[Interview] Amar Deerpalsing, président de la Fédération des PME

« Le secteur des PME est aujourd’hui complètement bouleversé et va beaucoup souffrir »

Quel sera l’impact de la hausse salariale qui sera appliquée dès ce mois de janvier sur les petites et moyennes entreprises ? Amar Deerpalsing, président de la Fédération des PME, nous fait part de ses inquiétudes et relève les défis auxquels les entreprises de ce secteur sont confrontées.

Propos recueillis par Zahirah RADHA

Q : La compensation salariale et le salaire minimum entreront en vigueur dès la fin de ce mois et il paraît que les PME seront très affectées par cette hausse salariale. Quelles sont vos inquiétudes à ce sujet ?

Les PME seront certainement affectées. Le soutien accordé par le gouvernement aux PME ne concerne que des compagnies qui sont tournées vers la production locale, soit le secteur manufacturier, et l’exportation. Mais les PME ne se résument pas seulement à ces deux secteurs. Tous les autres secteurs qui seront également touchés par cette hausse salariale ne bénéficieront, eux, d’aucune aide gouvernementale. Les compagnies qui offrent des services, par exemple, devront casquer ce coût additionnel qui s’élèvera à environ 43 à 47%. Une partie des PME se retrouvera donc en difficulté.

Q : Il y a donc eu un ciblage concernant cette aide accordée par le gouvernement ?

Oui. Je ne connais pas la raison de ce ciblage, n’ayant pas participé aux discussions lorsque cette décision a été prise.

Q : Aviez-vous été invité à y participer ?

Nous avions fait une proposition, mais nous ne sommes pas dans les secrets des dieux et nous ne connaissons pas le motif de cette ségrégation des opérations dans le secteur des PME. Mais je comprends que si cette aide n’était pas accordée aux entreprises qui sont dans l’exportation, il fallait s’attendre à leur délocalisation éclair. Idem pour celles qui sont dans la production locale. Elles auraient été incapables de faire face aux produits importés et elles auraient dû également mettre la clé sous le paillasson.

Ces deux catégories de PME sont donc sous perfusion. Zot ine gayn serom avec le gouvernement, mais il ne faut pas oublier que cette aide n’est pas éternelle. On ne sait pas quelle sera la durée de cette perfusion. Dans le passé, le gouvernement a déjà accordé des soutiens financiers avant que ceux-ci ne soient enlevés. On l’a vu pour les compensations salariales de 2020 à 2022. Le gouvernement les avait pris à sa charge avant d’y mettre un terme en 2022. J’estime ainsi que la présente aide ne durera pas longtemps non plus. Les entrepreneurs devront donc agir en conséquence.

Q : Les PME pourront-elles passer ce coût à leurs clients ou aux consommateurs ? 

Pas nécessairement. À la fin de ce mois de janvier, les PME se retrouveront avec une masse salariale conséquente dépendant du nombre de leurs employés. Rien que pour un seul employé, cette hausse peut représenter jusqu’à Rs 50 000 par an. Ainsi, pour une dizaine d’employés, cette augmentation s’élèvera à Rs 500 000. Où trouver les revenus pour financer cette hausse salariale ? Les compagnies font généralement leurs prévisions à moyen terme. Si leurs coûts augmentent, elles devront agir en conséquence en augmentant les frais de leurs services.

Mais cela pose problème pour les compagnies lorsque ces coûts augmentent rapidement, surtout lorsqu’elles ont déjà des contrats avec leurs clients. Par exemple, si une compagnie assure la sécurité d’un bâtiment spécifique et qu’elle a déjà un contrat en bonne et due forme avec le propriétaire du bâtiment, elle ne pourra pas augmenter ses frais, à moins qu’il y ait une clause quelconque qui lui permette de le faire. Ce qui est assez improbable. Il y a beaucoup de compagnies qui se retrouvent dans cette situation et qui ne pourront pas augmenter le coût de leurs prestations pour faire face à cette augmentation de salaires qui est quand même drastique.

Q : Y aura-t-il des risques de licenciement ?

Le problème, c’est que cette hausse salariale prend effet tellement vite que les entreprises n’ont pas le temps de réagir en conséquence. Maintenant si les entreprises n’arrivent pas à donner cette augmentation, il y aura naturellement des représentations au niveau du ministère du Travail, car c’est une obligation légale de payer le salaire minimum. Si des entreprises ne veulent pas passer le coût additionnel aux clients, il leur faudra des gains de productivité. Pour y arriver, elles doivent automatiquement investir dans des équipements plus modernes qui sont « less labour-intensive ». Ce qui mènera à des dégraissages.

Des fois, on n’investit pas dans des équipements modernes à cause de la main d’œuvre. Dans des pays où les salaires sont élevés, les entreprises investissent davantage dans l’automatisation et la robotisation. C’est le cas, par exemple, des compagnies spécialisées dans l’automobile en Allemagne. À Maurice aujourd’hui, je prévois qu’on se tournera plus dans cette direction. Il faut aussi prendre en compte la viabilité de nos produits. Il y a certaines choses qu’on pouvait faire à Maurice parce que le coût de production était compétitif. Mais avec cette hausse salariale, il y a un risque que certains produits et services ne soient plus viables. Ce qui posera également problème.

Q : Une réinvention ne sera donc pas sans conséquences ?

Chaque difficulté apporte son lot d’opportunités. Mais le modèle sur lequel on travaille changera évidemment. Ceux qui pratiquent l’ancien modèle de travail sera aujourd’hui voué à l’échec. Il faudra investir dans le « hi-tech », l’autonomisation, et la robotisation. Une compagnie de sécurité peut, par exemple, faire la surveillance à travers un contrôle à distance grâce à des équipements modernes au lieu de placer des gardiens de sécurité dans différents bâtiments. Mais évidemment, ce nouveau modèle impliquera un nombre réduit d’employés, puisque les nouvelles technologies sont « less labour-intensive ».

Q : Souhaitez-vous une considération spéciale pour les PME lors du prochain budget qui sera techniquement le dernier du gouvernement sous ce présent mandat ?

Le secteur est aujourd’hui complètement bouleversé. Les PME n’ont pas été préparées à l’éventualité de cette hausse salariale et elles vont souffrir. J’ai beaucoup de craintes, surtout pour les employés qui n’ont pas été formés. Ils risquent ainsi de devenir obsolètes. Le gouvernement n’a pas eu de vision, avant de venir avec une augmentation des salaires.

Laissez-moi vous donner un exemple. Auparavant, on ne consommait que des produits frais. Maintenant, on consomme pratiquement tous des produits frigorifiés, y compris pour les légumes. Même le ministère de la Santé achète des tomates en boîtes ! La raison est simple. Le coût de production des légumes frais est élevé. C’est plus coûteux d’acheter une pomme ou une orange importée qu’une mangue ou un ananas qu’on cultive chez nous. Il y aura forcément moins de personnes qui seront engagées dans ce secteur d’activités.

La hausse du salaire est une bonne chose, mais il y a tout une préparation à faire avant de l’accorder. Qui sera disposé à donner un salaire élevé à un jeune qui vient de quitter l’école, qui n’a aucune qualification et expérience ? Le drame, c’est aussi que davantage de jeunes qui sont, eux, qualifiés se tourneront alors vers d’autres pays.