[Interview] Dr Farhad Aumeer, député du PTr

« Un ‘full blood count’ des patients infectés doit être réalisé au quotidien »

« Nous sommes dans une situation d’urgence sanitaire ! », clame le Dr Farhad Aumeer, député et responsable du dossier de la Santé au sein du PTr. Dans l’entretien qui suit, il analyse, donne son diagnostic et prescrit un traitement. À condition que le responsable du ministère de la Santé soit à l’écoute, bien sûr…

Propos recueillis par Zahirah RADHA

Q : Le nombre de cas de Dengue a franchi la barre de 1100 alors que le nombre de décès est passé à trois (3). La situation est-elle alarmante ?

Elle est même très alarmante, je dirai ! Le nombre de cas et de décès augmente de façon exponentielle. La population doit réaliser que nous sommes dans une situation d’urgence sanitaire. À chaque fois qu’il y a un décès, on nous dit que la victime souffrait de comorbidités. On ne peut pas, tout le temps, tout mettre sur le dos des comorbidités. D’ailleurs, il faut savoir que 50% des Mauriciens souffrent de maladies non-transmissibles. Avec des comorbidités telles que le diabète, l’hypertension, les maladies cardiovasculaires et coronariennes, c’est donc la moitié de la population qui est à risque en cas d’infection. D’où l’urgence de mettre en place un système de détection rapide. Ce qui préviendrait la forme sévère de la maladie, connue comme la Dengue hémorragique, afin de prévenir toute fatalité.

Q : Que faut-il faire pour une détection rapide de la maladie ?

C’est à la suite d’une vidéo que j’ai récemment postée sur Facebook qu’un nouveau protocole a été mis sur place. Mais il ne concerne que des tests effectués après chaque deux jours alors que nous sommes dans une situation d’urgence qui nécessite un suivi quotidien de chaque patient infecté. Je préconise ainsi un simple test : un ‘full blood count’ effectué au quotidien pendant cinq jours, avec la collaboration des experts médicaux en service d’urgence. Dès qu’une baisse du nombre de plaquettes est notée chez un patient, signifiant qu’il est à risque de contracter la forme sévère de la maladie, ce dernier pourra alors être pris en charge rapidement.

Q : Mais ce ‘full blood count’ quotidien que vous préconisez ne nécessite-t-il pas une hospitalisation ?

Non ! C’est un test simple, rapide et efficace qui peut être effectué à la maison. Qui plus est, il ne coûte pas cher, surtout s’il est fait en masse. Il peut être réalisé lors de la ‘domiciliary visit’ que le ministère de la Santé a mis sur place. Et, comme je l’ai dit, les données du patient peuvent être suivies quotidiennement. Dès que le nombre de plaquettes est en baisse, le patient peut être admis, sans devoir nécessairement attendre le test PCR. Car ce sont généralement les patients présentant une baisse de leurs plaquettes qui ont des hémorragies cérébrales, gastriques ou autres et qui nécessitent donc un traitement intensif. Dans une telle situation, le cas peut être irréversible s’il n’y a pas une prise en charge rapide.

Q : Le ministre de la Santé affirme pourtant que tout est sous contrôle. Vous n’êtes pas de cet avis ?

Je n’ai aucune leçon à lui donner, puisqu’il monte toujours sur ses grands chevaux et croit tout savoir. N’avait-il pas prétendu la même chose pour la Covid-19 ? Moi, je ne me targue pas de tout connaître, bien que je sois un professionnel de santé. Je suis à l’écoute d’experts qui ont des connaissances approfondies dans la santé publique, la virologie et la médecine interne, entre autres. Si le besoin se fait sentir, par exemple s’il y a beaucoup de cas dans une région spécifique, il faut que des actions concrètes soient prises, allant jusqu’à restreindre les mouvements s’il le faut.

Je ne parle pas d’un confinement, mais d’une des options qu’il faut envisager si la situation l’exige. Et plus important encore, il faut que le ministère fasse une enquête pour connaître les causes de la propagation de la maladie. À titre d’exemple, aux alentours de Champ-de-Mars, dans ma circonscription, il y a eu beaucoup de patients qui ont été admis aux soins intensifs, avec des complications. Mais heureusement, il n’y a pas eu de décès.

Q : Faut-il une enquête pour connaître les causes, alors que la maladie est provoquée, on le sait, par les piqures de moustique ?

