[VIDÉ] Kushal Lobine, député du PMSD : « La popularité du gouvernement sera jugée à travers les villageoises et les municipales »

Il est député de l’opposition, mais aussi l’avocat de l’assureur du Wakashio. Kushal Lobine évoque les engagements pris par l’assureur du vraquier, révélant au passage que le gouvernement n’a pas encore soumis ses réclamations. Il commente, dans la même foulée, quelques sujets d’actualités…

Zahirah RADHA

 

Q : Peut-on parler de l’affaire Wakashio ?

Certainement !

 

Q : Cela ne vous met-il pas dans une situation embarrassante en tant que député de l’opposition de défendre les intérêts de l’assureur du Wakashio ?

Pas du tout ! Je suis un avocat spécialisant dans les droits maritimes. Je travaille avec des P&I Clubs depuis des années et ceci n’est pas mon premier cas. J’avais aussi été l’avocat de l’assureur de MV Benita ainsi que plusieurs autres navires venant à Maurice lorsqu’il y a des ‘casualties’, de morts d’homme ou des personnes malades. Quand un navire a causé des dégâts à l’environnement dans la juridiction où il se trouve, ses propriétaires et son assureur y ont droit à une assistance légale. C’est aussi simple que cela. Il n’y a rien qui contredit mes positions comme député de l’opposition.

 

Q : Comment allez-vous réagir au Parlement quand il y aura des questions y relatives ?

Par éthique, je n’ai pris et ne prendrai pas de position pour la bonne et simple raison que je ne pourrai pas être en conflit avec moi-même. Mais rien ne m’empêche de jouer mon rôle de l’opposition.

 

Q : Certains vous qualifient pourtant d’antipatriote. Cela vous embête-t-il ?

C’est tout le contraire qui est vrai. L’assureur est japonais et le Japon, on le sait, est la quatrième puissance mondiale sur le plan économique. Mon rôle en tant qu’avocat de l’assureur c’est d’étudier les réclamations faites par le gouvernement. On paiera tout ce qui est justifié. Il n’y a rien d’antipatriotique dedans. Ce n’est pas l’assurance qui a causé le naufrage du navire. Il y a une enquête en cours pour savoir qui en est le responsable.

 

Q : L’enquête est-elle presque bouclée ?

L’enquête est complexe et elle se poursuit. Elle comporte plusieurs volets. Les autorités panaméennes enquêtent parce que le navire battait pavillon panaméen. Il y a aussi une enquête maritime, en sus de l’enquête policière, chez nous. Ensuite il y a également l’enquête que doit mener la ‘Court of Investigation’. Si les représentants de l’assurance sont appelés à déposer, on le fera. Il faut savoir que plusieurs experts ont été envoyés à Maurice par l’assureur. On aide grandement à restaurer l’écologie.  Il y a un nettoyage extraordinaire qui se fait dans le sud du pays.

 

Q : Le gouvernement n’y est pour rien ?

Ce sont des équipes retenues par l’assureur qui assurent le nettoyage. Des tonnes de déchets qui n’ont rien à voir avec le déversement d’huile ont été enlevés. L’assurance et les experts qu’elle a engagés ont fait un travail énorme et formidable. Quand le public s’y rendra, il verra qui sont les patriotes et qui sont les antipatriotes.

 

Q : Insinuez-vous que ce soit le gouvernement qui est antipatriote ?

Non. Malheureusement à Maurice, il y a une méconnaissance des droits maritimes. 95% des accidents de navires sont causés par erreur humaine. On saura, dans le cas actuel, qui était en tort une fois l’enquête bouclée. Le peuple mauricien doit comprendre que la trajectoire suivie par le Wakashio est aussi celle qu’utilisent environ 2500 à 3000 autres navires. C’est une trajectoire normale…

 

Q : Sauf que le Wakashio a dévié de son trajet !

On veut savoir pourquoi il a dévié et comment il a atterri sur les récifs de Maurice. L’enquête se poursuit.

 

Q : Combien de temps durera l’enquête, selon vous ?

