Satish Boolell : « Qu’on me donne des preuves pour montrer que des policiers ne subissent pas des pressions externes ! »

  • « Les politiciens actuels ne sont obsédés que par les limousines. Ils croient qu’ils sont éternels. Ils ne réalisent pas qu’ils ne sont que des locataires des fauteuils qu’ils occupent »

Sa profession exige qu’il manie le scalpel. Mais il peut vous faire des incisions rien qu’avec ses mots, ou son humour qu’on pourrait des fois qualifier de « noir ». C’est avec cette même franchise incisive que Satish Boolell, médecin légiste, a répondu à nos questions dont nous reproduisons ci-dessous de grands extraits…

Zahirah RADHA

Q : « La confiance est revenue et l’optimisme est de mise ». C’est ce que le Premier ministre a dit dans son discours sur le budget. Ressentez-vous cette « confiance » et cette « optimisme » au sein de la population ?

Il n’y a pas de taxe sur les rêves. Tous ceux à qui je parle, que ce soit dans les secteurs de la santé, l’éducation, l’emploi, ou autres me disent « ki zot pe manze are li ». « Manze are li » est devenu un credo pour les Mauriciens. Cela sous-entend qu’il y a beaucoup de stress dans le pays. Cela indique que la population doit lutter et faire des efforts pour vivre et survivre. Sak zour so 24h ine vine pli long. La pauvreté augmente, surtout chez la femme. Car c’est elle qui a la responsabilité de gérer le ménage, les enfants et la famille. Et si le mari est stressé en raison de son travail, cela apporte des soucis au sein de la famille. Tous les problèmes à l’île Maurice sont donc liés au travail, au logement et à la santé. Ne parlons pas de l’écolage. Nous sommes déjà en face d’une génération perdue. À mon époque, les enfants étaient plus qu’heureux d’aller à l’école dans lapli avec savates léponze. Mais maintenant, les enfants restent à la maison quand il y a l’avis de fortes pluies…

Q :  Mais les risques d’inondations à cette époque étaient très minimes !

Il faut se demander pourquoi il y a maintenant de telles inondations. C’est grâce au bétonnage du pays. Si nous n’avions pas, par exemple, bétonné de Marie Reine de la Paix jusqu’au Ward IV à Port-Louis, l’eau se serait naturellement évacuée. Ena dimoune mo pa koné kot ine gagne degré fer chemin, canal, drains kine nek betonne partout. Les collectivités locales n’ont pas assumé leurs responsabilités. Pas vine dire moi tou dimoune heureux, tou korek. Sorry ! Nous, tous les Mauriciens, sommes venus ici « touni ». Il y en a qui sont venus comme des artisans, des laboureurs, des esclaves. Nous avons tous à peu près deux siècles et demi d’histoires. Mais il y en a qui ont vu leurs richesses augmentées alors que d’autres demeurent pauvres. Là pe alle craz bâtiment (ndlr : Emmanuel Anquetil), ti bizin prend squatters met la-dans.

Q : Constatez-vous un appauvrissement de la population ?

Bien sûr ! Un paquet de coriandre (cotomili) coûte aujourd’hui Rs 25, soit un dollar australien (AUD). Les prix des médicaments, dites-vous ? Un manque artificiel est créé pour permettre à certaines compagnies privilégiées d’en importer, et ce à un nouveau prix.

Q : Vous dites que la pénurie de certains médicaments est provoquée intentionnellement pour favoriser certaines personnes ? C’est grave…

Oui, cette pénurie artificielle est créée rien que pour augmenter les prix et favoriser certaines personnes. Je demande à la population de faire une comparaison entre les prix des médicaments vendus à Maurice et ceux pratiqués dans d’autres pays, comme la Turquie. Avez-vous déjà vu des médicaments qu’on vous donne à l’hôpital contenir une date d’expiration ? Pour la transparence, il faut qu’il y ait un système de vérification quant à la qualité de ces médicaments, mais aussi sur la façon dont ils sont prescrits et dispensés.

Q : Pensez-vous que certaines mesures « labous dou » (CSG, allocation pour les jeunes de 18 ans et bébés, etc) ont été prises pour contenir la colère de la population, à l’approche des élections ?

Ce sont des mesures pré-électoralistes. Il fallait contrôler les prix des nourritures pour bébé et des médicaments pour la diabète et l’hypertension. Si les prix pouvaient être contrôlés, tous ces ‘schemes’ n’auraient pas eu leur raison d’être. C’est aussi simple que ça. C’est un budget qui tente de « faire labous dou ». Quelle est la logique de cette allocation de Rs 20 000 prévue pour les jeunes électeurs ? Je n’y verrais aucun inconvénient si cette allocation leur servait à suivre un cours de formation quelconque. Il faut prôner une culture de travail. Kan ou donne cado tro bocou, nepli ena culture travail.