Si le ministre avait effectué quelques pas de son bureau jusqu’au Champ-de-Mars, il aurait vu l’état dans lequel ce lieu qui faisait jadis notre fierté se retrouve aujourd’hui. Il a été réduit à un état sauvage. Ce qui est à la source d’une prolifération de moustiques. N’oubliez pas que des centaines de Port-Louisiens y font leur jogging tous les jours. Comment ne voulez-vous pas qu’ils soient infectés ?

Deuxièmement, le Champ-de-Mars se trouve à côté des endroits où il y a récemment eu des inondations avec le passage du cyclone Belal. La boue et les détritus se sont accumulés, sans qu’il n’y ait eu de nettoyage jusqu’ici. Je vous donne un autre exemple : dans les parages du SSS Pailles, l’herbe n’a pas été tondue pendant un certain temps. Ce qui donne lieu à une prolifération des moustiques, exposant ainsi les élèves du collège à une infection.  

Raison pour laquelle je dis qu’une inspection sur le terrain est nécessaire, surtout dans les régions affectées, puisqu’elle aidera à déterminer les causes de la prolifération des moustiques et à agir en conséquence. La fumigation ne servira à rien si les lieux insalubres ne sont pas d’abord nettoyés. Il ne faut pas être expert pour le savoir. Il est nécessaire que toutes les autorités, y compris les Collectivités locales, travaillent de concert pour assainir la situation.

Et d’ailleurs, l’exercice de fumigation ne doit pas être fait que pour le besoin de ‘lip service’. Il doit correspondre au protocole établi par l’OMS, soit pendant quatre jours consécutifs après le coucher du soleil. Le protocole de larvicide doit également être appliqué. J’espère que celui qui a mis en place un protocole inadapté assumera ses responsabilités et qu’on ne se retrouvera pas dans une situation similaire à celle de la Météo où tout le blâme a été jeté sur le dos de l’ex-directeur. La situation est déjà hors contrôle. Il faut agir vite.

Q : Il ne semble pas y avoir de campagne de sensibilisation ou de prévention, outre la fumigation. N’est-ce pas une erreur capitale de la part des autorités ?

Tout à fait ! Le gouvernement doit procéder à un exercice de distribution gratuite de « sandal moustik », de sprays anti-moustiques et de filets de protection pour les bébés. J’ai été choqué d’entendre un préposé du ministère de la Santé dire, lors d’un débat radiophonique auquel j’ai participé récemment, qu’il y a seulement 20 000 « sandal moustik » alors qu’il y a plus d’un millier de cas qui augmente de façon exponentielle, résultant en à peu près 100 000 à 125 000 cas, selon moi. Qu’attend-on pour s’en procurer ?

Allons-nous attendre jusqu’à la dernière minute et avoir ensuite d’autres scandales d’‘emergency procurements’ comme on en a vu avec ‘Pack & Blister’ et autres quincailleries et bijouteries ? Gouverner, c’est prévoir. Ce n’est pas trop tard. Il est temps de mettre la SMF, la SSU et les employés du ministère de la Santé en état d’alerte. Il faut embaucher plus de pulvérisateurs s’il le faut. La fumigation doit se faire dans tous les coins et recoins du pays. Et le tout être agrémenté d’une campagne de sensibilisation. Sur les ‘Billboards’, on ne voit que des activités politiques et non des moyens pour se protéger contre les piqures de moustique.

Q : Pensez-vous que la politique a pris le dessus sur l’urgence sanitaire ?

Oui, sans nul doute. Au lieu d’agir fermement, le gouvernement et son état-major ne se préoccupent que des activités politiques. Un ministre a été révoqué en toute urgence un dimanche soir sans même qu’on nous dise la raison, tandis que l’urgence sanitaire est reléguée au second plan. 

Q : Craignez-vous que la Dengue ne devienne endémique chez nous si des mesures adéquates ne sont pas prises à temps ?

Nous sommes toujours en phase d’épidémie et j’espère qu’on arrivera à la maîtriser rapidement. Ce serait grave pour notre économie si elle devient endémique. Le pays sera alors fiché sur le plan international et cela affectera notre image de destination de luxe. Ce qui peut avoir de graves répercussions sur notre tourisme, l’hôtellerie, et les services relatifs comme la restauration, les taxis, les marchands de plages, et surtout pour nos revenus en devises étrangères. D’où l’urgence d’y mettre tous nos efforts afin de surmonter cette épidémie. Tention nou bek tappe l’estomac, dire tou sous contrôle, après nou retrouve nou avec ene Covid bis.