Shakeel Mohamed : « Gayan est une honte pour le pays ! »

Il n’en démord pas. Shakeel Mohamed revient sur les incidents au Parlement, mardi dernier, dénonce la partialité de la Speaker, condamne l’attitude et les propos d’Anil Gayan et blâme le manque de leadership de Pravind Jugnauth…

 Zahirah RADHA  

 

Q : Vous avez été une nouvelle fois expulsé de l’Assemblée nationale, mardi. Faites-vous exprès de provoquer la Speaker ou bien c’est elle qui ne vous porte pas dans son cœur ?

(Rires) Encore une fois ? Comme si j’étais un récidiviste notoire ayant l’habitude de faire du désordre au Parlement ! Non, mais c’est loin de là. J’ai un profond respect pour les institutions. J’ai connu, en tant que parlementaire, au moins quatre Speakers. Les trois premiers ne m’avaient jamais expulsé. J’ai commencé à être « ordered out » quand j’ai dit à Maya Hanoomanjee qu’elle « need a break ». Cette remarque ne lui a probablement pas plu.

C’est peut-être aussi parce qu’elle n’a pas digéré la motion de blâme que j’avais logée contre elle. Ou peut-être parce que j’avais évoqué, au meeting du 1er mai, le manque de réaction du Premier ministre par rapport à la vente des biscuits de sa cousine, soit la fille de la Speaker, à AML. Peut-être qu’elle n’a également pas apprécié que j’ai attaqué son neveu au Parlement en disant que le Premier ministre a mis M. Hoffman dehors uniquement parce que celui-ci l’a traité de fou. Ou est-elle agacée quand je pose des questions à Anerood Jugnauth à qui elle est parentée ? Je ne pense pas que j’ai une place spéciale dans son cœur, mais elle a certainement une place spéciale dans ma mémoire.

Q : La Speaker parle, en fait, d’attaque et d’insulte à son égard…

J’ai vérifié l’enregistrement des travaux et à aucun moment ne l’ai-je insultée ou critiquée. Ce n’est pas dans mon ADN d’insulter une femme que ce soit en public ou en privé. Je n’étais pas d’accord avec son « ruling » et je lui ai dit, à deux reprises, que « you always take his side ». Je n’ai pas retiré mes propos parce que c’est la vérité et il n’y en a qu’une. Sa partialité était d’ailleurs flagrante. Je n’ai rien de personnel contre elle. Au contraire, je lui souhaite d’agir avec plus d’impartialité durant les travaux parlementaires pendant le peu de jours qu’il reste à ce gouvernement au pouvoir bien qu’elle ait été consistante dans sa partialité envers la majorité gouvernementale jusqu’ici. Je dois aussi dénoncer la mesquinerie d’Ivan Collendavelloo qui a présenté une motion pour me suspendre pendant les trois prochaines séances, y compris la présentation du budget. Il est clair pour tout le monde qu’ils ne veulent pas que je sois présent pour le budget.

Q : N’est-ce pas un lourd prix à payer pour ne pas avoir présenté vos excuses à la présidente de la Chambre ?

Oui, c’est un prix lourd que j’accepte quand même de payer. J’aurais souhaité être présent à l’Assemblée nationale pour écouter le budget qui est d’intérêt national. D’autant que je suis le chef de file du PTr qui se présente comme le gouvernement d’alternance. Il était donc nécessaire pour moi, en tant que chef de file du PTr, d’y être présent, tout comme les autres leaders politiques le seront. Il ne s’agit pas uniquement de moi, mais aussi de l’électorat du PTr que je représente au Parlement. Cela me rend certainement triste, mais cela ne veut pas dire que j’aurais dû me courber devant eux quand je n’ai rien fait de mal.

Q : Revenons à votre déclaration au Parlement à l’effet qu’Anil Gayan s’est attaqué au Pakistan et qui est à la base de toute cette affaire d’expulsion…

Il y a une loi sur l’immigration qui avait été récemment promulguée au Parlement. Durant les débats y relatifs, on a vu Ravi Rutnah dire que si la Nouvelle Zélande avait su contrôler son système d’immigration, comme le gouvernement mauricien le fait avec le nouveau projet de loi, il n’y aurait pas eu les attaques terroristes que l’on sait. Idem pour les tueries au Sri Lanka. Je lui ai d’ailleurs rappelé à l’ordre durant mon intervention, car au lieu de sympathiser avec ces pays amis, il tente de leur faire la leçon.

