Dans le sillage de la publication du National Drug Observatory Report 2019, paru le 20 janvier 2021, il a été fait état que près d’un millier de Mauriciens ont été admis dans les établissements de santé publique en  2019, pour suivre un traitement contre la toxicomanie. Parmi, bon nombre qui souffre de troubles psychiatriques et comportementaux suite à une consommation prolongée de la drogue. Le premier coupable : la drogue synthetique. La question qui se pose : avons-nous la volonté qu’il faut, et les facilités adéquates pour traiter les toxicomanes atteints de problèmes psychiatriques ? Dans ce dossier, nous faisons le point sur la situation.

 

En chiffres

Les chiffres ci-dessous proviennent du rapport de la National Drug Observatory pour l’année 2019.

  • 834 hommes, soit 93 % du nombre total des admissions, ont été admis dans des établissements de santé publique en 2019 pour suivre un traitement de réhabilitation contre la toxicomanie.
  • Parmi, environ 434 personnes, dont 96 % étaient des hommes, ont été admis au ‘Mental Health Care Centre’ de l’hôpital Brown-Séquard (BSMHCC) pour des troubles mentaux et comportementaux.
  • La plupart des admissions, soit 85 % du nombre total, peoviennent de la tranche d’âge de 15 à 39 ans.
  • Ceux âgés entre 20 à 29 ans représentent un pourcentage de 49 % du nombre total d’admissions.
  • Ceux entre 30 et 39 ans représentent 20 % des admissions.
  • La tranche d’âge la plus jeune, celle de 15 à 19 ans, représente 16 % des admissions.
  • Le pourcentage des admissions pour ceux âgés de moins de 14 ans représente 2 %.

Il faudrait aussi noter que la drogue de synthèse reste la principale cause d’admissions dans les établissements de santé publique. Sur 834 hommes, 520 ont été admis après avoir consommé de la drogue synthetique, soit 62 % du nombre total des admissions.

 

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Ah-ChoonJosé Ah Choon, responsable du Centre d’Accueil de Terre-Rouge

« Un comportement de plus en plus agressif des toxicomanes »

Nous nous sommes tournés vers José Ah Choon, le responsable du Centre d’Accueil de Terre Rouge, pour son analyse de la situation, à la lumière du rapport du National Drug Observatory.

 

« Ces derniers temps, le comportement des consommateurs de drogue est alarmant, que ce soit les hommes ou les femmes. Ils ont un comportement de plus en plus agressif », nous fait comprendre José Ah Choon.

Un toxicomane consomme de la drogue à longueur de journée, et ceci va affecter sa façon de parler et d’agir, dit-il. Même son regard va changer. Ce qui fait qu’il est difficile de communiquer avec ce genre de patients.

Reçoivent-ils les traitements adéquats à l’hôpital Brown-Séquard ? Selon José Ah Choon, l’hôpital Brown-Séquard n’admet pas les toxicomanes en ce moment pour des traitements.

Il a lui-même essayé à quelques reprises de faire admettre quelques toxicomanes dans cet hôpital, qui a toutefois refusé de les admettre. « Il faut faire croire que les toxicomanes sont très violents ou agressifs pour que ces derniers puissent reçoivent un quelconque traitement au Centre de l’hôpital Brown-Séquard, mais il y a de ce côté aussi des failles. Les patients sont admis pendant 2 à 3 jours, et après ils peuvent partir. »

José Ah Choon estime que ces traitements doivent durer un minimum de 10 jours pour que les toxicomanes ayant des troubles mentaux et comportementaux peuvent stabiliser leur état d’esprit. « Les ONG font leur travail mais si la première étape, celle de la médication, ne passe pas comme il se doit, c’est perdu depuis le début. Si les patients rechutent, ils deviennent pires par rapport à ce qu’ils étaient avant », explique-t-il.

Ce sont les raisons pour lesquelles José Ah Choon tire la sonnette d’alarme depuis quelque temps pour faire comprendre aux autorités concernées que ce problème mérite un débat national. Il faut, selon ce dernier, dégager une synergie avec tous les acteurs concernés.

Il maintient que les campagnes de prévention qui se faisaient dans le passé ne marchent plus. « Les jeunes ne veulent plus écouter », lâche-t-il.

De l’autre côté, les autorités font la sourde oreille. « Il est grand temps que ces dernières commencent le travail avant que la situation ne devienne plus grave », résume José Ah Choon.

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Comment se passe le traitement d’un toxicomane ?

Des services de traitement et de soutien peuvent aider les toxicomanes faisant face aux problèmes liés à la consommation de la drogue.

Ces services englobent le ‘counselling’, la prise de médicaments, les approches de réduction des risques, la prévention des rechutes, les thérapies psychosociales, les soins continus et plus encore. À Maurice, beaucoup de ces services sont disponibles dans le système de santé publique ou sont fournis par les ONG (organisations non gouvernementales).

