Tortionnaires protégés

Le pays continue d’assister, horrifié, à ces vidéos où l’on voit des policiers torturer avec diverses méthodes, les unes plus barbares que les autres, les prévenus. Des techniques qui défient les droits humains et la présomption d’innocence, comme garantits par la Constitution. Et dire que les tortionnaires sont des policiers qui sont censés faire respecter la loi. Au niveau des autorités, tout le monde « deklar sinwa nef » face à cet état de choses. Pourtant, l’ancien Commissaire de police avait bien été informé de ces cas précis depuis 2020. Mais la police qu’il dirigeait a continué à s’endormir sur ses lauriers et à fermer les yeux sur ces agissements d’une cruauté et d’un sadisme inimaginable qui éclabousse aujourd’hui l’image des Casernes centrales, du Premier ministre et du pays. Pourquoi Khemraj Servansingh a-t-il protégé ces brebis galeuses ? Car il s’agit bien d’une protection, et rien d’autre. Ce dernier sera-t-il interrogé ‘under warning’ ?

La presse a souvent étalé, au grand jour, plusieurs cas où des détenus ont été torturés par la police. Rappelez-vous de l’affaire Iqbal Toofany, décédé aux mains des policiers. Rappelez-vous de David Gaiqui, ce détenu ligoté nu à une chaise. Rappelez-vous le cas de Caël Permes, mort en prison. Mais à chaque fois, c’est la même chose. On s’émeut. On annonce des enquêtes. Parfois des policiers sont arrêtés avant d’être relâchés sous caution. Des fois, ils sont suspendus tout en continuant à bénéficier de leurs salaires. Mais ensuite, l’affaire est vite reléguée aux oubliettes… Ce qui commence à devenir une évidence : une chape d’impunité semble recouvrir les policiers-tortionnaires. À notre connaissance, aucun policier n’a jamais été condamné dans une cour de justice sous la charge de ‘torture by public official’. Or, c’est cette culture d’impunité qui encourage certaines brebis galeuses au sein de la police à s’adonner à de tels actes.

Cette pratique des policiers peut avoir des conséquences graves. Car comme nous l’explique Me Sanjeev Teeluckdharry dans l’interview qu’il nous a consacrée, les aveux extorqués sous la torture peuvent mener à des personnes innocentes à purger de longues peines de prison. Elle peut aussi provoquer une conflagration, comme ce fut le cas pour Kaya en 1999. D’autant que les nerfs sont déjà à fleur de peau suivant la hausse du coût de la vie. Et risquent de s’accentuer avec le budget qui sera présenté ce mardi 7 juin. On est aussi en droit de se poser des questions sur le fonctionnement de notre judicaire. Certains magistrats encouragent-ils tacitement les policiers à obtenir des aveux ? Il est grand temps que nos cours de justice exigent des ‘corroborating evidence’, comme des preuves scientifiques, de la part des policiers. Ces derniers doivent être formés en ce qu’il s’agit des droits des prévenus, voire dans certains aspects du droit criminel.

Et qu’en est-il des poursuites civiles entamées contre la police pour arrestation arbitraire et pour sévices ? Combien de ces procès ont abouti, surtout au niveau de la Cour suprême ? Combien de personnes ont obtenu des dommages et intérêts ?  À notre connaissance, nous n’avons jamais entendu que l’État ou ses préposés comme le Commissaire de police ou des policiers directement impliqués ont été condamnés à payer des dommages aux victimes. Finalement, on doit aussi se poser des questions sur le fonctionnement des institations comme la ‘National Human Rights Commission’ (NHRC) ou l’‘Independent Police Complaints Commission’ (IPCC). Tout porte à croire que ces institutions bibelots ne sont là que pour récompenser des proches du pouvoir en leur donnant une petite sinécure bien tranquille. Elles sont là pour jeter de la poudre aux yeux des instances internationales, pour leur faire croire que nous avons des instances pour lutter contre la torture, alors qu’en réalité, elles serviraient même à couvrir les policiers dans les cas de torture.

Cette fois-ci, ce qui est différent, c’est que tout le monde a compris que les cas de brutalités policières ne sont pas des cas isolés, mais relèvent d’une pratique bien établie au sein de la police, surtout en ce qui concerne certaines unités. Mais les choses changeront-elles ? That’s the question