Anil Gayan a fait la même chose en disant que cette loi est synonyme d’une politique de répression à l’encontre du terrorisme et de son financement qui, en soi-même est une bonne intention, mais pourquoi a-t-il jugé nécessaire de faire référence au Pakistan ? Ce n’est pas la première fois qu’il a critiqué ce pays. Le Pakistan est un pays ami et on ne peut pas le critiquer ainsi. Malheureusement, le gouvernement, à travers Rutnah et Gayan, ne font qu’offenser les pays amis, comme ils l’ont fait pour le Maroc aussi en s’attaquant à Touria Prayag.

Q : Le ministre Gayan est aussi accusé d’avoir tenu des propos jugés insultants envers la communauté musulmane. Est-ce une simple coïncidence, selon vous ?

Anil Gayan a une fâcheuse habitude de critiquer des pays à des fins politiques. Il ne le réalise peut-être pas, mais en se faisant, il créé des divisions entre les communautés. C’est là que se situe le danger. Et c’est pour cela que je voulais prendre position mais la Speaker ne m’a pas laissé faire. Mais on le voit dans une vidéo en train de critiquer la communauté musulmane et c’est inacceptable ! Anil Gayan devrait, pour moi, être rappelé à l’ordre par le Premier ministre. C’est aussi ce même Gayan qui avait précédemment trouvé dérangeant que Shakeel Mohamed, un non-Hindou, puisse être chef de file du PTr au Parlement.

Voilà le genre de ministres qu’on a à l’Assemblée nationale. C’est vraiment triste quand je pense que Showkutally Soodhun a perdu son siège de ministre pour avoir tenu des propos sectaires alors que Gayan a fait pire et qu’il est toujours au Cabinet. Pourquoi cette politique de deux poids deux mesures ? Il est clair que Gayan ne mérite pas d’être ministre après avoir insulté la communauté musulmane. Tout ce qu’il mérite, c’est d’obtenir ses « marching orders », c’est-à-dire démissionner. Il est une honte pour le pays.

Q : Anil Gayan se défend, entre autres, en mettant en avant le timing de la diffusion de cette vidéo-montage et estime qu’elle est motivée politiquement. N’est-il pas quand même étrange qu’elle est apparue trois ans après les faits?

J’ai pris connaissance de la vidéo en même temps que tout le monde.  Je n’ai à aucun moment réagi en tant que membre du PTr mais en tant que Musulman. Je me sens blessé par ses propos dangereux, incendiaires et criminels.

Je dois d’ailleurs rendre un hommage appuyé à la communauté musulmane qui s’est ralliée contre Anil Gayan tout en faisant preuve de retenue. Elle  montre son indignation certes, mais elle le fait dans la discipline et le respect d’autrui et des lois de notre pays

Q : Le PTr semble avoir pris du galon depuis le 1er mai. Pensez-vous que votre parti va pouvoir détrôner le gouvernement aux prochaines élections ?

Le pouvoir d’achat a baissé, le law and order a empiré, le népotisme et le favoritisme ont pris des proportions alarmantes, bref le gouvernement a fait tout le contraire de ce qu’il avait promis durant sa campagne électorale. Le PTr a promis de venir avec une politique de rupture. Pour les nominations, par exemple, il faut que ce soit un comité parlementaire incluant des membres du gouvernement et de l’opposition, qui s’y penche. Savez-vous aujourd’hui combien de personnes doivent payer des agents politiques pour avoir du travail ?

Q : C’est grave ce que vous dites…

Tout à fait !

Q : Vous comptez aller à l’ICAC ?

Elle sera informée très bientôt. Pour revenir à ce que je disais, savez-vous aussi combien de personnes avaient perdu leur emploi quand ce gouvernement avait pris le pouvoir ? Le PTr donne la garantie à ceux qui ont obtenu du travail sous le présent régime qu’ils ne le perdront pas quand nous revenons au pouvoir, car le travail est sacré. Nous ne mènerons pas une politique de vengeance. Nou pas pou rasse mangé dans la bouche dimoune ni nou pou met la terre dans mangé dimoune. Prenons le cas des marchands ambulants. Combien d’entre eux n’arrivent plus à joindre les deux bouts ? Ce que nous voulons, c’est une politique de réconciliation nationale qui redonnera la confiance à la population.

Q : Mais le gouvernement aura certainement l’occasion de se racheter lors du prochain exercice budgétaire. Le « feel good factor » reviendra forcément, n’est-ce pas ?

Pravind Jugnauth servira le budget comme appât pour jeter de la poudre de yeux de la population. Il éclatera l’économie nationale s’il le faut et il nous endettera encore plus. En 2005, nous avions hérité de Rs 100 000 par tête d’habitant, aujourd’hui, on est arrivé à Rs 400 000 par tête d’habitant. Il ne prêtera pas attention à la sonnette d’alarme du Fonds Monétaire International (FMI) parce que son objectif, c’est de rendre « la bouche plis ki doux ».  Il nous étouffera économiquement afin d’assurer qu’il puisse remporter les prochaines élections. À tel point qu’on deviendra bientôt locataire de nos propres maisons.