Cela peut prendre beaucoup de temps. Comme je l’ai dit, c’est un cas très complexe. C’est la première fois d’ailleurs qu’on a eu un cas pareil. On en tirera tous des leçons. Ceci dit, il nous faut aussi nous inspirer de ce qui s’était passé avec le MV Benita qui avait heureusement n’avait provoqué qu’un léger ‘oil spill’ après son naufrage. Le plus triste, c’est que malheureusement, la partie sud du pays a été affectée. Je prie pour que la nature reprenne ses droits, mais aussi pour qu’on puisse donner le maximum d’aide possible que ce soit au niveau de l’assureur, du propriétaire, du gouvernement mauricien dans l’intérêt de l’écologie et de l’environnement.

 

Q : Quels sont les engagements pris par l’assureur ?

Le nettoyage en est un. Je tiens à rappeler que le propriétaire du navire a présenté ses excuses à la population mauricienne. Le gouvernement japonais, ne l’oublions pas, aide énormément son homologue mauricien au niveau de plusieurs projets, dont ceux ayant trait à la pêche, et il se sent très concerné par ce drame. Des enquêteurs ont d’ailleurs été envoyés à Maurice par le gouvernement japonais.

C’est une catastrophe qui est arrivée et il ne faut pas qu’il y ait de ‘blame game’. Le pays a été affecté. Le gouvernement japonais, en tant que partenaire de Maurice, nous apporte son aide. Il faut maintenant remédier à la situation.

 

Q : Le fait que la boîte noire n’a enregistré aucun appel de la NCG entre 18h et 19h30 apporte-t-il de l’eau à votre moulin ?

Pas vraiment. J’ai lu ce qui a été rapporté par la presse et on suit l’évolution de l’enquête. On veut que celle-ci soit faite correctement et dans les plus brefs délais. On souhaite aussi qu’il y ait des discussions pour qu’on puisse régler au maximum les réclamations.

 

Q : L’État mauricien a-t-il déjà soumis ses réclamations ?

Il y a une équipe qui travaille dessus au niveau du gouvernement. Un ‘E-Platform’ a été mis en place pour que les ‘third parties’ puissent soumettre leurs réclamations qui seront ensuite envoyées à l’assureur. Nous avons, à notre niveau, ouvert un bureau et on travaille déjà sur les réclamations reçues jusqu’ici. Il y en a qui sont faciles à régler. Mais il y en a d’autres qui exigent des négociations ou des médiations poussées. On espère trouver des solutions à l’amiable, cela dans l’intérêt des deux parties. On ne souhaite pas qu’elles se terminent dans une cour de justice. Sinon elles prendront le temps qu’elles prendront.

 

Q : Donnez-vous la garantie que les parties mauriciennes ne seront pas plus pénalisées qu’elles l’ont déjà été ?

Tout le monde est pénalisé et affecté, que ce soit l’assureur ou le gouvernement mauricien. Ce n’est pas un ‘commercial dealing’. Tout dépendra du rapport des experts…

 

Q : On croirait entendre le Premier ministre !

Non, mais c’est vrai ! Je le redis : c’est une affaire très complexe. Il n’y a que les experts qui pourront déterminer l’étendue des dégâts.

 

Q : Après des cas de corruption et de blanchiment d’argent, Maurice est maintenant cité dans le cas Hathras en Inde. Qu’est-ce qi ne va pas avec notre juridiction ?

Il y a eu, au fil des années, plusieurs articles de presse qui ont fait état des cas de blanchiment d’argent. Il faut savoir que le ‘hawala’ est un système bien rôdé à travers le monde. Aucun pays n’en est à l’abri. Mais il faut des garde-fous. On avait annoncé la mise sur pied d’une « Financial Crime Commission » depuis 2015, mais on n’en a pas vu jusqu’ici. Nous avons soulevé la question lors de nos interventions parlementaires.

Cette instance devait combattre la corruption, le blanchiment d’argent, mais aussi établir des ‘guidelines’ et des ‘frameworks’ que l’ICAC n’arrive malheureusement pas à faire parce qu’elle n’a pas les compétences voulues. Cette dernière fait aussi face à un manque de personnel. Pire, l’ICAC n’a pas de crédibilité que ce soit au niveau local et international.

L’institution d’une « Financial Crime Commission » suivie de la mise sur pied d’une « Financial Crime Court », dirigées par des personnes de calibre, même des étrangers s’il le faut, aurait envoyé un signal fort aux organisations internationales. La « financial crime division » qui existe actuellement au niveau de la cour suprême et de la cour intermédiaire ne change malheureusement pas grand chose.