Dr MaudarboccusNous nous sommes rendus au centre Les Mariannes pour avoir un aperçu sur comment se passe le traitement d’un toxicomane.

Le Dr. Siddick Maudarbocus, le fondateur du centre de Les Mariannes, nous donne au préalable une explication sur l’impact de la drogue sur le cerveau et le protocole qui est suivi pour ces patients.

Chaque drogue a un effet différent sur le cerveau humain, nous explique-t-il. En consommant des substances illicites à long terme, la production naturelle de neurotransmetteurs est débalancée dans le cerveau. De cette manière, la façon d’agir ou le comportement d’une personne commence à changer.

À Les Mariannes, les toxicomanes reçoivent un traitement d’une semaine de détoxication. Ils sont donc mis sur médication pour régler ces problèmes d’ordre neurologique. Par la suite, des séances de ‘counselling’ complémentent le traitement médicamenteux. En parallèle, il est important d’explorer le climat émotionnel d’un patient, avec des séances portant sur le ‘anger management’.

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Imraan Dhanoo, responsable du Centre Idrice Goomany

Imran-Dhannoo« Aucun protocole de traitement pour adresser le problème de la drogue synthétique »

Au centre Idrice Goomany à Plaine-Verte, ce sont plus les consommateurs d’héroïne qui sont admis pour traitement, suivi par ceux qui consomment de la drogue synthétique.

 

 

Les troubles mentaux ou comportementaux dépendent des drogues prises par les toxicomanes, nous fait comprendre Imraan Dhanoo, le responsable de ce centre. Les effets sont différents, dépendant s’il s’agit de cannabis, d’héroïne ou de drogue synthétique, et aussi de leur qualité. Généralement, en ce qui concerne le cannabis, il n’y a pas d’addiction physique.

Imraan Dhanoo nous explique qu’il y a des gens qui souffraient déjà des troubles psychologiques avant de prendre de la drogue. En ajoutant les effets que fait la drogue, le problème s’aggrave considérablement. D’un autre côté, il y a ceux qui commencent à présenter des symptômes psychologiques après avoir consommé de la drogue.

Le problème de drogue est un problème de connexion à la vie, c’est-à-dire que les gens réagissent par rapport à leur connexion à la vie. Il y a un gros problème de fond pour ceux qui commencent à se droguer, par exemple des problèmes de cœur, des problèmes d’ordre familial ou même financiers.

Il devait ensuite aborder les protocoles de traitement. Si pour l’héroïne, il y a bien un protocole, tel n’est pas le cas pour la drogue synthétique. De ce fait, les traitements qui sont offerts à ceux qui consomment de la drogue de synthèse vont dépendre des symptômes qu’ils présentent.

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Hors-texte 1 

La drogue synthétique, encore plus dangereuse pour le cerveau

Tous nos interlocuteurs partagent le même avis : c’est bien la drogue de synthèse qui affecte le plus le cerveau des toxicomanes.

Ceux qui produisent de la drogue synthétique essaient d’imiter le ‘high’ du cannabis en utilisant toutes sortes de substances, qui finissent par provoquer des réactions bizarres chez les consommateurs.

 

Hors-texte 2

Les drogues de synthèse : un marché dynamique mondial

Plus d’un quart de milliard de personnes dans le monde, soit 269 millions de personnes, ont consommé de la drogue en 2018. Cela représente 5,4 % de la population mondiale (de la tranche d’âge de 15 à 64 ans). Cela fait près de 1 personne sur 19.

De plus, de 2009 à 2018, le nombre estimé de consommateurs dans le monde, pour tous les types de drogues, est passé de 210 millions à 269 millions.

Il y a eu une diversification des substances disponibles sur le marché de la drogue, au cours de la dernière décennie, qui a vu l’expansion d’un marché dynamique pour les drogues de synthèse et l’utilisation non-médicale des médicaments pharmaceutiques.

 

Hors-texte 3

La mauvaise qualité de la drogue a des conséquences plus graves

Les drogues de nos jours sont dopées ou coupées, ce qui fait que les drogues qui se vendent à Maurice ne sont pas de « bonne qualité » pour les toxicomanes.

Par exemple, l’héroïne et la cocaïne sont coupées de 15 à 20 %, ce qui a des conséquences plus graves pour la santé physique et mentale de celui qui les consomme.

 

Hors-texte 4

Nous avions essayé d’avoir plus d’informations sur les traitements disponibles et le nombre de patients admis au ‘Mental Health Care Centre’ de l’hôpital Brown-Séquard. Là-bas, on nous a fait comprendre qu’il faudrait passer par le ministère de la Santé, ce qu’on a éventuellement fait. Mais notre courriel est resté sans réponse.

 

 

Neevedita Nundowah