Par contre, quand on donne à nos aînés à travers la pension, c’est parce qu’ils ont travaillé et qu’ils le méritent. Mais en même temps, protège-t-on leurs droits ? A-t-on fait une enquête pour savoir si leur pension est utilisée pour leur bien-être ou pour financer les drogues synthétiques des petits-enfants ? Moi, j’en connais de tels cas. J’ai toujours réclamé la mise en place d’un Ombudsperson pour les vieilles personnes où les cas de maltraitance seraient rapportés. Il ne suffit pas de donner la pension de vieillesse. Il faut aussi s’assurer qu’elle soit utilisée pour le bien-être de nos aînés.

Q : Le problème de drogue synthétique parmi les jeunes vous inquiète-t-il ?

De par ma profession, j’en connais beaucoup de cas et c’est très inquiétant. Le diagnostic repose sur le comportement irrationnel de certaines personnes. (Rires) Je ne parle pas des députés qui ne savent pas se comporter au sein du Parlement, quoique des fois, le comportement de certains est assez bizarre ! Que fait-on pour détecter les cas d’utilisation de drogues synthétiques ? La police fait régulièrement des contrôles de routine les matins. Cependant, elle ne vérifie pas le taux d’alcoolémie au volant – qui aurait été acceptable puisque l’alcool est toujours présent dans le sang même s’il a été consommé dans la soirée précédente –, mais pour s’assurer que vous ayez votre permis de conduire en votre possession. C’est insensé. Il y a un manque de vigilance au niveau des contrôles.

Le budget fait état du recrutement de 1400 nouveaux policiers. Mais il y en a 600 qui partent à la retraite chaque année. Donc, on ne fait que les remplacer. Les autres ne viendront que pour surveiller le Métro qui s’étendra maintenant jusqu’à Côte d’Or. Savez-vous combien de policiers postés aux carrefours du Métro ne font qu’envoyer des textos toute la journée ? N’en parlons même pas des dégâts causés par le Métro ! Ti kapav met li lao, mais ine met li enba ! Connaissez-vous le nombre de vieilles personnes qui sont victimes d’accidents ? Sur la liste des accidentés, vous ne verrez principalement que des vieilles personnes et des motocyclistes.

Q : Les accidents, c’est un autre dossier sur lequel on a échoué, me diriez-vous sans doute ?

Évidemment. Rien n’est fait contre la prévention des accidents. Est-ce normal qu’il y ait des policiers qui sont postés tout au long de l’autoroute alors que des caméras pour la détection de vitesse y sont installées ? C’est un gaspillage des ressources et de main-d’œuvre alors que le taux de criminalité augmente. Le nombre grandissant de consommation de synthétique est lié carrément au nombre croissant de vols commis dans le pays. Et la police n’en fait rien. D’ailleurs, le problème des drogues synthétiques, comme vous me l’avez demandé plus tôt, est un autre problème majeur, puisqu’il n’y a pas de nouveaux centres de traitement pour les jeunes qui en sont affectés.

Q : Faut-il une approche ciblée pour tacler ce problème ?

Il n’y a aucune stratégie, encore moins d’approche ciblée. Le nombre de problèmes qu’il y a dans ce pays n’a pas encore été évalué, mais on vient néanmoins avec des philosophies totalement dépassées. On ne vit pas au rythme de notre temps. Laissez-moi vous dire, je vais souvent aux marchés de Port-Louis et de Quatre-Bornes. Je demande souvent aux maraîchers s’ils y voient venir des ministres ou des députés. Si kiken ine passe là, sa fodé line perdi simin sa. Par contre, Sir Seewoosagur Ramgoolam pas ti per pou rentre dans bazar, Sir Satcam Boolell ti pe alle fer so bazar tousel… Les politiciens actuels ne sont obsédés que par les limousines. Ils croient qu’ils sont éternels. Ils ne réalisent pas qu’ils ne sont que des locataires des fauteuils qu’ils occupent. Savez-vous pourquoi j’apprécie la retransmission des travaux parlementaires à la télé ? Parce qu’elle permet aux gens de se défouler devant leurs télés ! Au lieu li zourer lor simin, li zouré devant télévision laem. Si pas ti ena sa, maler dan pays !

Q : Vous arrive-t-il de dire des gros mots lorsque vous regardez ces travaux parlementaires ?

Franchement, oui ! Je suis outré par certaines questions souvent stupides, ou encore par les tentatives de bloquer les informations d’intérêt public, et les expulsions inexplicables… Les ministres ne sont intéressés qu’à se rendre à des fonctions « pou gayn manzé moufta ». Est-ce normal qu’il y ait autant de personnes qui demandent de la charité ? Que fait la ministre de la Sécurité sociale, Fazila Jeewa-Daureeawoo pour ces nombreux enfants de rue, dont les parents sont emprisonnés, qui ne bénéficient d’aucune aide financière, qui travaillent souvent comme des « jockeys » et qu’on voit régulièrement demander l’aumône aux alentours de la SBM Tower à Port-Louis les après-midis ? A-t-on un relevé de ces enfants ?

