Il avait été aux côtés de sir Anerood Jugnauth pour créer le MSM en 1983. Armoogum Parsuramen, l’un des plus jeunes ministres à l’époque, dit ne plus reconnaître le MSM d’aujourd’hui. Et blâme Pravind Jugnauth pour avoir dévié le parti de ses idéologies…

Zahirah RADHA 

 

Q : Vous avez été politicien, un des fondateurs du MSM, ministre et vous êtes actuellement très engagé dans le social. Qu’est-ce qui vous a poussé à participer à la marche du 13 février ?

L’humanisme a toujours été au centre de toutes mes actions. Je n’aime pas les injustices. Quand j’en vois, je réunis toutes mes énergies et tous mes moyens pour les combattre. Je ne peux pas rester insensible face à ce qui se passe dans le pays, d’autant qu’on a franchi toutes les limites. Tous les livres sacrés, fussent-ils la Bible, le Coran ou le Bhagavad Gita, ainsi que les grandes personnalités qui m’inspirent nous ont appris qu’il ne faut pas tolérer l’injustice, à moins d’en être complice. Je suis aussi blessé de voir ce qu’est devenu le parti que j’ai aidé à créer en 1983. Je ne reconnais plus le MSM. C’est donc avec conviction que j’ai participé à cette marche.

 

Q : Que signifie cette marche sur les plans social, économique et démocratique ?

J’ai vécu beaucoup d’événements politiques, surtout avec la mouvance de 1982. Je suis donc en position d’affirmer que la foule de samedi dernier était différente de celles que j’ai connues car elle était vraiment en colère. Je constate d’abord qu’elle était constituée de la nation arc-en-ciel. Certains, je sais, s’attendaient à ce qu’une communauté n’y soit pas, mais elle était bel et bien présente. Cette marche a été un grand succès parce qu’elle n’a pas été politisée. Ce facteur a été déterminant pour galvaniser des gens qui ont à cœur l’intérêt du pays, incluant la diaspora mauricienne. Les manifestants n’étaient pas des frustrés. Malheureusement, le frustré n’est autre que Pravind Jugnauth lui-même. Il est clair, pour moi, que c’était un grand événement qui sera déterminant et je suis sûr qu’il mènera vers une solution.

 

Q : Quel genre de solution ?

C’était un message très fort en faveur de la liberté, la démocratie et la bonne gouvernance. Ce qui est extraordinaire, c’est que ce message n’était pas destiné uniquement au gouvernement, mais aussi à tous les dirigeants, dont ceux du passé, du présent et aussi du futur. Un message visant à leur faire comprendre que le peuple n’acceptera pas qu’ils dépassent les bornes. Bien entendu, le problème ne pourra pas être résolu tout de suite. Mais je suis personnellement d’avis que cette marche a créé un impact et qu’elle engendrera d’autres répercussions si le gouvernement ne change pas sa façon de faire. Il ne faut pas oublier qu’il y a actuellement une bataille sur plusieurs fronts : celle des Avengers d’une part et les mobilisations de l’autre. Tout doit être canalisé vers un objectif commun. Si on arrive à les galvaniser tous, ce sera positif pour l’émergence d’une nouvelle société mauricienne.

 

Q : Le Premier ministre a-t-il donc eu tort de mettre cette marche sur le compte de quelques frustrés ?

(Haussant le ton) C’est lui qui est frustré parce qu’il sait qu’il ne peut pas réunir une telle foule. Je le défie de galvaniser une telle foule ! Il n’y a eu ni briani, ni transport, ni billets, ni d’autobus remplis de Bangladais. Cette nation arc-en-ciel s’est déplacée par sa propre volonté et ses propres moyens pour venir y participer. Pravind Jugnauth doit cesser d’être arrogant, car l’arrogance est le pire ennemi de celui qui est au pouvoir. C’est un Premier ministre qui ne sert pas d’exemple. C’est malhonnête de sa part d’utiliser une plateforme socio-culturelle pour déverser sa bile sur ses opposants. Malgré tout le respect que j’ai pour l’Arya Samaj et pour l’énorme travail qu’il a accompli, je suis étonné qu’il lui a permis d’utiliser cette plateforme pour faire des attaques qui ne reflètent pas sa philosophie.