 

Q : Notre incapacité à envoyer ce « signal fort » ne nous décrédibilise-t-elle pas davantage aux yeux de l’Union Européenne suivant notre inclusion officielle sur sa liste noire ?

En effet ! Il faut savoir que pour ces types d’offenses, les preuves peuvent être détruites très rapidement. Ce qui rend impossible la traçabilité de la chaîne de personnes impliquées. Raison pour laquelle il faut une commission très efficace, avec l’apport des technologies de pointe, des enquêteurs de calibre, d’un réseau solide au niveau international, des accords et des « mutual legal assistance », pour mener et boucler des enquêtes dans une « time frame » définie. Ce n’est qu’alors qu’on enverra ce signal fort.

 

Q : Mais n’est-ce pas difficile d’envoyer ce signal très fort quand le Premier ministre lui-même se retrouve au centre des allégations très graves dans l’affaire Angus Road ?

Nous sommes dans un État de droit. Quand des allégations sont faites, il faut qu’il y ait une enquête. L’ICAC, soulignons-le, peut initier une enquête rien que sur la base d’une simple lettre anonyme.

 

Q : Il paraît que l’ICAC enquête dessus depuis 2011 ?!

En cas de l’institution d’une « Financial Crime Commission », des dispositions de la loi pourraient être incluses pour statuer que l’enquête se fasse en toute transparence et que les auditions se fassent en public, comme en Angleterre et en Amérique. Il est aussi primordial qu’on ait une « Freedom of Information Act ». La perception publique veut qu’il n’y ait pas de transparence au niveau de l’information. Il faut que la presse mène des enquêtes ou que l’Opposition interpelle le gouvernement au Parlement pour avoir des informations. Or, l’accès à l’information est important et permettra au peuple de tirer ses propres conclusions.

Il n’y a eu point de transparence concernant l’octroi des gros contrats. On ne sait même pas sur quels critères des hôtels ont été choisis pour être convertis en centres de quarantaine. Il en est de même concernant l’affaire Angus Road. On s’attend à ce que le Premier ministre, qui est un homme public, vienne donner sa version des faits suivant les révélations de Roshi Bhadain pour qu’on puisse analyser qui a raison et qui a tort.

Q :  Pourquoi l’Opposition parlementaire ne se fait-elle pas suffisamment entendre sur la question ?

On suit les révélations faites par Roshi Bhadain et on en prend note. Je tiens à préciser que le leader de l’Opposition a adressé une lettre au Premier ministre pour lui demander de rappeler le Parlement en toute urgence. Dans un État de droit, le rôle de l’Opposition n’est pas d’attaquer le Premier ministre à travers la presse ou par personne interposée. On le fera au Parlement puisque c’est une question d’intérêt public.

 

Q : S’il ne répond pas en prétextant qu’il y a une enquête en cours ?

La population le jugera alors.  

 

Q : Mais comment l’Opposition va-t-elle accentuer la pression sur le Premier ministre s’il ne réagit pas ?

On le fera d’abord au Parlement et puis sur le terrain à travers nos campagnes d’explication.

 

Q : Y en a-t-il actuellement ?

Le PTr, le PMSD et le MMM sont des partis qui existent depuis longtemps et qui sont bien rôdés. Il y a des régionales et des instances au sein desquelles plusieurs sujets sont évoqués. Mais il ne faut pas être démagogique dans notre approche. En tant qu’avocat, je ne m’aventurerai pas personnellement à attaquer une personne sans l’avoir écouté. Il me faut les deux versions pour tirer mes propres conclusions.

 

Q : Pas de quoi donc pour que l’opposition démissionne en bloc ?

Je respecte l’opinion de mon ami Roshi Bhadain mais je ne le partage pas. Il est le leader d’un parti et il a sa propre stratégie politique. J’aurai souhaité qu’il soit au Parlement, mais il ne l’est pas. Nous sommes dans une démocratie et nous devons fonctionner selon la Constitution. Il avait lui-même démissionné en 2017 à cause du métro. Il a non seulement perdu son siège, mais le métro est sur les rails et a beaucoup de passagers. Le gouvernement a même gagné les élections à cause du métro.

