Secteur agricole : Goût amer pour les planteurs

Retour sur les mesures budgétaires pour le secteur de l’agriculture. Ces mesures sont-elles suffisantes pour relancer notre secteur agricole, et pour lui permettre d’assurer une certaine autosuffisance alimentaire au pays ? Kreepalloo Sunghoon, de l’association regroupant les petits planteurs, pense que le secteur agricole va de mal en pis, tandis qu’Arvin Boolell pense que l’ingérence politique dans la gestion des terres empêcherait toute politique d’autosuffisance alimentaire de prendre son essor.

Le secrétaire de la Small Planters’ Association (SPA), Kreepalloo Sunghoon devait affirmer tout de go que la situation est très difficile pour les planteurs. Il ne se montre pas convaincu par les facilites de prêt aux agriculteurs comme annoncées dans le Budget. « Le gouvernement se vante d’avoir mis en place des facilités de prêt, mais le problème est que celles-ci ne sont pas accessibles. Par exemple, dès qu’un planteur se tourne vers la ‘Development Bank of Mauritius’ (DBM) pour un prêt, on lui fait savoir qu’il n’est pas éligible car il a déjà atteint ses 60 ans. Or, ce secteur est occupé majoritairement par des personnes âgées alors que les jeunes refusent de prendre la relève », fait-il ressortir.

Il rappelle aussi que l’année dernière, le gouvernement avait prévu de généreuses subsides aux planteurs, de l’ordre de 50 %, mais après sa petite enquête, il s’est rendu compte que personne n’a jamais bénéficié de cette facilité ! Le Budget 2021-2022 avait aussi alloué une somme de Rs 60 millions pour venir en aide à la communauté des planteurs en cas de cyclone ou de mauvais temps, mais selon lui, ceux qui ont bénéficié de cette facilité n’ont touché que … Rs 500 au maximum. « Où est donc passé tout cet argent ? », se demande-t-il.

Planteurs de cannes dans la mélasse

Kreepalloo Sunghoon s’est ensuite appesanti sur le sort des petits planteurs de canne. Selon lui, ces derniers produisent à perte. Abordant la lutte menée par les planteurs pour qu’ils soient rémunérés par tonne de canne livrée et non par tonne de sucre vendu par le ‘Mauritius Sugar Syndicate’ (MSS) sur le marché international, le secrétaire-général de la SPA devait dire que cette revendication des planteurs n’a jamais été implémentée, et il n’a aucune raison de croire que ce sera le cas cette fois-ci.

Concernant le montant de Rs 25 000 payé aux petits planteurs qui produisent moins de 60 tonnes de sucre, il devait dénoncer le fait que ce montant est resté inchangé depuis 2020, alors que le coût de production a pris l’ascenseur. Ainsi,selon ses calculs, le cout de production d’une tonne de sucre s’élève à Rs 32 000, soit Rs 7 000 de plus de ce qu’un planteur reçoit sur le prix de vente. Qui plus est, de ces Rs 25 000, le gouvernement prélève Rs 1 500 comme frais d’assurance et autres. Au final, le planteur ne reçoit que Rs 23 500.

Qu’en est-il de la suppression du ‘cess’ (une charge payée par les planteurs de sucre) pour la récolte courante, comme annoncée dans le Budget ? Pour Kreepalloo Sunghoon, « il ne s’agit là que d’une annonce. Rien ne se fera à ce niveau ». Car selon lui, cette suppression du ‘cess’ avait déjà été annoncée à maintes reprises dans le passé mais sans jamais être implémentée…

Outre le sucre, les planteurs bénéficient d’une deuxième source de revenus à travers la mélasse. Son prix est déterminé par celui pratiqué sur le marché international sans que les planteurs n’aient leur mot à dire. Pour ce qui est de la bagasse, qui est vendue au ‘Central Electricity Board’ (CEB) pour la production d’électricité, le planteur reçoit Rs 9 seulement sur chaque tonne de canne livrée. Une pitance !

Ingérence politique

Arvin Boolell, le chef de file du Parti travailliste (PTr) au Parlement et ancien ministre de l’Agriculture, devait aborder la notion d’autosuffisance alimentaire dans ce contexte difficile pour les planteurs.

Selon lui, le gouvernement parle d’assurer l’autosuffisance alimentaire, alors qu’il n’existe même pas de relevé approprié des terres agricoles. « Pour que le pays puisse atteindre l’autosuffisance alimentaire, on aurait dû commencer par octroyer aux planteurs des lopins de terre appropriés pour l’agriculture. Or, ces derniers doivent faire face à beaucoup de terrains rocailleux. Par manque de moyens, ils ne peuvent les exploiter de manière optime », devait-il expliquer.

Il devait aussi dénoncer une ingérence politique qui fait que de bonnes parcelles de terres agricoles ne sont pas remises aux planteurs. Il soutient que la ‘State Land Development Company’ (SLDC) avait remis 3 000 arpents de terre à Landscope Ltd, mais que ces terres sont inutilisables d’un point de vue agricole. « Landscope Ltd veut se substituer au ministère de l’Agriculture », dénonce-t-il. Selon lui, les meilleures terres agricoles se trouvent à Ébène et à Côte D’or. Or, ces deux endroits n’ont plus de terres agricoles disponibles.

Concernant les propositions budgétaires pour venir en aide aux coopératives agricoles, il estime qu’il aurait fallu une vraie évaluation de la situation avant d’agir en conséquence. Pour lui, ces sociétés souffrent d’un manque d’encadrement professionnel, et que leur méthode de travail est dépassée. Il est d’avis qu’il y a un manque de compétences au niveau des sociétés coopératives, et qu’il faudrait d’abord moderniser leur gestion. « Ce sont les jeunes universitaires qui doivent prendre la relève pour une meilleure organisation, tant sur le plan administratif que financier », dit-il, en rappelant que le Ptr avait institué l’école des coopératives afin de donner à ces sociétés une formation dans la gestion des affaires.

ASH