuplé de ceux qui ne cherchent que leurs avantages.
Q : Au nom de ce même principe, les Kistnen Papers ne devront-ils pas également faire l’objet d’une enquête. Pourquoi ce silence ?
En tant qu’avocats, nous avons, mes confrères du panel et moi-même, tout un lot de ‘homework’ à faire en termes de vérification, d’authentification des documents et d’interrogation des personnes dont les noms sont mentionnés dans ces Kistnen Papers. Quand on prend un engagement légal, il faut pouvoir le poursuivre jusqu’au bout. Or, il nous reste, valeur du jour, toujours du chemin à faire. C’est pour cela qu’il est prématuré d’en parler.
Q : En tant qu’ancien député du MSM, est-ce que vous êtes surpris par l’inaction du Premier ministre sur toute l’affaire Kistnen ?
Rappelez-vous qu’il en était de même dans l’affaire Wakashio. Il avait d’ailleurs accordé « full backing » à ses deux ministres, en particulier ceux de l’Environnement et la Pêche.
Q : Qu’est-ce que l’affaire Michaela Harte représente pour vous dix ans après ?
C’est une tragédie, surtout qu’une enquête en bonne et due forme n’a jamais été faite. Sous la pression populaire, la police avait choisi la voie la plus facile en extorquant des aveux au lieu de procéder à une enquête scientifique. Elle a faussé le cours de la justice en se basant sur des confessions que Rama Valayden et moi-même, qui représentions les deux accusés, avions démontées au cours de l’interrogatoire. Ce qui avait conduit à l’acquittement unanime des deux accusés par le jury. Nous avons fait plusieurs représentations pour réclamer que l’enquête soit relancée. Malheureusement, j’ai été soumis à un comité disciplinaire alors que Rama Valayden a été confronté à des charges provisoires. C’est dommage que nous soyons persécutés quand on parle de vérité, de justice et de réformes.
Q : Un avocat de la famille de Michaela Harte soutient connaître l’identité du coupable. Cela vous interpelle-t-il ?
En tant qu’avocat de la défense, je le prends avec une pincée de sel. Il faut qu’on se base sur des évidences solides, et non pas faire des allégations gratuites. S’il a des évidences, qu’il vienne de l’avant avec une « private prosecution » si la police refuse d’agir !
Q : Il argue que le rôle d’avocat n’est pas d’enquêter…
Le rôle d’avocat doit représenter son client selon ses « best abilities ». Si un avocat pense qu’une enquête de la police a été mal faite, il a le devoir d’enquêter, quitte à retourner sur le lieu du crime. C’est ce que m’avait montré l’ex-juge Vinod Boolell durant mes études universitaires. C’est d’ailleurs ce que j’ai toujours fait au cours de divers procès, dont l’Amicale qui m’avait conduit à la prison pour rencontrer neuf personnes, dont les quatre condamnés de cette affaire et qui voulaient qu’une enquête soit rouverte, et qui a créé, plusieurs années plus tard, un scandale alors que le travail d’un avocat exige qu’il rencontre ses clients.
Malheureusement, quand vous faites de la politique, vous êtes blâmé. Maintenant que je ne fais plus partie du sérail politique, je peux exercer ma profession en toute indépendance. Aux côtés du fédérateur Rama Valayden, nous avons constitué une équipe constituée d’avocats de tous bords pour œuvrer dans l’intérêt de la vérité et de la justice, surtout qu’il y a des tentatives de cover-up et de perversion du cours de la justice.
Q : Cette équipe d’Avengers, qui regroupe des politiciens et d’anciens parlementaires, peut-elle se transformer en une force politique ?
Je ne sais pas ce que réserve l’avenir. Mais je suis personnellement loin de toutes les considérations politiques. Des camarades nous ont approché pour nous donner un coup de main sur une base purement humanitaire dans une quête pour la vérité et la justice. Dès le premier jour, nous avons su que ce n’était pas un combat d’un seul homme, mais celui de toute une nation puisqu’il comporte de grandes ramifications. Ce n’est pas normal qu’une personne qui a autant œuvré pour un parti politique soit retrouvé mort dans des circonstances aussi atroces.
Q : Est-ce un trait définitif que vous avez tiré sur la politique ou est-ce un recul pour mieux sauter ?
C’est définitif. Si la situation l’exige, j’aiderai le pays en tant que citoyen. J’estime qu’un citoyen peut faire plus pour son pays que les politiciens véreux et mafieux. De plus, je mets ma robe d’avocat au service des personnes qui sont victimes des droits humains et des institutions.