 

Q : Il n’y a pas que l’Arya Samaj, mais bien d’autres plateformes socio-culturelles dont se sert Pravind Jugnauth pour régler ses comptes. Est-ce une ruse ?

Bé oui ! Il a une visée politique et il tente de faire croire qu’il y aura la division et l’instabilité alors que le combat est tout autre. En 2014 d’ailleurs, Anerood Jugnauth avait pris l’engagement de ne pas prendre la parole lors des fonctions socio-culturelles. Pourtant, ces fonctions sont aujourd’hui utilisées à outrance. Si certaines de ces associations refusent de donner la parole aux politiciens, d’autres n’ont pas le courage de le faire. C’est pour cela qu’il faut introduire un code d’éthique.

 

Q : Quoi qu’il en soit, le Premier ministre dit qu’il ira jusqu’au bout de son mandat. Marche ou pas, ce sont les urnes qui déterminent le gouvernement, n’est-ce pas ?

Si Pravind Jugnauth pense vraiment que son gouvernement a été élu sans qu’il n’y ait eu de maldonnes, il aurait dû s’assurer qu’il n’y ait pas de ‘delaying tactics’ au sein de la majorité concernant les pétitions électorales. Il aurait dû tout faire pour aider la Cour et de rétablir au plus vite sa légitimité. Qu’il ne se tape pas l’estomac tant que la Cour n’établisse pas qu’il a eu un mandat clair ! C’est un signe de faiblesse et de manque de légitimité qui le fait tenir ce genre de langage. Heureusement qu’il n’a pas eu trois-quarts de sièges, sinon il aurait fait pire. Le « Prosecution Commission Bill » aurait pu être voté s’il disposait d’une majorité de trois-quarts.

Il a déjà perdu un siège avec la démission de Nando Bodha du gouvernement et du MSM. C’est pour cela qu’il a serré toutes les vis, en s’assurant que tous les députés de la majorité viennent de l’avant pour le tarir d’éloges. Il veut tout contrôler alors qu’en réalité, il n’est même pas le chef à bord. C’est pour cela que Bodha a parlé de dysfonctionnement, de cercle hermétique et de pouvoir cadenassé. Tous les témoignages démontrent qu’il n’est pas aux commandes. C’est aberrant. J’ai beaucoup d’amertume pour ce qu’il a fait au MSM.

 

Q : Comment interprétez-vous la façon dont il a réagi au départ de Nando Bodha ? A-t-il sous-estimé ce dernier ?

Encore une fois, c’est son arrogance qui l’a fait réagir ainsi. Il a certainement sous-estimé le départ de Nando Bodha. Outre d’être un fin communicant, celui-ci comptait de longues années au sein du MSM. Li pas ene n’importe ! Voyez-vous comment il fait roussir Pravind Jugnauth à petit feu avec ses vidéos explicatives ? Il ne faut pas oublier que les Mauriciens ont rejeté sir Seewoosagur Ramgoolam en 1982, puis Anerood Jugnauth en 1995. Navin Ramgoolam, Pravind Jugnauth et Paul Bérenger ont aussi perdu aux élections. Pravind Jugnauth a donc tort de croire qu’il est tout puissant.

 

Q : Il dit avoir été élu successivement aux élections depuis 2009…

Il a déjà perdu auparavant et tout le monde le sait. S’il n’avait pas dépensé des millions de roupies au no. 8, comme on l’a vu avec les Kistnen Papers, aurait-il été élu ? Il laisse parler son arrogance. Une arrogance qu’il démontre aussi sur le plan diplomatique. On n’attaque pas l’Angleterre ou l’Amérique comme si on s’attaquait à l’Opposition. Des écarts de langage sur le plan diplomatique ne seront pas relégués aux oubliettes. C’est pour cela que je dis que quelqu’un qui aspire à diriger ou qui dirige déjà un pays doit pouvoir « rise above ». Ce qu’il n’arrive malheureusement pas à faire. Il n’a pas les qualités d’un Premier ministre.

 

Q : Vous dîtes regretter ce qu’est devenu le MSM aujourd’hui. Pourquoi ?

