Dans cet entretien, Ajay Jhurry, président de l’Association of Tourism Operators (ATO), appelle à une refonte du secteur touristique mauricien. Il souligne l’importance d’impliquer davantage les PME dans les décisions clés et de diversifier l’offre touristique pour améliorer la compétitivité de l’île. Selon lui, le secteur doit devenir plus inclusif et résilient face aux défis économiques et à la concurrence internationale.
Q : Vous disiez auparavant que le secteur touristique souffre d’un manque de vision. Quelles sont vos attentes maintenant qu’il y a un nouveau gouvernement en place ?
Le tourisme est l’un des plus anciens secteurs de notre économie. Il a connu, depuis ces 50 dernières années, une transformation statique tout en se promouvant davantage comme une industrie hôtelière. Raison pour laquelle le remplissage des hôtels reste prioritaire. Malgré le fait que l’objectif principal reste le développement socio-économique, le mode opératoire est paradoxal puisqu’il a rendu, dans le temps, le secteur non résilient. La situation post-Covid-19 résume ce manque de résilience. Ce qui fait que même les grands opérateurs du secteur ont dû avoir recours à des fonds de l’État pour pouvoir se remettre sur pied. Qu’en est-il alors des PME du secteur ? Nous avons échoué à progresser vers une vision durable fondée sur une politique de démocratisation de notre économie au cours des dix dernières années. Les priorités se sont limitées à nos arrivées touristiques et aux devises. La question relevant d’une distribution équitable de la richesse est donc restée sans intérêt.
Le résultat des dernières élections est révélateur des attentes du peuple. Le gouvernement n’a donc pas le droit à l’erreur. Il nous faut plus que jamais avoir une industrie touristique qui est inclusive et résiliente. Nous devons ainsi changer de mode opératoire. Les PMEs, qui sont les actrices principales dans cette bataille, doivent pouvoir participer aux prises de décisions importantes, que ce soit au niveau d’Air Mauritius pour la politique commerciale et l’allocation des sièges, de l’office du tourisme concernant la promotion de la destination, de la Tourism Authority concernant le framework légal et le Tourism Employees Welfare Fund (TEWF) dans l’intérêt des employés. Une fois cette représentation établie, un état des lieux s’impose avant l’élaboration d’une stratégie visant à définir notre objectif à court, moyen et long terme. Un suivi régulier reste crucial afin de s’assurer qu’on soit sur la bonne voie.
Q : Comment peut-on redynamiser et relancer ce secteur pour qu’il soit plus compétitif, surtout par rapport aux autres destinations très prisées comme les Maldives ?
En tant que destination, nous avons l’avantage d’être un produit à part entière. Ainsi, je ne considère pas les Maldives ou la Réunion comme étant une concurrence directe. La compétitivité reste un défi entre les grands hôtels, si on prend les Maldives comme benchmark. Malgré cela, les hôtels ont connu un bon taux de remplissage en moyenne, donc je ne crois pas que les Maldives soient un concurrent dans ce sens. Si elles le sont, c’est parce que nous ne nous valorisons pas suffisamment, compte tenu des produits que nous avons.
Notre handicap reste notre positionnement géographique avec plus de 10 heures de vol de nos marchés principaux. D’autant que nous ne jouissons pas des mêmes facilités que l’île de la Réunion, qui fait partie de l’État français. Le prix du billet reste cher, au détriment des petits et moyens opérateurs. Nous avons également une urgence de passer d’une industrie hôtelière à une industrie touristique, avec le sens de l’hospitalité et de l’authenticité. La compétition ne se résume pas uniquement aux prix. Nous avons tout ce qu’il faut en termes de produits pour créer un competitive edge. Nous proposons des forfaits abordables, qui ne sont pas suffisamment valorisés.
Q : Nos offres se limitent toujours au sea, sun and sand. Ne doivent-elles pas être revues et diversifiées pour attirer d’autres catégories de visiteurs que des honeymooners ou des retraités ?
Toute cette question se résume à la vision qu’on a pour ce secteur. Nous devons concevoir un plan et une stratégie, selon nos priorités. Maurice est un combiné des Maldives et de la Réunion. Nous disposons d’un éventail de produits de vacances qui va au-delà du mythe soleil, sable et mer. Le segment des Senior Citizens en est un, et nous en avons tant d’autres, comme l’eco-tourisme, entre autres.
Q : On se cantonne souvent au nombre d’arrivées touristiques. Or, n’y a-t-il pas une urgence à revoir cette stratégie afin de privilégier la qualité plutôt que la quantité ?
Nous avons ce qu’on appelle l’offre, soit les produits et la capacité, et la demande. Je ne crois pas qu’il y ait eu des concessions au niveau de la quantité au détriment de la qualité. Nous sommes très loin de l’exemple des destinations de masse. La plus grande urgence concerne la distribution de la richesse qui survient surtout lorsqu’il y a des contributions de l’État.
Q : Et quid de la résilience du secteur touristique ?
La résilience de cette industrie est une question de relativité. La fragilité de notre industrie peut prendre n’importe quelle forme et nous avons tous intérêt à avoir un plan B, voire un plan C. Sur le plan international, la diversification de nos marchés reste une priorité permanente. Il nous faut développer davantage de partenariat avec des compagnies aériennes afin d’améliorer notre accessibilité. La résilience dépendra aussi de certaines décisions importantes au niveau de nos lois sous la Tourism Authority (TA) et de la NTLA.
Q : Un autre problème croissant auquel fait face le tourisme est sans doute le manque de main-d’œuvre. Comment peut-on le résoudre ?
Le manque de main-d’œuvre est un véritable chaos, surtout lorsque l’éclat de cette industrie hôtelière dépend de nos ressources humaines locales. Nous avons, encore une fois, une urgence à préparer l’avenir dans cette industrie. Nous devons, d’une part, établir nos besoins en termes de ressources humaines, et, d’autre part, définir la formation requise pour résoudre le problème.
Q : Quel est le rôle de la MTPA dans tout cela ?
Le rôle de la MTPA dépendra de la vision de l’État et de celui qui sera appelé à la diriger pour l’implémentation de cette vision gouvernementale. Le gouvernement a aujourd’hui le pouvoir d’apporter les changements nécessaires en termes de lois, s’il le faut, afin d’aplanir tous les obstacles en vue de permettre à la MTPA de mener à bien sa mission. Ce qui est sûr, c’est que la MTPA ne devra plus se contenter de se focaliser sur l’objectif des arrivées touristiques.
Q : Pensez-vous avoir une rencontre avec le nouveau ministre du Tourisme pour lui faire part de vos préoccupations et suggestions ?
J’attends de pouvoir rencontrer le ministre du Tourisme très prochainement et de lui faire parvenir les propositions de l’ATO dans l’intérêt de l’industrie.