Il utilisera aussi le dossier Chagos comme outil politique pour arriver à ses fins. S’il avait pensé dans l’intérêt national, il aurait dû réaliser qu’il y a un certain lobby qui devrait être fait au niveau des Etats-Unis et auprès des Britanniques. Qui est mieux placé pour faire un lobby auprès du leader du Parti Travailliste britannique que le leader du PTr mauricien ? Mais il ne le fera pas pour des raisons bassement politiques. Le Metro léger lui servira aussi d’hameçon pour faire campagne, malgré le fait que son père ait dit que ce n’était pas leur priorité et que ce projet a des répercussions cauchemardesques sur plusieurs familles. Il capitalisera également sur le stade de Côte d’Or qui a coûté plus que la route Terre-Rouge-Verdun. Ce qui est encore plus triste, voire dégoûtant, c’est qu’il utilisera l’arrivée du Pape pour ses intérêts personnels. Le Commissaire de police est d’ailleurs utilisé politiquement à cet effet. Celui-ci a même dit qu’il ne peut quitter son poste parce que le Pape arrivera bientôt.

Le peuple doit néanmoins comprendre que les effets du budget seront éphémères et qu’ils seront ensuite suivis par la souffrance. C’est cela la recette de Pravind Jugnauth. Tant que « lakwizinn » reste au pouvoir, elle ne mijotera que le succès politique de la famille Jugnauth tandis que le peuple continuera, elle, à souffrir.

Q : Vous dites que le CP n’est qu’un outil politique. Est-ce normal que quelqu’un occupant un tel poste et qui est censé donner le bon exemple reste accroché à son fauteuil alors qu’il y a des allégations contre lui ?

Il y a eu des allégations sur plusieurs ministres et ils sont toujours en poste. Il y a une affaire en cour concernant des allégations de corruption contre Prakash Maunthrooa mais il était jusqu’à tout récemment Senior Advisor au PMO avant de démissionner pour s’occuper de la campagne électorale du MSM. Il est toujours directeur d’Air Mauritius et il bénéficie toujours des billets gratuits. Il en est de même pour le CP. Le réel problème, c’est le manque de leadership de Pravind Jugnauth.

Q : Comment le PTr se prépare-t-il pour affronter les prochaines élections ?

La population, dans sa grande majorité, sait déjà ce qu’elle fera aux prochaines élections. Mais elle ne le démontrera pas pour l’instant par peur de représailles. Quant au PTr, nous poursuivrons notre campagne d’explication concernant notre politique de rupture.

Q : De quoi consiste-t-elle en fait cette politique de rupture ?

Rupture avec la façon dont le pays est géré. Prenons l’exemple du mode de recrutement dans la fonction publique. C’est un peu bizarre que la majorité de ceux qui décrochent un emploi dans la « Waste Water Authority » (WWA) sont issus de la circonscription du ministre de tutelle Ivan Collendavelloo. Idem quand Anil Gayan était ministre de la Santé. La majorité des recrues à la santé habitent la circonscription no. 20 où Gayan avait été élu. Depuis qu’Anwar Husnoo est ministre de la Santé, 2000 à 3000 ont été employés dans ce ministère, selon le rapport de l’Audit, mais c’est triste que seulement 53 d’entre eux sont issus de la circonscription no. 3. Une politique de deux poids deux mesures, clairement ! Une inégalité flagrante !

Nous voulons qu’il y ait plus de transparence dans les recrutements. Vous n’aurez plus à quémander de l’emploi aux politiciens. Il faut que la compétence et la méritocratie priment. Il faut donner une opportunité égale à tous.

Q : Mais l’ancien gouvernement travailliste prônait exactement les mêmes valeurs. Comment allez-vous appliquer cette théorie en pratique ?

Effectivement, mais il y a des choses qu’il faut revoir. Quand on parle de rupture, c’est aussi une rupture avec la façon dont nous avons nous-mêmes géré dans le passé. Nous devons évoluer. La méritocratie doit primer. Il faut une politique de logement social pour les vieilles personnes. Celles-ci méritent d’avoir un logement décent gratuit, mais aussi un programme taillé sur mesure pour soulager la souffrance des personnes vivant dans des conditions précaires comme la provision des couches aux personnes âgées. Le PTr veut donner le droit de rêver aux Mauriciens. There should be a Mauritian dream. Malheureusement, pour l’instant, c’est le cauchemar.