Il prône une « meilleure philosophie économique que celle liée à l’illusion monétaire, pour que la population cesse de souffrir ». L’économiste Rajeev Hasnah décortique l’actualité, dénonçant la politique économique du gouvernement et appelant à la création de la richesse pour que tout le monde puisse en bénéficier…

Zahirah RADHA

Q : Le gouvernement se livre, en cette fin de mandat, à une surenchère en termes de mesures annoncées – certaines à court terme et d’autres en cas de renouvellement de son mandat. Qu’en pensez-vous ?

Certains vous diront que c’est de bonne guerre, d’autres que c’est irresponsable. On peut comprendre que l’annonce des mesures pour améliorer la vie de tout un chacun est primordiale dans une échéance électorale, mais on ne devrait certainement pas hypothéquer l’avenir immédiat et lointain de nos compatriotes et enfants.

Un juste milieu entre le bien-être économique et social du pays ainsi que de chaque Mauricien en tant qu’individu, peu importe la tranche d’âge ou autre catégorisation, et le bon vouloir politique de gagner une élection est indispensable.  La politique ne doit pas primer aux dépens de l’avenir économique commun de notre pays.

Néanmoins, je pense que les Mauriciens, en général, savent, surtout après l’expérience de ces cinq dernières années, que nous payons nous-mêmes, nous les contribuables et consommateurs, directement et parfois beaucoup plus cher – comme cela a été le cas dans ce présent mandat – tout ce qui est promis à chaque fois que nous passons à la caisse !

Q : Justement, n’est-ce pas le peuple lui-même qui en paiera les frais à travers la taxation qui semble être devenue une source majeure de revenus pour l’État, faute de création de la richesse, entre autres ? 

En effet, c’est le peuple qui contribue en termes de taxes directes et indirectes et pour la création de la richesse dans n’importe quelle économie du monde.  Même si on possède des ressources naturelles ou autre atouts nationaux et que les revenus générés reviennent à l’État directement ou indirectement, cette richesse appartient aussi au peuple du pays concerné.

Ce qui est dommage pour l’île Maurice, surtout pendant ces derniers cinq ou dix ans, c’est qu’on a essayé de démontrer qu’on a créé de la richesse en gonflant le Produit Intérieur Brut (PIB) avec de l’inflation et un calcul douteux de notre PIB depuis 2019, avec une surestimation possible tournant aux alentours de Rs 100 milliards par an ! Et en se basant sur ce chiffre du PIB, on dit que l’économie se porte bien, et qu’on va atteindre les Rs 1 trillion du PIB dans quelques années.  Malheureusement, ce qu’on omet de nous dire c’est que la moitié ou plus de cette augmentation projetée de notre PIB sera causée par l’inflation et la dépréciation de la roupie mauricienne, si on maintient la philosophie économique de ce gouvernement !

Q : En parlant de la dépréciation de la roupie, la perte du pouvoir d’achat demeure une préoccupation majeure de la population et les allocations sociales du gouvernement ne la résolvent point. N’aurait-il pas été plus judicieux de stabiliser la valeur de la roupie ?

Le gouvernement actuel a bien fait jouer l’illusion monétaire en imprimant les fameux Rs 140 milliards, en laissant filer l’inflation avec des taxes élevées sur les produits clés comme les carburants, et en augmentant les allocations sociales et salariales de façon aléatoire. Les Mauriciens sont très conscients que la valeur réelle de l’argent est désormais beaucoup moins que ce qu’ils reçoivent, car la quantité des produits et services qu’on peut acheter avec nos roupies a diminué aujourd’hui de façon considérable.  

Le gouvernement a créé une spirale inflationniste avec la dépréciation de la roupie mauricienne et les augmentations successives des salaires qui génèrent ce qu’on nomme en économie le « second-round inflationary effects ».

Q : Payons-nous toujours les conséquences du « pillage » des réserves de la BoM ?

Oui, quand on analyse l’impression de seulement Rs 60 milliards des Rs 140 milliards prises de la Banque de Maurice, on y voit une corrélation directe entre le « writing-off » des Rs 60 milliards du bilan de la Banque de Maurice et la dépréciation accrue de la roupie mauricienne. Cette situation est très probablement aussi à la base du manque de devises continu dans le pays aujourd’hui.

Il faut impérativement réinstaurer la confiance des gens, entrepreneurs, investisseurs et autres acteurs économiques dans la gestion macroéconomique de notre pays d’une façon durable, juste et soutenable.

Q : Le ministre des Finances soutient que l’inflation n’est pas causée par la hausse des salaires que la majorité des employés du secteur privé devaient percevoir ce mois-ci. Ahurissant, n’est-ce pas ?

D’après les chiffres à ma disposition, j’estime que les augmentations salariales incluant les prestations sociales annoncées rien qu’en 2024 devant être payer par n’importe quelle entreprise, soit-elle grande ou petite et moyenne, par employé se situent aux alentours de Rs 5,000 par mois !  Si on fait le calcul pour une entreprise qui emploie 1 000 personnes, cela lui coûtera au moins Rs 60 millions de plus par an.  Si l’entreprise en question faisait Rs 20 millions de profit par an avant cette augmentation, le choix de l’entreprise en question si elle veut au moins couvrir ses coûts « break-even » serait de passer à au moins Rs 40 millions des frais additionnels à ses clients. Ce qui équivaudrait à une augmentation de prix aux alentours de 10% à 20% de ses prix de ventes dépendant de la taille de ses revenus et de sa marge brute !

Q : Les PMEs craignent le pire avec ce réajustement salarial, en dépit de l’aide annoncée par le gouvernement. Pourquoi cette mesure ne soulagera-t-elle pas les PME ?

Je pense que les PMEs pensent, à juste titre, qu’elles n’ont pas nécessairement la possibilité de passer les augmentations des coûts imposés par le gouvernement dans leur prix de ventes.

Q : Assistons-nous à une mort lente de ce secteur qui semble avoir été délaissé jusqu’ici ?

Il faut noter que les PMEs contribuent à hauteur de 35% du PIB et emploient aux alentours de 45% de notre force ouvrière…

Q : Renganaden Padayachy applaudit la « bonne performance économique » du pays alors que la dette publique est toujours source d’inquiétude et que les indicateurs macro-économiques semblent être maquillés, selon des spécialistes. Quel constat faites-vous de la situation ?

En effet, il semble que la surestimation de Rs 100 milliards dans le PIB pourrait provenir de l’inclusion des revenus liés au secteur offshore qui ne devraient pas être inclut dans le calcul du PIB.  Ce serait bien si on aurait pu avoir une clarification officielle sur cette incertitude dans les chiffres. 

Q : Face au bilan économique peu reluisant de ce régime, quelles réformes faudra-t-il introduire en urgence par un nouveau gouvernement pour remettre l’économie sur les rails ?

Il faut arrêter la spirale inflationniste et promouvoir le travail et la création de la richesse par tout un chacun et pour tout le monde. Il est primordial qu’on place le bien-être et l’intérêt de tout un chacun (travailleurs, entrepreneurs, professionnels, jeunes et vieux) au centre de n’importe quelle reconstruction de notre économie.

Q : Et la population là-dedans : Serait-elle appelée à faire encore des sacrifices après avoir souffert pendant toutes ces années ?

Ancrée dans l’enseignement d’Albert Einstein est cette citation : « Nous ne pouvons pas résoudre nos problèmes avec la même manière de penser que celle que nous avons utilisée pour les créer. »

Il suffit seulement qu’on ait une meilleure philosophie économique que celle liée à l’illusion monétaire, pour que la population cesse de souffrir !