[VIDÉO] Hanzalia,12ans, fille d’Iqbal Toofany : «Ene mélange de tristesse et de colère »

Le jugement est tombé  lundi dernier devant la cour intermédiaire. Les trois policiers sur qui pesait une accusation de torture ayant conduit à la mort d’Iqbal Toofany, 43 ans au moment de son décès, ont été acquittés. Depuis la disparition d’Iqbal, sa famille a été forcée à vivre dans des conditions pénibles, mais remonte lentement la pente. Les membres de la famille affirment leur détermination de continuer leur combat, et demandent au DPP de bien vouloir considerer la possibilité de faire appel de ce jugement.

Pour rappel, Iqbal Toofany avait trouvé la mort en mars 2015 dans des circonstances troublantes, apparemment au poste de police de Rivière-Noire. Cinq policiers avaient été poursuivis à l’origine sous une accusation de « torture by public official ».

Mais après le décès des policiers Ghislain Gaiqui en décembre 2019, et Johny Laboudeuse, en janvier 2019, seulement trois policiers répondaient d’une accusation de torture contre Iqbal Toofany. Il s’agit du sergent Vikash Persand et des constables Jean François Numa et Joshan Raggoo.

Lundi dernier, la magistrate Niroshini Ramsoondar, siégeant en Cour intermédiaire, a prononcé l’acquittement des trois policiers pour insuffisance de preuves.

Yousouf Toofany : « Zot pu faire face à la justice divine »

La mort d’Iqbal a laissé un grand vide dans la famille Toofany. Nous sommes allés à Vacoas à la rencontre de Yousouf Toofany, le père de la victime, qui est pensionnaire.

La tristesse causée par la mort de son fils se lit toujours sur son visage. Il appelait Iqbal affectueusement ‘Mamad’, et cela depuis son enfance. Yousouf Toofany nous explique que depuis la disparition de son fils unique, sa vie a basculé. Il raconte qu’Iqbal était un homme gentil, discipliné et n’avait aucun vice.

Le pensionnaire doit maintenant travailler pour subvenir aux besoins de la veuve d’Iqbal et de ses trois filles. Il effectue de petits boulots et puise dans sa pension de vieillesse pour soutenir sa famille. « J’ai endossé cette responsabilité car je ne voulais pas voir ma famille en train de souffrir financièrement », nous explique Yousouf.

Il revient sur le jour où il a appris le décès de son fils. « La police in batte Iqbal, in touye li », devait lui informer un ami lors de son arrivée à l’hôpital Victoria à Candos. À ce moment-là, il ne savait quoi faire. « Depuis ce jour, je suis toujours sous le choc car j’étais très attaché à mon fils », nous dit-il.

Pour Yousouf Toofany, il y a toujours eu des choses pas très claires sur les circonstances entourant la mort de son fils. « Ban cameras dans hôpital Candos in aret travail. Kuma zis kan ena la mort mo garson ki ariv sa ? », s’insurge-t-il.

En ce qui concerne l’acquittement en cour des trois policiers, qui avaient été accusés de « torture by public official » sur son fils, Yousouf Toofany nous affirme qu’il ne s’attendait nullement à un tel verdict. « Mo ine lutte 5 ans pour ki la justice triompher. Tou sala ine alle dan dilo. Ki kalité la justice sa ? », lance-t-il d’une voix tremblante. « Ki preuve zot bizin encore ? 14 places in gagn disang caillé dans so lekor », assène-t-il. « Ena conte pu rander sa, zot pu faire face à la justice divine. » 

Yousouf ne compte pas rester les bras croisés. Il demande au Directeur des poursuites publiques (DPP) de faire appel contre ce jugement. Il annonce aussi la tenue d’une marche pacifique dans les jours à venir.

Nous nous tournons vers la mère du défunt, qui est maintenant clouée au lit  depuis deux ans déjà, des suites des complications de santé. Elle a toujours vécu dans un état d’accablement et de déprime depuis le décès de son fils. Elle s’attendait à ce que justice lui soit rendue. C’est son mari, Yousouf Toofany, qui prend soin d’elle la plupart du temps.