Si le gouvernement n’a pas démissionné quand 150 000 personnes sont descendues dans la rue, pensez-vous qu’il donnera des élections générales si 22 ou 26 députés de l’Opposition démissionnent ? Au contraire, on fera son jeu. Certains pensent qu’on ne veut pas démissionner parce qu’on est attaché aux sièges et aux privilèges de député. Mais il nous faut être responsable. On a un devoir envers ceux qui nous ont élus. Dans ma circonscription par exemple, on insiste pour que je sois au Parlement pour poser des questions. On me dit d’ailleurs que l’opposition ne doit pas faire de ‘walk out’ pour laisser le champ libre au gouvernement.

Si l’opposition parlementaire n’était pas unie, il n’y aurait pas eu de révocation d’Ivan Collendavelloo. Le méga-scandale concernant l’« Emergency Procurement » pendant le confinement a aussi été révélé à travers des questions parlementaires. On fait notre travail. Le rôle de l’opposition ne se limite pas uniquement à voter ou non des lois, mais aussi de faire entendre la voix de la population. C’est ainsi que fonctionne la démocratie.

Je pense que le MSM aurait été extrêmement content qu’on démissionne. S’il ne met pas de candidats en cas de partielles et que l’opposition est réélue, qu’est-ce que cela change ? Va-t-on redémisisonner à chaque fois ? C’est insensé. Plus grave, si le gouvernement cible ne serait-ce que deux circonscriptions et qu’il remporte ces deux sièges en s’appuyant sur la « money politics », il en sortira comme le grand gagnant. Pourquoi devrons-nous aider consolider sa majorité ?

Nous fonctionnons selon les principes de base de la démocratie. Les échéances des élections villageoises et des municipales arrivent. On exigera pour que le gouvernement donne ces élections. On pourra alors juger de la popularité du gouvernement en régions urbaines et rurales.

 

Q : Le ministre des Finances a évoqué une « reprise économique ». La voyez-vous, et surtout la sentez-vous, cette reprise ?

S’il y en avait, on serait tous contents en tant que patriotes. Je ne vois cependant pas de quel bâton magique dispose le ministre des Finances. Nous sommes en récession avec une contraction économique de -15%, l’exportation a baissé par 40%, les secteurs textile et sucrier sont à genoux alors que le tourisme passe par une crise sans précédent. D’ailleurs, notre économie se trouvait dans une situation extrêmement difficile même avant la Covid-19.

Je suis perplexe par la réflexion du ministre Padayachy. Je lui aurais dit chapeau s’il arrivait effectivement à le faire, mais la réalité est différente sur le terrain. La MIC aide le secteur touristique à coups de milliards de roupies, mais par contre, il n’y a rien pour venir en aide aux petits entrepreneurs. Je demande au ministre des Finances de quitter le confort de son bureau et de marcher jusqu’à la DBM ou les autres banques commerciales pour constater les difficultés auxquelles font face les entrepreneurs pour obtenir un emprunt.

Il faut un plan adapté aux entrepreneurs pour qu’ils puissent contribuer au redémarrage de l’économie. N’oubliez pas qu’il y a de nombreux ‘self-employed’ qui ne sont pas officiellement enregistrés comme chômeurs mais qui n’arrivent plus à travailler pour diverses raisons. La situation est extrêmement difficile et ce n’est la politique politicaille qui la changera. Je souhaite que la position du ministre Padayachy ne nous mène pas droit vers une crise sociale.

 

Q : Quelles solutions proposez-vous ?

La solution est politique, soit à travers les urnes. C’est pour cela que le PTr, le MMM et le PMSD se sont réunis. Ils se rencontrent toutes les deux semaines pour débattre des sujets spécifiques avant de venir de l’avant avec un projet de société. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire à la va-vite. On passera d’ailleurs à l’étape supérieure ce lundi.

Les Mauriciens veulent voir un changement dans la façon d’opérer de l’Opposition et l’ont démontré le 29 août dernier. On en est conscient. Le PTr, MMM et PMSD ont beaucoup aidé au développement du pays et continueront à le faire. Si Ramgoolam, Duval, Bérenger et Boolell étaient au gouvernement, la situation n’aurait d’ailleurs pas été telle qu’elle l’est actuellement.

Nous viendrons de l’avant avec des propositions concrètes pour un projet de société. Le gouvernement présentera les siennes. Ce sera alors au peuple de faire son choix.