Silence, on muselle !

Nouvel amendement à l’IBA Act

Le nouvel amendement apporté à l’‘Independent Broadcasting Authority Act’ (IBA Act), qui vise à créer une soi-disant obligation d’impartialité des radios privées, soulève un tollé parmi les journalistes de la presse parlée, vu qu’il compromet gravement leur indépendance. Le gouvernement a sans doute en ligne de mire des émissions en direct où interviennent les membres du public. Il faudrait donc voir là une nouvelle loi liberticide qui s’inscrit dans cette dérive autocratique du présent régime.

Jean-Claude de l’Estrac : « La liberté d’expression autorise la partialité »

Jean-Claude de l’Estrac, lui-même ancien journaliste et rédateur-en-chef, ne mâche pas ses mots envers le nouvel amendement, qu’il qualifie d’« imbécilité ». « Ce nouvel amendement est caractéristique de la dérive autocratique dans le pays », souligne-t-il. « Cet amendement est contraire à nos principes. La liberté d’expression autorise les gens à avoir toutes sortes de points de vue, partiaux ou impartiaux, qu’ils soient idéologiques, religieux ou politiques. Cet amendement est grave car cela vise à bloquer, et à freiner les journalistes à faire leur travail. C’est comme si l’IBA s’imposait comme rédacteur-en-chef dans les salles de rédactions », dénonce-t-il.

« Dans une société démocratique, un journal ou une radio ou une chaine privée a parfaitement le droit d’être partial. La liberté d’expression autorise également la partialité. Cela implique qu’un parti politique pourrait avoir le droit d’avoir sa propre radio, tout comme il a le droit de publier un journal. Or, qui dit parti politique, dit parti pris. Dans notre vie démocratique, nous avons eu à plusieurs reprises des journaux partisans, reflétant le point de vue d’un courant, d’un groupe ou d’un parti. C’est tout à fait admissible », dit-il. « Quelle serait la prochaine étape ? De dire aux partis politiques de faire des interventions impartiales et de ne plus critiquer le gouvernement ? », lâche-t-il, caustique.

Selon lui, c’est le service public qui a une obligation d’impartialité car il est financé à partir des fonds publics. Il réitère qu’à l’opposé, le secteur privé pourrait demain financer une radio ou un organe de presse qui soutiendrait ouvertement un courant d’opinion ou un parti politique, comme cela a été le cas dans le passé, et ce qui est tout à fait son droit. Abordant le manque de consultation, l’ancien journaliste maintient que la question ne se pose actuellement pas. « C’est une bonne chose qu’il y a eu manque de consultation car les journalistes ne devraient pas être partie prenante à toute tentative de les museler. Les journalistes ne devraient pas demander à être consultés sur leurs sujets de débats. Au contraire, ils doivent refuser toute demande de consultation. Une victime ne doit pas engager de consultation avec son bourreau », soutient-il.

Ashok Radhakissoon : « Créer des difficultés pour les radios privées »

Ashok Radhakissoon, ancien directeur de l’IBA, nous explique que ce nouveau règlement est parfaitement « inutile » car il y avait déjà certaines dispositions légales et règlementaires qui assuraient l’impartialité, dont le ‘Code of Conduct’ joint à l’IBA Act. Notre interlocuteur fait aussi ressortir que dans le passé, des radios ont été sanctionnées, et leurs licences avaient même été suspendues.

« C’est quoi vraiment le rôle de l’IBA ? C’est simplement d’appliquer la loi. Mais l’organisation, la production et la diffusion des émissions restent l’affaire des radios et des journalistes. L’IBA ne peut venir s’immiscer dans leur travail. L’IBA est une instance étatique. Ce règlement constitue une contrainte contre les journalistes et les rédactions en ce qui concerne leur liberté d’expression et leur liberté éditoriale », affirme-t-il.

« Jusqu’ici, tout se déroulait normalement. Pourquoi venir alors avec ces règlements ? », se demande-t-il. Pour lui, il est clair que cette démarche par l’IBAvise à créer des obstacles surtout en ce qui concerne les émissions ‘live’ où il y a la participation des membres du public sur des sujets d’actualité ou de controverses politiques ou sociales. « L’idée derrière ces règlements est de venir créer des difficultés pour les radios privées car le pouvoir en place ne veut pas que les membres du public viennent s’exprimer sur certains sujets », analyse-t-il.

L’ancien directeur de l’IBA maintient ainsi que ce nouvel amendement représente une invasion de la liberté éditoriale des journalistes. Il vise aussi à créer des obligations additionnelles lourdes pour les radios, afin de rendre plus difficile la production et la diffusion de ces émissions de grande audience parmi le grand public.Il a été stipulé pour museler la liberté d’expression, en créant des entraves dans l’expression même de cette liberté. « Je suis tout à fait d’accord que le gouvernement est en train de museler la liberté d’expression afin que les gens n’arrivent plus à s’exprimer live sur des sujets d’actualité à la radio. C’est une immixtion dans le travail des journalistes, qui entame aussi la liberté éditoriale des rédactions », dénonce-t-il.

Le nouvel amendement se lit comme suit :

(1)       (a) Due impartiality on political matters, controversial matters and matters relating to current public policy or events shall be preserved on the part of any person providing a service in a broadcasting licensee.

(b) Impartiality may be achieved within a programme or over a series of programmes taken as a whole.

(2)       (a) Where a broadcasting licensee attempts to seek alternative views, but these are not readily available (for example, an individual or organisation declines to give an interview or give comments), he shall comply with a range of editorial techniques for maintaining due impartiality.

Notons que cet amendement a déjà été approuvé par le Parlement et ‘gazetted’, il est donc déjà en vigueur.