Trop de jeunes s’orientent vers des filières saturées

Secteur de l’emploi à Maurice 

Diplômés sans emploi, des secteurs de plus en plus saturés, la réticence des jeunes à intégrer certains secteurs, une hausse dans le nombre des travailleurs étrangers, tant de facteurs qui affectent le marché de l’emploi à Maurice. Aujourd’hui, le monde du travail est dans l’obligation de se réinventer pour se focaliser sur les métiers d’avenir. Une réinvention qui ne sera pas facile, mais plusieurs secteurs émergents sont attendus au tournant.

Marwan Dawood/ Ashley Jacques

Le marché de l’emploi en chiffres

Quel avenir pour le marché de l’emploi à Maurice dans les prochaines années ?

  • À décembre 2016, 583 600 Mauriciens seraient en situation d’emploi, selon les données de Statistics Mauritius, ce qui représente environ 92,7 % de la population active.
  • À mai 2017, 39 454 permis de travail ont été délivrés aux travailleurs étrangers, dont 29 454 hommes et 10 000 femmes au sein du secteur manufacturier et de la construction.
  • Ils sont au total 31 330 étrangers à travailler dans le secteur manufacturier et les 5 001 restants sont employés dans la construction.
  • Un secteur garde encore la tête hors de l’eau en ce qu’il s’agit du recrutement des jeunes, notamment le secteur des TIC et celui des BPO, qui ont une prévision de 5 000 emplois annuellement, soit la création de 15 000 emplois d’ici 2020.

Un goulot d’étranglement 

Selon Roland Dublois, Training Consultant au ministère du Travail, la majorité des jeunes gradués enregistrés avec le Youth Employment Programme (YEP) ont une licence en management ou business administration, langues, ressources humaines, loi, finance, entre autres. Le problème est que le marché du travail exigu de Maurice ne peut absorber tout ce monde avec les mêmes qualifications dans ces mêmes filières.

Médecine : la saturation persistera encore

En ce qui concerne les médecins, le marché de l’emploi est déjà saturé et les prévisions ne sont guère rassurantes. Dans quelques années le nombre de médecins à Maurice devrait doubler  pour éventuellement dépasser les 5 000.  Pour le moment Maurice compte 2 700 médecins, spécialistes inclus, et déjà plusieurs de ces derniers venus peinent à exercer dans le privé et doivent souvent attendre un recrutement effectué par le ministère de la Santé pour pouvoir mettre leurs compétence aux services des malades.

Les chiffres disponibles à Statistics Mauritius font état de 2 537 jeunes qui étudient la médecine dont 1 032 étudient à Maurice. Sans oublier que chaque année, des jeunes s’inscrivent pour des études de médecine.  De plus, le nombre de nouveaux médecins arrivant sur le marché du travail dépasse largement le nombre de ceux qui partent à la retraite.

Assad Peeroo : « Le pays compte plus de 900 avocats ! » 

Selon Me Assad Peeroo, avocat, le pays compte plus de 900 avocats actuellement. Toutefois, Me Assad Peeroo est d’avis qu’il y aura toujours de la place pour les avocats « intelligents et compétents ». Pour ceux qui n’arrivent pas à se faire un nom dans ce domaine chez les jeunes, l’avocat impute la faute à un manque de compétence et d’expérience.  Me Assad Peeroo propose à ce que les autorités mauriciennes prennent pour modèle le système anglais du Tenancy, qui permet aux jeunes avocats débutants de faire un internat dans un cabinet d’avocats reconnu et acquérir ainsi de l’expérience.

Une grande partie des jeunes avocats seraient dans une situation critique. Ils éprouvent des difficultés à trouver des clients et une bonne partie s’est retrouvée en situation de chômage pendant des mois. Le peu qui ont pu garder la tête hors de l’eau sont ceux qui ont dû réduire leurs honoraires pour attirer la clientèle, ce qui n’est pas au goût des « seniors ».

Pour remédier à ce problème, Me Peeroo espère à ce que Maurice devienne un centre d’arbitrage commercial international, afin de donner plus d’opportunités aux jeunes avocats.

Les gradués chômeurs

On entend souvent dire qu’il y aurait plusieurs gradués chômeurs à Maurice. Mais qu’en est-il vraiment ?

Il faut différencier entre les formations tertiaires et les licences universitaires proprement dites. Un certificat, diplôme ou licence universitaire sont tous considérés comme des qualifications tertiaires. Il y a trop souvent un amalgame de toutes ces qualifications car les jeunes ayant des qualifications tertiaires ne sont pas tous des gradués universitaires.