Q : Les « Vimen Leaks » ont choqué tout le monde et ont jeté le discrédit sur une section de la police. Vous, qui êtes appelé à travailler en étroite collaboration avec la police dans l’exercice de votre fonction, comment analysez-vous cette situation ?

Au cours de ma carrière, j’ai travaillé avec des policiers très compétents. Certes, ena zot lamain ti un peu lourd mem. La brutalité policière a toujours existé. Jamais cependant, n’ai-je vu la police descendre aussi bas, surtout dans l’opinion publique. La plupart des policiers est « banne bon dimounes ». Mais la majorité des policiers est aussi frustrée. Ensuite, il y a ceux qui choisissent de se courber devant le pouvoir. Qu’on me donne des preuves pour montrer que des policiers ne subissent pas des pressions externes dans l’exercice de leurs fonctions ! Et qu’on ne vienne pas me dire que c’est faux !

J’ai moi-même, en tant que médecin légiste, subi des pressions, dont dans le cas du double meurtre de Bassin-Blanc. C’est moi qui avais dit halte à la brutalité policière quand l’équipe de Raddhoa sévissait. Cehl Meeah pou kone sa bien. Je vois l’ASP Jagai dire qu’il a reçu des menaces. J’ai également reçu des menaces au cours de ma carrière. Même dans le sillage de l’affaire Kistnen, dans lequel j’avais témoigné, on m’avait demandé d’être prudent.

Auparavant, il y avait quand même un code de conduite au sein de la police. Ce qui n’existe malheureusement plus aujourd’hui. Le plus gros problème, je pense, c’est qu’il y a beaucoup d’ingérence.

Q : Selon la perception publique, c’est qu’il y a un complot au sein d’une section de la police pour persécuter l’opposition et la presse. Cela vous interpelle-t-il ?

S’il y a complot ou pas, je n’en sais rien. En tant que citoyen toutefois, je trouve bizarre que ce soit seulement des opposants qui soient toujours ciblés. Maintenant, on peut aussi l’interpréter autrement : moi mo dans gouvernement, be mo pas bizin coquin parski mo pou gagne tou dans mo lamain…

Q : À travers de juteux contrats sous l’‘emergency procurement’ par exemple…

Exactement ! Bane proches du pouvoirs deza ena bane simin… Le plus gros scandale reste l’achat des médicaments, Molnupiravir… Mais pour revenir à votre question, il existe certainement une perception à l’effet qu’on ne peut plus faire confiance à la police.

Q : Cette confiance n’est-elle pas encore plus ébranlée lorsqu’on parle de liens allégués entre certains policiers et des trafiquants de drogue ?

La situation ne serait pas si grave si les trafiquants étaient arrêtés. Est-ce le cas dans l’affaire tractopelle, par exemple ? Non ! D’où le manque de confiance dans la police. On a malheureusement un peuple docile qui accepte tout. Quand pou arrive élection, briani pou fer li voté.

Q : Se laissera-t-il encore berner par l’appât du gain, selon vous ?

Je demande à être prouvé le contraire. L’électorat mauricien pa bizin rentre dans bane calèches ki pas bizin pou voté. Li pas gagne droit laisse la religion divise nou. Que les associations socio-culturelles arrêtent de nous diviser davantage ! Ce qu’il nous faut, c’est l’égalité des chances pour tout le monde. Le secteur de la santé, par exemple, ne peut pas être à deux vitesses parce qu’il y a des « vested interests ».

Q : Des « vested interests » qui mènent vers un démantèlement déguisé de l’État providence ?

Tout à fait ! Même pour l’éducation, c’est pareil. Les enfants dont les parents ont les moyens peuvent s’offrir des leçons particulières, alors que ce n’est pas le cas pour tant d’autres. Que fait-on pour ceux qui sont défavorisés ?

Q : Il parait qu’il y a plus de familles qui se retrouvent maintenant sur le ‘Social Register’

Social Register’, dites-vous ! Savez-vous que l’allocation d’un bénéficiaire est coupée s’il obtient un peu plus d’argent après avoir effectué des heures supplémentaires ?

Q : Quelle est donc votre vision pour une île Maurice meilleure ?

Qu’on puisse retenir les jeunes au pays. Que ceux qui sont partis puissent y retourner. Qu’on leur donne l’égalité des chances. Qu’il n’y ait pas de corruption. Qu’il y ait des développements dans tous les secteurs. Et qu’il y ait une politique de loisirs pour prévenir que nos jeunes ne tombent plus dans le piège de la drogue. Et finalement que la population n’ait plus besoin de « manze are li » !