Ally Lazer : “Depi longtemps mo pe dire ki ena certains policiers et trafiquants”

Lutte contre la drogue

L’affaire Vimen Leaks suscite beaucoup d’intérêt depuis la semaine dernière. En effet, trois médias de l’île ont publié des enregistrements sonores qualifiés d’explosifs contre certains policiers chargés de lutter contre la drogue et le grand banditisme. Les policiers, dont les noms sont mentionnés dans ces bandes-son, se retrouvent ainsi propulsés sur le devant de la scène.

L’image de la Special Striking Team (SST) et de son chef en a pris un coup, car leurs méthodes sont jugées controversées. Certains sont même allés jusqu’à qualifier cette brigade de “police politique”, utilisée pour réduire au silence les opposants du régime actuel.

Les dénonciations ne manquent pas. L’ASP Ashik Jagai et certains autres policiers de son équipe se retrouvent désormais au centre d’une polémique sans précédent à l’île Maurice.

Ally Lazer : « 40 ans mo pe kriye dan zorey sourde »

Pour Ally Lazer, président de l’Association des Travailleurs Sociaux de Maurice (ATSM) et expert dans le combat contre la drogue depuis des décennies, la révélation des bandes-son expose une partie de la réalité de ce qu’il se passe vraiment sur la scène du combat contre la drogue.

« La population kav choquer par sa, pu mwa li moin choquant… depuis plusieurs années mo pe dir ki la police mars ensam ek mafia ladrog » lance Ally Lazer. Il poursuit : « Le plus grand obstacle dans le combat contre la drogue c’est la corruption des officiers de police, et les protections « occultes » dont bénéficient certains proches des politiciens qui sont au pouvoir ».

Le travailleur social déplore le fait que ces mêmes policiers sont payés par les fonds publics. « Zot pren la paie ek gouvernma apres zot fer 50-50 ek trafiquant. Inn gayn 40 an depi ki mo pe kriye dans zorey sourde… Nanier pa pu changer dans facon sa pe aller. System laem inn fini pouri ek boku zenerasyon inn fini maye dans la spirale infernale de la drogue… Kuma gouvernma pu kav kass lerein mafia ladrog ek sa bann kalite policiers la ? », se demande Ally Lazer.

Il évoque aussi le rapport des Nations Unies qui classe le pays parmi les champions du monde en matière de consommation d’héroïne. « Kuma ounn ekoute lor radio, 75% cargo vender, 25% servi pu fer travay… c’est désolant pour notre petit pays », martèle-t-il.

Dev Jokhoo : « Birds of the same feathers flock together ! »

Dev Jokhoo, ancien directeur du National Security Service (NSS) et assistant commissaire de police (ACP), se dit « choqué » par les bandes sonores. « J’ai honte que la police puisse s’abaisser à ce niveau. » Son opinion est que personne n’est innocent dans cette affaire. « Ena 2 barons dans la police, sakenn pe manz so prochain », déclare-t-il. Concernant leur contenu, il estime que les officiers impliqués sont des amateurs, et qu’ils ont le devoir de protéger leurs sources. Pour l’ancien ACP, les informateurs n’auront plus confiance en les policiers.

Méthodes controversées de la SST : Quelles répercussions sur les policiers honnêtes ? 

Dans un extrait de la bande sonore, on entend un policier (l’Inspecteur Sivanandee) raconter comment les limiers se comportent lors des descentes et des perquisitions. Selon lui, ils volent des chaines en or et des parfums chez les gens. Cette allégation a généré de nombreuses réactions d’internautes sur les réseaux sociaux. Et les policiers honnêtes dans tout ça ?

Pour la psychologue Azeemah Beehary, une « self evaluation » est nécessaire dans ce contexte. Elle évoque aussi un « Police Psychological Exam » lors des recrutements. Cet examen permettrait à l’organisme de déterminer si une personne est apte à rejoindre la force policière, ou pas.

« C’est un métier qui est physically, emotionally et mentally challenging… C’est un métier ‘hectic’. Avec le temps, les motivations peuvent changer. Dans le cas des Vimens Leaks, ce sont des policiers de longue date qui sont impliqués. Un suivi continu est nécessaire pour empêcher ce genre de dérapages. La patience, la tolérance et l’empathie d’une personne change avec les stimulis inhérents à son environnement professionnel. Il revient à la personne de se démarquer et de faire sa « self evaluation », dit la psychologue. 