Amira Bibi Toofany, 41 ans, est la veuve d’Iqbal Toofany. À cet âge-la, être veuve n’est pas chose facile.  Depuis cinq ans, elle réclame justice pour son mari. Amira a déjà participé dans une grève de la faim au jardin de la Compagnie  à Port-Louis après la mort d’Iqbal.

Elle nous confie que c’était vraiment un coup dur pour elle après sa mort, en raison des problèmes financiers. Femme au foyer, elle a même commencé à travailler pour pouvoir soutenir sa famille.

Elle a ainsi dû trouver de l’argent pour les dépenses scolaires de sa fille benjamine, Hanzalia Toofany, aujourd’hui âgée de 12 ans. Sa fille cadette a aussi commencé à travailler après avoir complété ses études secondaires, car sa famille n’avait pas les moyens pour financer ses études tertiaires. Elle a été recrutée récemment dans une compagnie et elle effectue souvent le ‘Night Shift’. Sa fille aînée a, quant à elle, pu achever ses études universitaires et travaille pour soutenir sa famille.

Amira Toofany garde toujours l’espoir que son mari obtiendra justice, un jour ou l’autre.

Hanzalia Toofany nous fait part de ses émotions. Le jugement de la cour l’a profondément bouleversée depuis lundi. « J’ai ressenti un mélange de tristesse et de colère quand j’ai appris cette nouvelle », nous dit-elle.

Cette étudiante du collège Lorette de Quatre-Bornes de 12 ans garde toujours les évènements entourant la mort de son père en tête. Elle était âgée de 7 ans lorsque son père avait inopinément quitté le monde. « La première année après le décès de mon père était très pénible, mais avec le temps, les blessures finissent par se cicatriser », relate-t-elle

Les moments forts passés avec son père resteront gravés à jamais dans sa mémoire. Elle raconte comment son père lui apprenait à conduire dans une rue près de leur maison. « Mo papa ti déjà acheter bonbons, mais li mem lin mange tou bonbons. Mo ti extra en colere, mais lin convaincre moi après », se remémore la jeune fille avec un petit sourire.

Elle a aussi lancé a l’intention de ceux qui ont une responsabilité dans la mort de son père : « La vie ene Karma. » Hanzalia Toofany nous confie qu’elle rêve de devenir vétérinaire plus tard.

Le calvaire d’Iqbal Toofany

Une vidéo du corps sans vie d’Iqbal Toofany avait été circulée sur les réseaux sociaux à l’époque de son décès, et les images montrent que l’homme a vraisemblablement reçu plusieurs coups sur son corps. Ces images avait alors provoqué un tollé parmi toute la population, choquée par ces blessures atroces.

En janvier 2020 : le médecin-légiste en chef de la police, le Dr. Sudesh Kumar Gungadin, qui avait pratiqué l’autopsie sur Iqbal Toofany, avait dépose en cour. Il devait indiquer que la victime avait succombé à une « pulmonary œdema caused by hypovolemic shock following soft tissues injuries ». C’est-à-dire qu’elle avait perdu beaucoup de sang, soit un tiers.

Le médecin-légiste avait relevé pas moins de quinze blessures externes sur le corps du défunt. Certaines de ces blessures étaient sur la plante du pied gauche. Le médecin a expliqué à la cour qu’Iqbal Toofany aurait reçu plusieurs coups violents à cet endroit du corps, une forme de torture utilisée par la police connue comme ‘falanga’. Il a formellement écarté toute thèse de blessure accidentelle.

En outre, un gardien avait affirmé à l’époque dans les medias qu’il s’était rapproché du mur d’enceinte du poste de police et de là, il devait apercevoir Iqbal Toofany subir un calvaire aux mains des policiers. « Banla ti pe tape so latet kont miray… Zot ti pe pile so latet ar miray, aller vini », avait affirmé cet homme.