Vinaye Ancharaz : « Un tournant réformiste avec une bonne dose de compassion »

Le Budget 2025-2026 n’est pas un budget comme les autres. Il marque, selon l’économiste Vinaye Ancharaz, un tournant décisif dans la manière dont le pays envisage son avenir économique, social et institutionnel. Pour la première fois depuis longtemps, il ne s’agit ni de séduire l’électorat par des mesures populistes, ni de dissimuler la gravité des déséquilibres économiques. Il s’agit, dit-il, d’un acte de rupture lucide, nécessaire — et enfin assumé.

Vinaye Ancharaz souligne d’emblée la clarté de la vision gouvernementale : « Ce budget repose sur un nouveau modèle économique articulé autour de trois piliers : la relance économique, un nouvel ordre social et la consolidation fiscale », précise-t-il. La relance économique, premier pilier, s’appuie sur une série d’interventions sectorielles : agriculture, industrie, technologies de l’information, exportations. « Le budget intègre par exemple le blueprint numérique lancé récemment, avec des mesures concrètes et des financements alloués pour accélérer sa mise en œuvre », explique-t-il. Mais l’économiste prévient : l’essentiel ne se trouve pas toujours dans le discours officiel. « Le budget lu en séance est très condensé. Pour comprendre les vraies mesures, il faut aller dans les annexes. C’est là que se trouvent les détails sur la sécurité alimentaire, le soutien aux PME, ou encore les mesures d’investissement », souligne-t-il.

Le second pilier, et probablement le plus stratégique selon Vinaye Ancharaz, est celui de la consolidation des finances publiques. « Le véritable moteur de ce budget, c’est la rigueur budgétaire. Le gouvernement veut envoyer un message fort aux institutions comme le FMI et surtout Moody’s », affirme-t-il. Il rappelle que Moody’s a récemment dégradé les perspectives de la note souveraine de Maurice, la faisant passer de stable à négatif. Un signal d’alarme : « Si un nouveau déclassement survient, ce serait catastrophique pour un pays comme le nôtre, qui repose sur la confiance des marchés financiers et des investisseurs internationaux », dit-il. Dans cette perspective, les annonces budgétaires ne sont pas seulement locales : « Elles sont aussi diplomatiques. Elles disent au monde que Maurice est prête à assainir ses comptes, à se réformer et à restaurer sa crédibilité ».

Un point d’inflexion majeur, selon lui : la réforme du système de pension universelle, que de nombreux gouvernements avaient jusque-là refusé d’aborder. « On a touché à un sujet tabou : la pension. Jusqu’ici, on recevait la pension à 60 ans, tout en pouvant travailler jusqu’à 65. C’était une anomalie. Le gouvernement aligne désormais l’âge de la pension sur celui de la retraite, soit 65 ans », résume-t-il. Il salue la méthode : « C’est une réforme introduite progressivement. Elle ne coupe pas brutalement l’accès aux droits. Ceux qui ont 60 ans cette année recevront leur pension, mais à partir de l’année prochaine, l’âge d’éligibilité augmentera graduellement ». Selon lui, cette réforme était inévitable. « Cela fait plus de 20 ans que la Banque mondiale alerte sur l’insoutenabilité du système dans un pays vieillissant. Aujourd’hui, il y a de moins en moins de cotisants, et de plus en plus de bénéficiaires. Il fallait rééquilibrer le système ».

Loin des politiques de distribution généralisée du passé, le budget 2025-2026 s’oriente vers une aide sociale ciblée, recentrée sur les plus vulnérables. « Le gouvernement consacre Rs 660 millions pour aider 7 000 familles enregistrées sur le Social Register of Mauritius. C’est une approche plus rigoureuse, plus équitable aussi », explique l’économiste. Concernant le revenu minimum garanti, il souligne une continuité avec des ajustements progressifs : « Les Rs 2 000 versées pour compléter les revenus jusqu’à Rs 20 000 sont maintenues cette année. Mais le gouvernement prévoit une réduction progressive l’année prochaine, jusqu’à la suppression complète. Cela se fait en douceur, pas de manière brutale ».

Côté entrepreneuriat, Vinaye Ancharaz salue la réorientation des marchés publics en faveur des PME : « Les contrats de moins de Rs 50 millions leur seront désormais réservés, avec une marge de préférence de 30 %. C’est une mesure très favorable pour le tissu économique local », affirme-t-il. Il évoque également les incitations fiscales pour les PME investissant dans l’IA et les nouvelles technologies, et les mesures de soutien à l’exportation pour les petites structures. « Cela montre une volonté de faire monter en gamme nos petites entreprises, et de les intégrer pleinement dans la transition économique du pays », juge-t-il.

Enfin, l’économiste exprime sa satisfaction quant au retour de l’économie bleue dans les priorités nationales. « Ce secteur a été négligé trop longtemps. Or, Maurice a un potentiel maritime considérable », rappelle-t-il. Il mentionne l’initiative d’une Assise de l’Océan, qui jettera les bases d’une stratégie intégrée autour de la pêche durable, de l’aquaculture, du tourisme océanique, des énergies renouvelables marines et de la finance bleue. « Il ne s’agit pas que de discours. Une feuille de route claire est en préparation, avec des mesures concrètes », ajoute-t-il.

Vinaye Ancharaz conclut sur une note d’équilibre : « Ce budget est réformiste, mais il ne sacrifie pas la dimension humaine. Il est axé sur la rigueur, oui, mais avec une bonne dose de compassion », affirme-t-il. Malgré certaines mesures impopulaires — hausse des taxes sur les véhicules, réforme des pensions — il estime que « ce n’est pas un budget qui bouscule la population de manière brutale. Il garde le cap de la réforme sans négliger les plus fragiles ». Un budget de rupture, selon lui, mais aussi un budget de responsabilité.