Toxicomanie : Le rajeunissement inquiétant des victimes de la drogue

La société mauricienne est en train de faire face à un rajeunissement des toxicomanes et des alcooliques. Ce qui est déconcertant, c’est avec la facilité avec laquelle les jeunes tombent dans le piège de la drogue. En toile de fond, il y une absence de politique de prévention se focalisant sur les jeunes, et ce n’est pas très fameux non plus en ce qui concerne la réhabilitation et la réinsertion sociale des jeunes toxicomanes. Les travailleurs sociaux qui nous ont parlé demandent à ce que le gouvernement cesse d’ignorer cet aspect du problème de la drogue : le rajeunissement de ses victimes.

Ally Lazer, président de l’Association des travailleurs sociaux de Maurice, mène une lutte inlassable contre le fléau de la drogue depuis une quarantaine d’années.

Y a-t-il un rajeunissement chez les toxicomanes ? Selon son constat, nul n’est à l’abri du fléau de la drogue. Ce problème de société touche toutes les couches sociales. Toutefois, selon lui, le problème de drogue gagne du terrain parmi les jeunes, un problème qui est largement ignoré par le gouvernement. « Cela fait 3 ans que je tire la sonnette d’alarme sur le fait que ce fléau prédomine chez les jeunes », dit-il.

Selon Ally Lazer, malgré les nombreuses saisies effectuées par la police, il y a toujours une quantité substantielle de drogue qui circule dans le pays.

L’absence de politique de réhabilitation

Il devait ensuite aborder l’aspect de la réhabilitation. Dans le passé, il y avait une unique institution gouvernementale, la NATReSA (National Agency for the Treatment and Rehabilitation of Substance Abusers), qui s’occupait de la réhabilitation. Or, aujourd’hui, la NATRESA a fermé ses portes.

Selon le travailleur social, s’il n’y a pas d’institutions pour réhabiliter les jeunes, ce sont les revendeurs de drogue qui vont se frotter les mains. « Quand on ne réhabilite pas ceux qui consomment de la drogue, les revendeurs de drogue voient cela comme une aubaine », devait faire ressortir le travailleur social.

Par ailleurs, il devait critiquer le fait que les travailleurs sociaux n’ont pas accès dans les établissements scolaires, que ce soit pour mener leur politique de prévention ou pour avoir une idée de la situation qui prévaut depuis quelque temps dans ces établissements.

Selon Danny Philipe, travailleur social et ancien président du Collectif Urgence Toxida (CUT), le nombre de jeunes qui sont en train de prendre des substances nocives est très élevé. Il souligne que de 2016 à 2017, plus de 218 jeunes entre 10-19 ans avaient été hospitalisés pour avoir consommé de la drogue ou pour avoir pris des boissons alcoolisées.

Danny Philipe déplore qu’il y a de trop nombreux facteurs qui poussent les jeunes à consommer de la drogue. Ces derniers peuvent trop facilement tomber dans ce fléau, souvent par simple curiosité. Selon lui, il faudrait étudier de près les facteurs qui incitent les jeunes à tomber dans la consommation de la drogue.

L’ancien président de CUT explique que les autorités mauriciennes doivent trouver des solutions concrètes pour remédier à cette situation.

Selon lui, la prévention peut jouer un rôle important. « Il faut impérativement avoir une politique nationale sur ce fléau, se focalisant sur la prévention chez les jeunes », souligne-t-il. Sur le plan éducatif, il faut avoir une éducation holistique pour empêcher les jeunes de toucher à de la drogue.

 « Ce qu’il faut, c’est une approche globale. Il ne faut pas seulement viser ceux qui revendent ou qui consomment de la drogue mais aussi ceux qui s’apprêtent à consommer de la drogue », soutient-il.

Au niveau de la réhabilitation, il explique qu’il faut avoir un cadre solide pour que les toxicomanes puissent sortir de ce fléau. « L’encadrement ne consiste pas à seulement aider la personne à sortir de ce problème. L’encadrement social est tout aussi important, comme l’aider à trouver du travail et à réintégrer la société », dit-il.

La drogue gagne du terrain dans les établissements scolaires

Bashir Taleb, le président de la Fédération des managers des collèges privés, maintient que la situation est inquiétante dans les établissements scolaires, où le phénomène de la drogue gagne du terrain. Selon lui, beaucoup de jeunes sont soit des consommateurs soit des revendeurs de drogue.

Il devait faire ressortir que la société a évolué et que les choses ont changé. Pour lui, la perte des valeurs traditionnelles dans la société a laissé une brèche dans laquelle s’est engouffrée la drogue.

Pour lui, les parents ne sont pas assez vigilants et ne surveillent pas assez leurs progénitures, alors même que les jeunes sont inconscients des dangers que représente la consommation de la drogue et de l’alcool.

Il demande à ce que le gouvernement met en place une stratégie de surveillance pour mieux surveiller les jeunes dans les écoles et les collèges.

Il suggère que les enseignants et les recteurs des collèges soient formés pour avoir une connaissance des différents types de drogue. Il suggère aussi la présence d’agents de sécurité dans tous les collèges qui pourraient exercer une meilleure surveillance des jeunes. Une autre solution, c’est une présence policière avertie aux abords des collèges. De telles solutions constitueront des moyens de dissuasion pour les étudiants qui apportent de la drogue au collège.

