Violence domestique : Un fléau qui prend de l’ampleur

Deux cas de violence domestique qui ont débouché sur des fémicides (homicides de femmes) ont retenu l’attention cette semaine. Et force est de constater que les cas de violence domestique, où les femmes sont majoritairement les victimes, et qui peuvent déboucher sur la mort de ces dernières, n’ont connu aucune baisse appréciable à Maurice ces dernières années.

La violence domestique refait parler d’elle, et pour les mauvaises raisons. Alors que le statut de la femme mauricienne a connu une grande amélioration sur le plan professionnel et social, le constat est toujours aussi alarmant en ce qui concerne la violence domestique, où les femmes demeurent majoritairement victimes.

Dans ce contexte, deux crimes passionnels commis récemment retiennent notre attention. D’abord celui de Sanjana Khoodeeram par son ex-compagnon Tayrish Buldy, un policier de 26 ans. Il l’aurait poignardée dans sa voiture, avant d’y mettre le feu. Le corps calciné de la victime, une mère de deux jeunes enfants, a été découvert dans le véhicule carbonisé. Ensuite, il y a eu celui de Lalita Bissessur qui a été poussé dans l’escalier par son compagnon, Prakash Bangarigadu, après une dispute. Cela se passait à Quatre-Bornes, au domicile du couple. La victime est morte à l’hôpital Victoria le 6 novembre, après six jours d’hospitalisation.

La présidente de l’ONG ‘Raise Brave Girls’, Prisheela Mottee, plaide qu’il faudra revoir certaines stratégies contre la violence domestique dans la société mauricienne. Elle souligne ainsi l’importance des séances de ‘counseling’ pour les couples. « C’est le manque de communication entre les conjoints qui débouche sur des cas de violence domestique ou sur des crimes passionnels. On pourra palier à ce problème de communication si des séances de ‘counseling’ sont offertes aux couples, qui pourront mieux aider les conjoints à se comprendre », préconise-t-elle. De plus, elle pense aussi que des séances de méditation ou de yoga pourront aider les gens à mieux gérer leurs émotions et avoir ainsi un meilleur contrôle de soi-même.

Pour sa part, la psychologue Mussarat Seekdaur situe d’abord le contexte. Il y a certes plusieurs problèmes dans la société mais il faut attirer l’attention sur deux choses : le nombre croissant d’addictions en tout genre et le manque de communication, qui érodent la cellule familiale. Un contexte néfaste, où la violence domestique peut gagner du terrain. Ainsi, en ce qui concerne ce fléau, la psychologue tire la sonnette d’alarme : le nombre de victimes ne cesse de grandir, malgré les efforts préventifs et répressifs.

Différentes formes de violence

Qui plus est, les violences commises revêtent désormais différentes formes : outre les violences dites ‘classiques’, tels que les violences physiques, les violences verbales ou encore les violences émotionnelles (comme les chantages ou autres menaces avec ou sans coups), il  y a aussi un nombre croissant de violences sexuelles (comme le viol conjugal) ou l’utilisation des technologies digitales pour diffuser des images ou des vidéos blessantes.

Dans ce contexte, les troubles psychologiques, voire psychiatriques, passent souvent inaperçus. Parfois, quand un jeune garçon se met en colère, et même si cette colère est excessive ou est suivie d’agression, dans certains milieux familials, on a toujours tendance à percevoir cette colère comme un ‘masculine trait’. Idem pour d’autres troubles de comportement. Ainsi, les crimes passionnels ont souvent pour toile de fond des problèmes d’ordre psychologique non résolus, qui se seraient accumulés. Cela se manifeste par des actes de violence qui précèdent les crimes.

« C’est indigne que nous avons des situations pareilles de nos jours, alors que la société est plus éduquée sur les troubles psychologiques, et alors qu’on peut prodiguer des soins appropriés pour éviter que les troubles de comportements ne débordent dans les relations entre conjoints », dénonce Mussarat Seekdaur. Qu’en est-il des ‘protection orders’ ? Selon Mussarat Seekdaur, les ‘protection orders’ laissent comprendre que la victime avait essayé de se protéger dans le passé mais n’a pu le faire de manière permanente. De là, on peut en conclure qu’on doit impérativement apprendre aux femmes à mieux se protéger, surtout quand il y a eu des actes de violence dans le passé, afin d’éviter la récidive.

De manière générale, toute politique de protection ne devrait pas s’arrêter pas à une plainte de la victime et à une action de la part des autorités mais il y a aussi le besoin d’‘empower’ les victimes psychologiquement et émotionnellement, cela afin qu’elles aient les bon réflexes. Par exemple, les victimes doivent éviter d’être seules pendant certains moments, ou encore, d’éviter de céder aux chantages émotionnels.

Un autre facteur clé qui aide à mieux comprendre cette situation est la dépendance affective et émotionnelle des victimes envers leurs persécuteurs. « Mon observation personnelle est que nous ne parlons pas assez de ce facteur dans le couple. En effet, plusieurs victimes de violence domestique ont un job, un logement, une famille ou des amis qui seraient prêts à les accueillir mais l’amour et l’attachement envers le conjoint violent font que les victimes donnent une énième chance aux agresseurs », fait ressortir Mussarat Seekdaur. « C’est toute une éducation qui est à refaire afin que tout un chacun sache faire la différence entre une relation saine et une relation où il y a la manipulation et la récidive d’actes de violence. »

Cela dit, certains ‘obstacles’ et autres tabous subsistent toujours. Ainsi, en absence de traces visibles de violence, les Mauriciens hésitent toujours à se tourner vers les autorités. De plus, le viol conjugal et la violence subie par les hommes restent des sujets encore largement tabous. Aussi, plusieurs victimes préfèrent se taire pour préserver la réputation de la famille ou par peur de représailles.

  • Selon les derniers chiffres de ‘Statistics Mauritius’, parmi les victimes de violence domestique, 86,7 % étaient des femmes et 13,3 % étaient des hommes. 588 femmes ont été victimes de violences sexuelles et d’exploitation sexuelle, contre 42 hommes.