Transfugisme ≠ la politique autrement

On comprend mieux maintenant pourquoi les jeunes se disent dégoûtés de la politique. Celle-ci a perdu toutes ses lettres de noblesse. En politique aujourd’hui, on ne lutte plus pour des causes, mais pour des positions, pour l’argent. Met fort, gayn fort. Le ‘money politics’ brandi à fond par le MSM comme carotte au lieu d’arme de combat fait rage. Peut-on donc blâmer les jeunes pour leur désintéressement ? Si la politique est désormais perçue comme étant malpropre et indigne, c’est parce qu’elle a été rendue ainsi par des politiciens sans scrupules qui ne songent qu’à leurs intérêts personnels. Des politiciens qui sont capables de vendre leur âme au diable en contrepartie d’un poste ou des privilèges. Comme tous ces néophytes et vétérans du PMSD, du MMM et plus récemment du PTr qui ont claqué la porte de leurs partis parce qu’il leur semble que l’herbe est plus verte ailleurs.

La récente vague de démissions, provenant cette fois-ci du PTr, a été causée à partir de la reconstitution de l’exécutif et du bureau politique rouge. Tout renouvellement soulève forcément un certain mécontentement. Le gouvernement en a aussi fait les frais, faut-il le rappeler. La passation de pouvoirs entre Sir Anerood Jugnauth et son fils Pravind en 2017 n’avait pas été sans heurts. Cette transition avait été confrontée à la démission de Roshi Bhadain. Une ‘liability’ pour le MSM qui doit toujours s’en mordre les doigts. La mise à l’écart de la vieille garde du premier gouvernement de Pravind Jugnauth au profit des néophytes en 2019 avait également provoqué son lot de dommages collatéraux. Les anciens ministres Anil Gayan et Sudhir Sesungkur et le député Sudesh Rughoobur ont ainsi claqué la porte, en préférant se retrouver au sein de l’opposition au lieu de convoiter des nominations quelconques. Même la démission de Nando Bodha du gouvernement résulte de la stratégie transitoire du MSM qui a fini par « cadenasser » le parti. 

Ce que le PTr vit actuellement n’est donc pas un phénomène nouveau. Le PMSD avait été le premier à le connaître en avril-mai 2021 avec la défection du député Salim Abbas Mamode et d’une série d’autres. Le MMM y a goûté aussi en mars de cette année. Il fallait être dupe pour croire que le PTr y échappera.  Voyons la dernière démission en date : celle de Sheikh Mukhtar Hossenbocus. Le PTr lui a donné l’occasion de servir la ville de Port-Louis comme lord-maire. C’est sous le gouvernement travailliste qu’il avait été conféré le titre de OSK qu’il a si fièrement ajouté à côté de sa signature dans la lettre de démission adressée à son ex-leader, Navin Ramgoolam. Pourtant, il prétend n’avoir pas eu de considération de la part de ce même leader qu’il traite indécemment de « bad leader ».

Le départ de Hossenbocus n’a pas été motivé par des principes ou des causes justes, mais parce qu’il a subitement réalisé que le leader qu’il a toujours connu durant sa carrière politique « n’est pas à l’écoute », contrairement, tenez-vous bien, au Premier ministre qu’il n’a rencontré qu’hier et ce, avant même qu’il ne soumette sa lettre de démission. Est-il difficile de savoir ce qui l’a poussé dans les bras du MSM aussi vite alors que la veille encore, il assistait aux activités du PTr vêtu de sa chemise rouge ? Ironiquement, Sheikh Mukhtar Hossenbaccus a eu le culot de dénoncer le ‘money politics’ au no. 2 alors que tout le monde sait que c’est du côté du MSM où il a trouvé refuge que réside le parrain du ‘money politics’. Plus comique encore, dans une correspondance adressée à Osman Mahomed, pour qui il agissait comme ‘constituency clerk’, il soutient que « your consistent approach to ‘politique autrement’ has been an enriching experience for me ». Il faut bien qu’on lui demande ce qu’il entend par la « politique autrement », car le transfugisme n’en fait certainement pas partie.

