Faizal Jeerooburkhan, qui est l’une des têtes pensantes de « Think Mauritius », exprime ses craintes de voir le pays pâtir davantage au cas où le gouvernement ne change pas d’orientation et de stratégie. Il serait souhaitable, dit-il, que le pays soit rappelé aux urnes. Il évoque aussi la nécessité que la Constitution soit revue, entre autres.
Zahirah RADHA
Q : « Le peuple mauricien pe souffert », a dit le Cardinal Piat dans son homélie, mardi. Partagez-vous cet avis ?
Absolument ! Le pays fait actuellement face à énormément de problèmes. La situation est très critique, que ce soit sur le plan social, économique et environnemental.
Q : Quels sont les facteurs qui nous ont poussés dans cette situation critique ?
Le plan social est miné par des problèmes comme la pauvreté, la drogue et l’insécurité, entre autres. En fait, la liste est trop longue.
Sur le plan économique, il y avait déjà une série de problèmes, mais ils s’aggravent davantage avec la Covid-19 et le Wakashio. Le niveau de la dette publique, la balance de paiements et l’inflation auront un impact conséquent sur la vie des citoyens. Avec la dévaluation de la roupie, le Mauricien moyen aura des difficultés pour joindre les deux bouts, surtout dans les mois et les années à venir.
Le pays se retrouve en danger sur le plan environnemental également. Des projets sont concrétisés sans que l’aspect de durabilité ne soit pris en compte. Ce qui fait que les espaces vertes disparaissent. Avec les effets du changement climatique viennent maintenant s’ajouter les problèmes d’inondations et de sècheresses. Si le lagon, les espaces vertes et les forêts sont détruits et que les plages sont érodées, le tourisme sera également affecté. On joue avec le capital naturel qu’on a, et dont on a besoin, pour attirer les touristes. Malheureusement, on ne fait rien pour protéger l’environnement, sauf détruire notre capital naturel et humain. C’est absolument grave. Le pays se retrouvera à genoux sur tous ces plans dans les années à venir.
Q : Le pire est donc à venir ?
C’est ce que je pense. Si le gouvernement reconnaît avoir fait quelques bêtises et qu’il décide de changer son orientation actuelle pour que le pays progresse, il y aura une chance pour qu’il se rattrape. Mais le pire viendra certainement si le gouvernement campe sur sa position et s’il persiste à rester insensible à l’appel du peuple, surtout s’il est animé par des arrière-pensées, c’est-à-dire s’il protège ses intérêts personnels ou de ceux d’un petit groupe et du capitaliste.
‘Think Mauritius’ a envoyé une lettre au Premier ministre pour lui dire qu’on lui faisait confiance, qu’on apprécie certaines des mesures qu’il a prises, mais qu’il va désormais dans la mauvaise direction. Il peut toujours se ressaisir et rectifier le tir. Malheureusement, il semble que le Premier ministre n’est pas disposé à le faire. S’il ne se ressaisit pas et qu’il reste au pouvoir pendant encore quatre ans, le pays pâtira terriblement. Ce sera un désastre pour le pays.
Q : Les récentes marches citoyennes ont permis à la population d’exprimer son ras-le-bol. Est-ce le début du printemps mauricien ?
Je crois que oui. La population est restée docile pendant un bon bout de temps. Elle a observé et a accusé le coup. La pression est montée jusqu’à ce qu’elle explose finalement, suite au déclic créé par Bruneau Laurette. Le peuple a pu exprimer son mécontentement et ses préoccupations, tout en dénonçant la façon dont le pays est géré. Il était grand temps qu’on le fasse et je pense qu’on peut effectivement parler de printemps mauricien.
Q : Certains réclament la dissolution du Parlement et un rappel aux urnes. Est-ce souhaitable ?
Il aurait été absolument souhaitable que le Premier ministre rappelle le pays aux urnes, surtout là où on est arrivé sur les plans social, économique, environnemental et même moral. 150 000 personnes représentent quand même une proportion importante du nombre de votants. N’oubliez pas que le gouvernement a été élu avec seulement 37% des voix. Il y a clairement un déséquilibre. Le plus grand fautif demeure notre Constitution. Elle doit être parmi les premières priorités à revoir si l’on veut vraiment changer le système.
Q : Êtes-vous interpellé par la façon dont le Premier ministre a réagi suivant la marche du 29 août ?
