Yogida Sawmynaden, le talon d’Achille du gouvernement

La ‘private prosecution’ contre le ministre Yogida Sawmynaden a connu une objection préliminaire sur un point de droit ce 7 janvier, notamment si un ‘private prosecutor’ peut loger un tel procès sous une charge provisoire. Et ce n’est pas près de se terminer, car d’autres objections légales sont prévues, comme il fallait s’y attendre dans une affaire de cette nature. Un homme de loi nous explique les tenants et les aboutissants de cette affaire.

Pour rappel, Simla Soopramanien, la veuve de Soopramanien Kistnen, dont la mort suspecte  fait l’objet d’une enquête judiciaire devant la Cour de Moka,  accuse le ministre Sawmynaden de l’avoir enregistrée comme sa ‘Constituency Clerk’, alors qu’elle n’avait jamais été informée de cela et qu’elle n’avait jamais touché un centime du salaire mensuel de Rs 15 000 prévu sous ce poste.  Qui plus est, elle n’a pu bénéficier d’une quelconque assistance sous le ‘Self-Employed Assistance Scheme’ (SEAS) vu que pour les officiers de la MRA, elle était déjà employée comme ‘Constituency Clerk’ par le ministre Sawmynaden.

Elle devait ainsi intenter une ‘private prosecution’ (où un citoyen lambda revêt le manteau du DPP le temps d’un procès) contre le ministre Sawmynaden sous la section 77 du Code pénal. Apparemment, les avocats de l’équipe Avengers ont logé cette charge provisoire dans un but tactique, celle de recueillir plus de preuves avant de loger la charge formelle.

L’audience ce 7 janvier devait débuter par l’intervention du représentant du DPP, Me Abdool Raheem Tajoodeen, Principal State Counsel. Notons que dans toute ‘private prosecution’, le DPP peut, sous ses prérogatives constitutionnelles,  ‘take over the proceedings’, ou y mettre fin par une ‘motion of discontinuance’. D’où la présence du représentant du DPP.

Ce dernier devait affirmer que la cour ne peut agir comme une «investigative authority », et devait ainsi demander le retrait de la charge provisoire contre le ministre Sawmynaden en arguant que seule la police peut loger une charge provisoire contre un prévenu.

La prise de position du DPP est claire : quand il s’agit d’un simple citoyen qui intente une ‘private prosecution’, il ne peut loger une charge provisoire. Il doit venir tout de go avec une charge formelle, qui rappelons-le, ne peut être modifiée par la suite, ceci pour que l’accusé puisse plaider coupable ou non coupable une bonne fois pour toutes, au début du procès.

Mais voilà le hic : il n’y a aucune loi ou aucun précédent sur cette question. C’est en effet la toute première fois dans l’histoire de notre judiciaire qu’un simple citoyen intente une ‘private prosecution’ par une charge provisoire.  Ainsi, en ce qui concerne Bruneau Laurette et sa ‘private prosecution’ contre les ministres Sudheer et Ramano, l’activiste sociale était venu de l’avant avec une charge formelle. Il incombera donc à la magistrate de trancher.

Cette intervention du représentant du DPP a été une aubaine pour les avocats de Yogida Sawmynaden, Me Raouf Gulbul et Me Mahmad Bocus, qui vont insister eux aussi lors de leurs interventions que seule la police peut loger une accusation provisoire, et non pas la « prosecutrix » Simla Soopramanien. Me Raouf Gulbul devait aussi dire que Simla Kistnen n’a pas le ‘locus standi’ requis  dans cette affaire.

À la reprise, la cour a entendu  Me Rama Valayden, avocat de Simla Kistnen. Il devait faire rappeler qu’en décembre, Simla Kistnen avait consigné une déposition  à l’ICAC et à la police, qui jusqu’ici n’ont pas remué le petit doigt. Elle n’avait d’autre choix que de se tourner vers la justice directement. En ce qui concerne la charge provisoire, Me Rama Valayden devait arguer que « Ce n’est pas parce que c’est nouveau que c’est illégal ».

L’affaire a été renvoyée à mardi prochain, 12 janvier. La Cour entendra les interventions de Me Sanjeev Teeluckdharry et de Me Roshi Bhadain, avant de donner son ‘ruling’ sur ce point.

Les tenants et aboutissants de cette affaire

Nous nous sommes tournés vers un homme de loi  qui a éclairé nos lanternes sur les tenants et les aboutissants de cette affaire.