Et là, Osman Mahomed doit bien en tenir  compte. Les rumeurs de sa probable démission du PTr pour se rejoindre au MSM gagnent de plus en plus le terrain. Étrangement, le député travailliste a choisi de ne pas communiquer sur ces rumeurs pour l’heure. « Je communiquerai en temps et lieu », a-t-il précisé sur sa page Facebook. Ce qui alimente davantage le doute et la confusion. L’approche d’Osman Mahomed laisse songeur. Pourquoi n’a-t-il pas nié ces bruits de couloirs sur-le-champ ? Est-ce parce qu’il veut prendre le temps pour tâter le pouls de l’électorat du no. 2 ? La question se pose. Osman Mahomed, faut encore le préciser, est très apprécié pour sa proximité, son professionnalisme et sa maîtrise des dossiers. Encore néophyte en politique en 2014, il avait été plébiscité par l’électorat du no. 2 tandis qu’il y avait un raz-de-marée de l’Alliance Lepep. Il avait même donné du fil à retordre à l’ancienne PPS et ensuite ministre Roubina Jadoo-Jaunboccus grâce à sa présence assidue sur le terrain.

Et c’est sans surprise qu’Osman Mahomed a été réélu en 2019, avec 60,10 % de votes, faisant de lui le politicien ayant récolté le plus fort taux de votes du pays. C’est dire la grande estime que lui porte le no. 2. Il n’a pas le droit moral et légitime aujourd’hui de tourner le dos à cet électorat ou encore de l’entraîner dans un parti qu’il n’a pas voté aux dernières élections. On espère sincèrement que tel ne soit pas le cas, mais si jamais il décide de franchir le Rubicon, autant qu’il retourne le ticket du PTr, comme Roshi Bhadain l’avait fait au no. 18 en 2017 et comme Salim Abbas Mamode aurait dû le faire aussi. Car sa trahison sera difficilement acceptable, même s’il pourra probablement encore récolter des votes de sympathie.

Il ne faut pas être sorcier pour comprendre les raisons qui poussent le MSM de Pravind Jugnauth à courtiser Osman Mahomed. La communauté musulmane, représentée majoritairement par l’électorat des nos. 2 et 3, ne tient pas le parti soleil et son leader en odeur de sainteté. Ce qui explique la grosse défaite de tous les candidats de l’alliance gouvernementale de ces deux circonscriptions aux derniers scrutins, hormis Anwar Husnoo qui avait été repêché par le ‘Best Loser System’ au no. 3. Après avoir débauché Salim Abbas Mamode, élu sous la bannière de l’Alliance Nationale au no.3, il est logique que le MSM cherche maintenant à déboulonner de nouveau des rangs de l’opposition pour tenter d’avoir une assise, cette fois-ci au no.2. Surtout si cette circonscription se voit offrir deux nouveaux ministres, en la personne d’un démissionnaire de l’opposition et de Roubina Jadoo-Jaunboccus comme Attorney General. Mais encore faut-il que l’électorat musulman des nos. 2 et 3 les suivent. Ce qui n’est pas près d’être le cas.

Les plaies causées à la communauté musulmane par le MSM durant les années 1983 à 1990 sont encore trop béantes. L’abrogation de la ‘Muslim Personal Law’, le Coran traité d’insanité, l’expulsion manu militari de l’ex-ambassadeur libyen Al-Jaddy pour des raisons bassement communales, la fouille corporelle des hadjis traités comme de vulgaires voleurs à l’aéroport, le refus de nommer Kader Bhayat comme vice-Premier ministre malgré une promesse électorale en ce sens, la politique discriminatoire pour les recrutements et promotions dans le service civil, et plus récemment le démantèlement du BAI, le ‘dominère’ causés aux marchands ambulants, le refus d’accorder le ‘sehri’ au président du conseil de village de Plaine-Magnien alors qu’il est en détention policière, le rapprochement avec Israel… la liste est bien trop longue et pèse très lourd contre le gouvernement MSM.

Certains peuvent réfuter que ces arguments sont sectaires et archaïques. Mais quand toute une communauté est blessée, humiliée et oppressée à cause de ses croyances, elle arrive difficilement à pardonner. Même si son oppresseur tente de la conquérir sous prétexte d’un poste ministériel additionnel ou des nominations par ci et là. Malgré tout le « money and cheap politics » du MSM de Pravind Jugnauth, l’électorat musulman n’est pas à vendre. Que le gouvernement, et autres, en prennent bonne note !