J’ai été très déçu par sa réaction. Cela aurait dû être une occasion pour que le Premier ministre vienne de l’avant pour dire qu’il n’a peut-être pas concrétisé son programme comme il le fallait, qu’il a été à l’écoute de la population, qu’il a été interpellé et qu’il prendra des actions correctives, tout en expliquant comment il compte faire les choses différemment. Malheureusement, ce n’est pas ce qu’il a fait. Son attitude trahit son désintéressement des affaires du pays. Et cela est très grave pour un Premier ministre.
Q : Qu’est-ce que ce désintéressement du Premier ministre augure pour le pays ?
Cela résultera en une dégradation de la situation sur tous les plans, incluant celui de la moralité. Si ceux qui sont censés donner l’exemple agissent d’une façon immorale, la population développera également cette culture d’immoralité, d’impunité et de népotisme. L’on a aussi des doutes sur la façon dont la drogue entre au pays. Rien n’a été fait suivant le rapport Lam Shang Leen. D’ailleurs, selon certains articles de presse, si ces recommandations avaient été appliquées, il n’y aurait pas eu de Wakashio aujourd’hui.
Le Premier ministre a un ego extraordinaire. C’est ce qui l’empêche de reconnaître ses torts. S’il ne l’avait pas, il aurait démontré qu’il était ‘wise’. Pire, il est entouré d’un groupe de charlatans qui ne font que le mal conseiller. Finalement, au lieu qu’il s’ouvre à la population, il se renferme davantage. C’est un mauvais signe pour notre pays.
Q : Il est beaucoup question d’un changement du système. Qu’est-ce que cela implique ?
Valeur du jour, on ne peut pas simplement retirer un groupe pour le remplacer par un autre qui a aussi été mauvais dans le passé. Ils ont déjà développé cette culture de népotisme, de favoritisme et de protectionnisme. Ce qu’il nous faut, c’est d’effacer et de refaire…
Q : Comment peut-on effacer et refaire ?
Je pense qu’il nous faut commencer par un forum où l’élite apolitique mauricienne est appelée à proposer ses idées. Au ‘Think Mauritius’, il y a déjà une série de propositions qu’on peut faire. Tout changement de système doit d’abord commencer par un changement de Constitution. Celle-ci comporte beaucoup de faiblesses. Par exemple, si on avait déjà changé le système de ‘First Past The Post’, Jugnauth ne se serait pas retrouvé à la tête du gouvernement avec seulement 37% des voix. Les gouvernements successifs ne l’ont pas changé parce qu’il leur arrange.
Le fonctionnement des partis politiques doit aussi être revu. Il nous faut également une démocratie participative au lieu d’une démocratie représentative comme on en a actuellement. Mais bien entendu, cela requiert des discussions avant qu’il ne soit mis en place. Il faut aussi s’assurer que la démocratie, la méritocratie et la bonne gouvernance priment. Je n’en vois pas sous le gouvernement actuel.
La limitation du mandat premier ministériel doit être réduite à deux et il faut en finir une fois pour toute avec le système de dynastie. La tenue des élections ne doit pas être la prérogative du Premier ministre. Il faut aussi revoir le système des nominations. La mise sur pied des ‘parliamentary commitees’ comme il y en a en Angleterre est souhaitée. Je pense également qu’il faut des paramètres concernant la nomination des conseillers. « Tou marsan poisson pas kapave vine conseillers ».
Q : Le rôle de l’opposition ?
L’opposition doit revoir sa copie. Ces trois partis politiques doivent d’abord revoir leur gestion. Les leaders de ces partis ont déjà contribué au développement du pays et on les remercie, mais il est temps pour qu’ils se mettent en retrait. Il faut un changement d’idéologies, de stratégies, de politique et de leadership. Il faut une nouvelle équipe pour prendre la relève. Mais bien sûr, on ne peut pas laisser le pays uniquement entre les mains des jeunes. C’est pour cela qu’il faut un bon mixte de ceux qui ont de l’expérience et des jeunes qui ont vraiment l’intérêt du pays à cœur.
Il est primordial qu’un système de référendum soit inclus dans toute nouvelle Constitution. Si un élu ne fait pas son travail convenablement ou qu’un gouvernement n’a plus le soutien et la légitimité du peuple, il faut qu’ils puissent être bottés hors du pouvoir à la suite d’un référendum. S’il existait déjà, le gouvernement actuel ne serait plus au pouvoir. Quatre ans de plus avec ce gouvernement et le pays sera foutu. La mise sur pied d’un conseil des sages est tout aussi recommandée et s’avère même très importante. Il pourra d’ailleurs agir en tant que ‘caretaker government’ au cas où le gouvernement est appelé à se dégager.