Dev Jokhoo, ancien assistant commissaire de Police, parle lui d’un malaise au sein de la force policière. Selon son « networking » parmi les policiers, un certain nombre d’entre eux n’attendent même pas l’âge de la retraite pour se retirer. « Bon travayer pa gayn recongnition dans nou pays, kan politik rentre dans travay, partou gaté… bann zom laem pa oulé travay. Par semaines ena environ 50 policiers ki retraité… », dit l’ancien policier. 

L’axe Franklin – Jagai : Du « 50-50 »

L’ASP Ashik Jagai était sur le plateau de Top FM le mercredi 14 juin. Des séquences de l’enregistrement sonore y ont été diffusées, notamment la partie où le présumé constable Anne, lors de sa conversation avec Vimen Sabapati, laisse entendre qu’entre Franklin et l’ASP Jagai, il y aurait une répartition équitable des affaires, du « 50/50 ».

Pendant plus de trois heures, l’ASP Jagai a invoqué un complot qui viserait à discréditer des officiers de la brigade antidrogue. « Ena trafikan met plint kont bann ofisie l’ADSU », affirme-t-il, en pointant aussi du doigt des « narco-politiciens ». Toutefois, sur les conseils de ses hommes de loi, il n’a pas souhaité donner plus de précisions. « Mo pa kav fer subjudice », avance le patron de la SST.

Hormis le fait que des policiers fassent main basse sur des parfums et des bijoux chez les particuliers pendant les perquisitions, les bandes-son de Vimen Sabapati, rendues publiques vendredi, font état de liens présumés entre l’assistant surintendant de police (ASP) Ashik Jagai et Franklin. Ce n’est pas la première fois que ces « connexions » sont évoquées.

Pour Dev Jokhoo, ancien patron de la NSS, cela a toujours était le cas. « Jagai ti responsable ADSU Western Division, Dip ti Divisional Commander, pa dir mwa zot pa ti kone ki Franklin pe fer depi 2015 », martèle-t-il. 

Me Melany Nagen : « Mon client a peur »

L’interrogatoire de Vimen Sabapati, dans le cadre de la publication des bandes audio en sa possession, a débuté mercredi au CCID. Il est représenté par Siddhardha Hawoldar, Shakeel Mohamed et Melany Nagen.

Cette dernière s’est entretenue avec les journalistes à l’issue de l’exercice, qui s’est poursuivi ce vendredi. Elle a déclaré que la police voulait savoir dans quelles circonstances Vimen Sapabati s’était retrouvé en possession de ces enregistrements.

« Les enquêteurs sont très fiables et très intègres », a-t-elle déclaré. Melany Nagen a ajouté que Vimen Sabapati était toujours détenu dans une cellule de la police. Elle a ajouté qu’une requête pour sa libération a été déposée au tribunal de Port-Louis Sud, et sera débattue ce lundi 19 juin à 13h30. Elle a également déclaré que Vimen Sabapati ne souhaitait pas que des éléments de la SST l’accompagnent lors de sa comparution devant le tribunal ce vendredi.

PNQ : « Mere allegations », dit le Premier ministre

Pravind Jugnauth a annoncé qu’une enquête préliminaire a été ouverte par la Major Crime Investigation Team (MCIT) à la suite de la diffusion des bandes-son de Sabapati, et qu’en fonction des résultats de cette enquête, « the Police may refer the matter to the Independent Police Complaints Commission (IPCC) for any action deemed necessary ». Alors que l’on sait que c’est l’IPCC qui mène toute enquête concernant la police habituellement.

Face à la Private Notice Question (PNQ) du leader de l’opposition, lundi 12 juin à l’Assemblée nationale, le Premier ministre, fidèle à lui-même, a sorti des réponses toutes faites. Et a encore une fois parlé de « mere allegations ».

S’agissant du démantèlement de l’ADSU, recommandé par la Commission d’enquête sur la drogue, le Premier ministre a déclaré que cette décision aurait créé un « institutional vaccum », comme avancé par le Commissaire de police.

Pravind Jugnauth a également rappelé que la SST a été créée pour soutenir d’autres unités policières, notamment dans le combat contre le trafic de drogue. Par la suite, le PM est revenu longuement sur des articles internationaux faisant état de policiers, à l’étranger, impliqués dans le trafic de drogue.