La situation s’est beaucoup empirée

José Ah -Choon, travailleur social, est responsable du Centre d’Accueil de Terre-Rouge (CATR), qui aide les toxicomanes, dont de nombreux jeunes, à sortir des griffes de la drogue. 

« L’heure est grave ! », dit-il sans ambages, dressant un constat général de la situation. Il n’y pas un seul endroit à travers l’île où il n’y pas de revendeurs ou de consommateurs de drogue. Selon lui, auparavant, la situation était inquiétante mais maintenant, elle s’est beaucoup empirée.

En ce qui concerne les jeunes toxicomanes, il devait expliquer que « C’est inquiétant de voir de nos jours le nombre de jeunes qui est en train de tomber dans le fléau de la drogue. »

Selon lui, il est grand temps de trouver une solution à ce problème. Il préconise un meilleur encadrement de la part des autorités et des parents pour sensibiliser les jeunes. Pour lui, les parents ne savent pas trop quoi faire lorsqu’ils voient qu’un de leurs enfants est tombé dans le piège de la drogue et qu’il n’arrive pas à en sortir.

José Ah-Choon devait aussi exprimer quelques réserves quant à l’efficacité des traitements de substitution, que ce soit par la méthadone ou par d’autres substances.

Le durcissement des lois est-il une solution ?

Le durcissement des lois n’est pas une solution à ce problème, selon Danny Philipe, car au final, ce sont les consommateurs qui se retrouvent dans les prisons tandis que les revendeurs se promènent dans la nature.

Selon lui, il faudrait savoir comment empêcher les jeunes de tomber dans le fléau de la drogue, et comment les aider à en sortir si jamais ils y sont tombés.

Mais pour le travailleur social Ally Lazer, il faut durcir la loi. Pour lui, selon les statistiques, après avoir passé quelque temps en prison, les revendeurs de drogue auront encore une fois l’occasion de récidiver et de nuire aux autres jeunes.

Une enquête pour mieux réhabiliter les drogués

Le conseil des ministres a pris la décision vendredi d’apporter des modifications à la loi concernant la consommation de drogue. Les laboratoires seront équipés pour effectuer des examens sur des toxicomanes accrocs à la drogue illicite. Une stratégie d’échantillonnage sera mise sur pied.

Dans cette optique une enquête nationale sera menée auprès des personnes consommant des drogues avec la collaboration du Secrétariat national des drogues.

Des informations complètes seront compilées, y compris les caractéristiques sociodémographiques, les consommateurs, leurs conditions de vie, leur statut d’emploi, l’âge du début de la consommation de drogues, la fréquence et les modèles de consommation de drogues et les études sur la consommation de drogues, qui serviront de guide aux enquêteurs.

« Je voulais expérimenter… »

Nous avons recueilli le témoignage d’un jeune toxicomane qui  est sorti de ce fléau grâce à la réhabilitation.

Stéphane (prénom fictif) nous explique que tout avait commencé alors qu’il était encore bien jeune. C’était par curiosité qu’il est tombé dans le gouffre de la drogue. À l’âge de 14 ans, il avait commencé par la cigarette. Puis, à l’âge de 15 ans, il avait commencé à prendre du cannabis. Peu après, il avait commencé à prendre de la drogue synthétique. « J’avais pris cette mauvaise direction par curiosité. Je voulais expérimenter. Par la suite, j’avais commencé à ressentir du ‘nissa’», témoigne-t-il. Cela s’est par la suite transformé en enfer…

Il nous raconte que cela n’a pas été facile, mais avec beaucoup d’efforts et de persévérance, avec l’aide de sa famille, et à travers le centre de réhabilitation de Terre-Rouge, il a pu s’en sortir. « J’ai pu y arriver », nous dit-il.

Aujourd’hui, il a pu retrouver la joie de vivre après le calvaire qu’il a vécu ces dernières années. Il demande aux jeunes qui veulent sortir de ce fléau de venir de l’avant.

D’autre part, le responsable du Centre d’Accueil de Terre-Rouge, José Ah-Choon nous explique qu’il a été un consommateur de drogue lui-même mais il a pu s’en sortir, et aujourd’hui, il vient en aide à ceux qui veulent sortir de cet enfer.

Selon lui, la drogue n’est pas un moyen de se détendre. Ce n’est qu’un moyen pour nuire à sa santé et pour détruire sa vie. Il conseille aux jeunes de prendre conscience et de ne pas errer vers cet enfer. Selon lui, une fois qu’on est tombé dans le piège de la drogue, il sera très difficile de sortir de là.

Quelques chiffres

La moitié des 689 hospitalisations recensées en 2017 concerne des personnes âgées de moins de 24 ans.

Parmi, il y avait 118 enfants et adolescents, âgés entre 10 et 19 ans. La moitié du nombre total d’admissions concerne l’utilisation de nouvelles substances.

En 2018, il y avait 902 admissions dans les hôpitaux par rapport à la consommation de substances illicites.

41 % de ces admissions étaient liées à la consommation de  drogue synthétique, tandis que 38 % étaient liées à l’héroïne et 7 % des cas étaient dus au cannabis.

(Source : Rapport du ‘National Drug Observatory’, publié sur le site du ministère de la Santé)