Toutefois, en réalité, beaucoup de jeunes chômeurs sont sous-qualifiés. Si on procède à une analyse par rapport aux qualifications que possèdent les jeunes, les résultats sont plutôt surprenants, vu que 43 % de nos chômeurs n’ont même pas un School Certificate et les entreprises recrutent 80 % des jeunes qui n’ont pas un diplôme universitaire. (Source : Statistics Mauritius)

L’Overseas Education Centre (OVEC) organise des salons pour mieux conseiller les étudiants sur les filières dans lesquelles ils veulent se lancer. La directrice de l’OVEC, le Dr Dorish Chitson nous explique qu’elle est triste de voir que les jeunes aujourd’hui sont frustrés par le manque d’emploi. « Maurice est un petit marché et le taux de chômage est relativement élevé. Chaque année le marché de l’emploi voit arriver plusieurs jeunes issus des universités mais il n’y a pas de travail.  Cela constitue une frustration terrible, voire une crise sociale », dit-elle.  « Aujourd’hui le marché à Maurice est complètement saturé, c’est pour cela que les jeunes se tournent vers le Canada ou l’Australie où ils ont une chance de se faire employer. Et c’est pourquoi les jeunes ne retournent pas à Maurice après leurs études. »

Le manque d’expérience aggrave considérablement le problème. « Il n’y a pas d’entreprise qui recrute sans expérience. Les diplômes sont importants mais l’expérience encore plus », dit la directrice de l’OVEC.  C’est pour cela que les institutions éducatives doivent pouvoir inclure un work placement dans leur cursus pour permettre aux jeunes de développer une certaine expérience, selon Dr Dorish Chitson.

« Les jeunes ont des aspirations irréalistes » 

Selon Roland Dublois, les jeunes ont souvent des aspirations exagérées, qui ne reflètent pas les réalités du monde du travail : « Est-ce que nos jeunes sont préparés à entrer sur le marché du travail qu’ils voient différent de leurs aspirations ? »  Beaucoup de jeunes ne veulent pas retrousser leurs manches et ne sont préparés à travailler sur un ‘shift system’, comme dans les centres d’appels, ou travailler en dehors des heures normales.

Construction, boulangerie, centres d’appels, textile, l’agriculture… tant de domaines qui ne trouvent pas preneur à Maurice.  Les jeunes, diplômes en main, ne veulent pas s’y aventurer. D’où la saturation dans des filières comme la gestion, l’administration, les langues, les ressources humaines ou le droit, sans oublier la médecine.

Pour Roland Dubois, « Est-ce qu’il ne faut pas laisser ces travaux nécessitant des compétences de bas niveau aux étrangers et préparer nos jeunes vers les compétences plus pointues dont cette société digitale en développement en a besoin ? Peut-être nos jeunes et leurs parents seraient plus intéressés. Mais cela va demander du temps ».

En outre, « Les emplois sont là mais ne trouvent pas preneurs ». Beaucoup d’employeurs ont des difficultés à recruter. En outre, beaucoup de jeunes bouderaient les emplois du secteur privé et préfèrent travailler dans la fonction publique. « On n’a qu’à voir le nombre de postulants (55 000 pour les 1 200 postes à prendre dans ce secteur. » 

Cet état de choses s’expliquerait par le fait que de nombreux jeunes ne sont pas prêts à faire face à la compétition qui règne dans le secteur privé ou bien ils recherchaient des emplois qui leur offriraient plus de sécurité.

Certains secteurs recrutent à tour de bras

L’hôtellerie et la restauration, les Tics et les bateaux de croisières… ce sont autant de secteurs qui recrutent à tour de bras à Maurice. « Nous enregistrons chaque semaine des centaines d’annonces et plusieurs postes à pourvoir. Par exemple, pour les bateaux de croisières, les postes à pourvoir sont au nombre de 650 actuellement », indique Christophe Aucher, expert en solution emploi chez l’agence Hellojobs. Deux secteurs en particulier, souligne-t-il, ont marqué une forte progression en termes de recrutement cette année, notamment les centres d’appels et l’hôtellerie.

Le décalage entre le système éducatif mauricien et le monde de l’emploi

Pour Roland Dublois, il y aurait un décalage important entre le système éducatif et le monde de l’emploi. « En général, notre système d’éducation et de formation ne prépare pas nos jeunes pour le monde du travail, qui est lui-même éloigné des aspirations des jeunes. »

Les étudiants sont-ils suffisamment informés des réalités du marché avant de se lancer dans une filière ?  En général non, selon nos interlocuteurs. Le système de Careers Guidance doit être mis sur pied rapidement, pour orienter les jeunes vers leurs choix de matières et vers leurs futures carrières.

Les métiers d’avenir à Maurice

Une équipe de consultants d’Adecco Mauritius a publié une liste des métiers appelés les métiers de demain :

  1. Directeur de marketing digital
  2. Consultant web
  3. Développeur d’applications pour Smartphones et tablettes
  4. Expert SEO
  5. Gestion de projet digital
  6. Spécialiste réseaux sociaux
  7. Architecte
  8. Ingénieurs en énergies renouvelables
  9. Ingénieur civil
  10. Facility Manager
  11. Designer d’intérieur
  12. Aide-soignant en gérontologie

Toutefois, pour Roland Dubois, « Il faut qu’on soit le meilleur dans n’importe quel métier qu’on veut pratiquer. Et il nous faut une formation continue (Continuous Professional Development) car toute connaissance appelé à être dépassée, voire même obsolète dans un délai de 5 ans ».