En ce qui concerne la charge provisoire, notre interlocuteur nous explique que c’est là une pratique courante de la police, qui loge une accusation provisoire contre un prévenu, par exemple pour qu’il ne puisse bénéficier de la liberté conditionnelle, en attendant de recueillir d’autres preuves plus solides, pour que la charge provisoire soit convertie par la suite en charge formelle. Pour le citoyen ordinaire qui loge une ‘private prosecution’, c’est une autre paire de manches.

Il n’est aussi pas clair si un ‘private prosecutor’ peut demander, par voie de motion, la ‘caption’ du prévenu, c’est-à-dire son arrestation et sa détention provisoire.

Que la cour tranche en faveur de l’une ou de l’autre partie, il y a fort à parier, nous explique t-il, que les hommes de loi du camp adverse demanderont un ‘stay of proceedings’ (ajournement)  pour que la Cour suprême puisse confirmer ou infirmer ce ‘ruling’, surtout si un point de droit constitutionnel  est soulevé.

Une autre possibilité est que si la cour donne un ‘ruling’ en faveur des Avengers, le DPP pourra alors loger une ‘motion of discontinuance’, auquel cas la ‘private prosecution’ prendra fin sommairement, ou bien encore il pourra  ‘take over’ cette poursuite sous son égide et décidera par la suite du retrait de la charge provisoire lui-même.

De toutes les façons, une charge formelle devra être logée, pour que le prévenu puisse « enter a plea » de coupable ou de non-coupable.  Selon nos recoupements, si la Cour ordonne le retrait de la charge formelle, les Avengers logeront une accusation formelle sous la section 77 du Code pénal et/ou sous la section 7 de la Prevention of Corruption Act.

Il se pourrait aussi que les avocats du ministre Sawmynaden plaident que Simla Kistnen n’a pas le ‘locus standi’ requis. Mais la Cour pourra estimer que vu que les intérêts matériels de la ‘prosecutrix’ ont été affectés, elle a bien le ‘locus standi’ requis.

Quoi qu’il en soit, il y aura plusieurs objections préliminaires sur des points de droit avant que cette affaire ne soit entendue sur le fond – si jamais elle va aussi loin que cela. Mais une chose est claire, nous a expliqué une source proche de l’équipe des Avengers : ils se battront jusqu’au bout et épuiseront tous les recours en justice.

 

 

Une atmosphère à couper au couteau

Dans le prétoire, plusieurs avocats se pressaient. On pouvait remarquer Shakeel Mohamed et Yousouf Mohamed, Senior Counsel, qui semblaient avoir grossi les rangs des Avengers.

Dans les rangs du public, extrêmement bondés, Simla Kistnen a dû rester un long moment debout avant que Rama Valayden ne fasse le nécessaire pour qu’elle puisse s’asseoir. Plusieurs policiers en uniforme ou en civil se tenaient aussi dans la salle d’audience.

À l’extérieur, forte mobilisation policière. Environ 300 policiers ont été mobilisés, selon les chiffres de la police, y compris des éléments de la police régulière du poste de Pope Hennessy, de la CID de Port-Louis, de la Special Supporting Unit (SSU), de la Special Mobile Force (SMF), du Groupe d’intervention de la police mauricienne (GIPM) et des ‘snipers’.

On pouvait voir que certains membres de la SMF et ceux du GIPM étaient munis de fusils d’assaut. Plusieurs véhicules blindés de la SMF étaient aussi à pied d’œuvre. Des tireurs d’Elite (snipers) avaient aussi pris position sur l’immeuble de ‘One Cathedral Square’.

Une foule de plusieurs centaines de personnes était présente. Outre deux arrestations pour présence dans une zone restreinte et non-port du masque, il n’y a eu aucun incident majeur à déplorer.

Les Avengers prévoient un grand rassemblement

L’annonce a été faite par Rama Valayden et Roshi Bhadain, jeudi. Les Avengers prévoient de tenir un grand rassemblement de dénonciations dans l’affaire Kistnen. Les détails seront communiqués incessamment. Rama Valayden et Roshi Bhadain lancent d’ores et déjà un appel aux Mauriciens pour qu’ils y soient présents. « Nou pé fer nou part, mais Mauriciens aussi bizin assume zot responsabilité », a lancé Roshi Bhadain.