Le MSM avait été créé comme une bouffée d’air pour donner de l’espoir à la population. Le symbole soleil, considéré sacré dans beaucoup de religions, avait été choisi après mûre réflexion. À ce symbole, on avait associé le slogan « soleil pou tou dimoune ». Le MSM avait remporté trois élections d’affilée malgré toutes les difficultés. C’est ce qui a éventuellement permis au pays d’émerger. Je peux avoir des divergences sur certaines positions adoptées par sir Anerood, mais quand je travaillais à l’époque sous son ‘leadership’ et ‘primeministership’, il avait « set the example ». Il a été l’architecte du premier miracle économique, même s’il nous a par la suite vendu le rêve d’un deuxième miracle économique qui n’a jamais concrétisé. Tout cela pour vous dire que le MSM d’aujourd’hui a dévié totalement de ses objectifs. La personne qui dirige désormais ce parti n’a pas la même vision que nous avions à sa création. Anerood avait aidé à créer et bâtir le MSM alors que Pravind l’a hérité sur un plateau.

 

Q : En quoi le père est-il différent du fils ?

Le père était animé par la conviction de servir le pays alors que le fils est, lui, dicté par ses ambitions. Sir Anerood aurait dû peser le pour et le contre avant de confier la destinée du pays à son fils après 2014. C’est en Sir Anerood que le peuple avait placé sa confiance bien qu’il traite souvent ce dernier d’ingrat alors que ce dernier l’a porté au pouvoir à diverses reprises. En tant qu’une personne spirituelle et guidée par la philosophie hindoue, il n’avait pas le droit de placer les intérêts de son fils au-dessus de ceux du peuple.

 

Q : Qui est donc le vrai traître ?

Je ne le (ndlr : SAJ) traiterai pas de traître puisque j’ai beaucoup de respect pour lui. Nando Bodha et Roshi Badhain ont tous les deux évoqué les circonstances dans lesquelles le ‘primeministership’ avait été cédé à Pravind tandis que SAJ avait affirmé qu’il resterait à la tête du pays pendant cinq ans. Il a été sujet à une humiliation. Il a été coincé sur le plan familial et il a fait son choix en se jetant de tout son poids derrière son fils. Plus personne n’a maintenant le droit de parler au MSM. C’est le secrétaire général du parti lui-même qui l’a dit. Avez-vu le genre de traitement que doit subir l’épouse d’un agent du MSM qui a travaillé pour les faire élire ? Le MSM d’aujourd’hui est teinté de sang et nage dans la corruption et le népotisme.

 

Q : Le MSM avait été créé comme une alternance à l’époque. Qu’est-ce qu’il nous faut pour recréer une autre alternance aujourd’hui ?

Je ne sais pas si on verra émerger un Macron à Maurice. Je suis sûr que si quelqu’un émerge et s’il peut rallier la population derrière un projet de société correspondant aux aspirations des Mauriciens, la population le suivra. Le peuple a soif d’un renouveau. C’est le moment ou jamais pour les politiciens de revoir leur comportement et de rester humbles. Personne ne peut rester au pouvoir éternellement.

 

Q : Et l’Opposition dans tout cela ?

Elle doit faire son mea culpa pour éviter les dérapages du passé. Si les leaders politiques de l’Opposition ne revoient pas leurs stratégies dans l’intérêt du pays, les prochaines élections seront encore plus difficiles, surtout avec le ‘money politics’. Personne ne peut mobiliser autant d’argent que le MSM. Il leur faut tirer des leçons des erreurs du passé. Ils ne pourront pas faire « politics as usual ». Il y a des changements fondamentaux à apporter, comme la limitation de mandat.

 

Q : Un conseil à tous ceux qui aspirent à représenter cette alternance ?

Je pense qu’il est possible pour les organisateurs des marches, dont l’Opposition, de rallier encore plus de manifestants si, en sus de leur demander de marcher, on leur fait une série de propositions concernant les changements qu’ils souhaitent apporter aux prochaines élections, par exemple sur la limitation de mandats, la bonne gouvernance, les nominations et les lois à apporter, entre autres. L’Opposition devra impérativement apporter des changements fondamentaux pour prouver son engagement envers la population. Aura-t-elle le courage de le faire ? Pourrait-elle prendre des engagements fermes dès maintenant pour rassurer la population ? Présentera-t-elle des candidats de calibre ? L’Opposition devra regarder bien plus loin que ses intérêts personnels. Sinon, « that’s the end of it ».