En une semaine : Gifle magistrale pour la police et l’ICAC

Cette semaine a été riche en développements, avec d’abord la charge provisoire de ‘Perverting the course of justice’ rayée contre Rama Valayden et la charge de ‘Public Official Using Office for Gratification’ contre Brijendrasingh Naeck, ‘Principal Pharmacist’ au ministère de la Santé. Cela concerne l’enquête sur l’affaire Molnupiravir, qui remonte à décembre 2021. Les mises en garde et rappel à l’ordre sévères du Directeur des Poursuites Publiques (DPP) et la magistrate Bibi Aznah Bholah dans ces deux cas interpellent. Nos ‘enforcement agencies’ respectent-elles la loi ?

La police n’est pas près d’oublier ce rappel à l’ordre du Directeur des Poursuites Publiques (DPP), mardi dernier. D’abord, le contenu a été communiqué à la magistrate de la cour de district de Port-Louis, Azna Bibi Bholah, sur Rama Valayden. Ce dernier, avocat et dirigeant de Linion Pep Morisien (LPM), avait été arrêté par la ‘Special Striking Team’ (SST) le vendredi 12 mai dernier, suite aux propos qu’il avait tenus lors de l’émission « Au Cœur de l’Info » sur Radio Plus le vendredi 5 mai dernier où il avait fait état de ‘planting’ dans certains cas de drogue.  

Le jour où la charge provisoire avait été logée contre Rama Valayden, plusieurs motions avaient aussi été déposées devant la magistrate, dont celle de la radiation de cette accusation provisoire. Onze jours plus tard, soit le mardi 23 mai dernier, c’est le DPP qui a pris les devants, en annonçant sa décision de rayer la charge provisoire. Non seulement a-t-il émis des sérieuses critiques contre la police, mais il l’a également rappelé à l’ordre concernant l’usage de la charge provisoire.

Selon le DPP, il n’y a aucun lieu à ce stade de maintenir une charge provisoire contre Rama Valayden, avant que l’enquête ne soit bouclée. Il demande également au patron des Casernes centrales de ne pas recourir à la charge provisoire à chaque fois, et aussi de rechercher des avis légaux avant d’y recourir (voir aussi en page 8).

Sérieuses critiques contre l’ICAC

Il était l’un des principaux suspects de l’ICAC dans l’enquête sur l’affaire Molnupiravir. Le ‘Principal Pharmacist’ du ministère de la Santé avait été arrêté en décembre 2021 par l’ICAC dans cette enquête concernant l’achat d’un million de comprimés de Molnupiravir au coût de Rs 79 millions. La magistrate Azna Bibi Bholah a rayé cette charge cette semaine, en émettant de sérieuses critiques contre l’ICAC.

D’abord, la magistrate Bholah note des failles majeures dans la conduite de l’enquête. « I have noted with concern the major loopholes in the evidence of the EO (Enquiring Officer) to substantiate that there was reasonable suspicion at the time of the arrest and the lodging of the present provisional charge […] ». Elle relève ensuite des incohérences. « What is more shocking from what transpired from the EO is his averment that the senior most officers of the MoHW are so unqualified that they cannot distinguish between a ‘Panadol’ and ‘Molnupiravir’, have no means of verification, but yet the ones at the apex of the MoHW to approve the procurement of medications during a global critical period that is, the Covid-19 pandemic at a time where the death rate was alarmingly high ».

Et d’ajouter que « I have also noted that follwoing the version of the EO given in his cross-examination, learned counsel for the ICAC proceeded with a lenghty re-examination on another day, in what clearly looks like an attempt to rectify and set aside the loopholes that were so obvious in the cross-examination ». Elle nfonce le clou en soutenant que « I am of the view that the nature of the perations of the ICAC, ought not to be allowed to become the driver for change in an area of the law where the consequence is the loss of the liberty of an individual and the Court cannot accept the EO’s suspicion based on the above as this would constitute a serious erosion of the safeguard of ‘reasonable suspicion’ ».

La magistrate Bholah se pose des questions sur la réelle intention de l’ICAC sur cette affaire. S’agit-il d’une tentative de protéger ceux qui se trouvent dans une position hiérarchique plus haut que le ‘Principal Pharmacist’ ? « I also wish to place on record that the remarks made by the EO with regard to the qualifications of the former SCE of the MoHW, the DPS and the other senior officers of the Ministry, seem to be clearly a subsequent vain attempt to disconnect them from the present provisional charge after admitting in cross examination that the procurement process for the 1 million capsules of Molcovir 200mg at Rs 79.92 per unit from CPN Distributors Ltd could have been stopped at their level of verification ».

Ce qui indique clairement que l’ICAC a tenté de dévier l’enquête pour disculper les cadres, au détriment du ‘Principal Pharmacist’. En tout cas, ces deux affaires embarrassent grandement les deux institutions clés du pays. Que sont la police et l’ICAC. D’ailleurs, l’ICAC ne semble pas avoir digéré les critiques émises à son encontre par la magistrate Bholah. Dans un communiqué émis vendredi après-midi, L’ICAC dit « considérer en ce moment les avenus légales » dans cette affaire. « L’ICAC insiste que l’enquête est en bonne voie et qu’elle attend de recevoir des preuves de l’étranger afin de boucler le dossier », précise le communiqué de la commission anti-corruption.

Stag Party

L’ICAC tente-t-elle de disculper le ministre Gobin ?

La façon dont l’ICAC a procédé dans l’affaire Molnupiravir, et qui a été critiquée par la magistrate Bholah dans le jugement rendu dans le cas de Brijendrasingh Naeck font craindre le pire dans l’enquête portant sur le ‘Stag Party’. Dans ce jugement justement, la magistrate dit avoir noté des tentatives de l’enquêteur de l’ICAC de disculper des hauts cadres du ministère de la Santé, en allant « on a fishing expedition » contre le ‘Principal Pharmacist’ Brijendrasingj Naeck contre qui il n’y avait pas de « reasonable suspicion ».

L’on craint ainsi que la commission anti-corruption ne récidive de la même façon dans l’enquête concernant les allégations de pots-de-vin contre le ministre Maneesh Gobin et le PPS Rajanah Dhaliah. Car jusqu’ici, ces derniers n’ont pas été inquiétés par les enquêteurs de la commission anti-corruption. « Eski pe rode zis bane ti poissons pou arrêté et pou disculpé bane gros requins ki fine prend pots-de-vin », se demande-t-on dans le milieu légal et politique. Le député Eshan Juman en a d’ailleurs fait part lors de la conférence hebdomadaire du PTr, vendredi. 

ICAC

Rajen Narsinghen : « Un instrument dangereux entre les mains du pouvoir »

Le constitutionaliste Rajen Narsinghen estime que l’ICAC est devenu un instrument politique. Il déplore le fait que le peuple n’ait plus confiance en cette institution. « Je salue le courage de cette jeune magistrate d’avoir présenté toutes les preuves pour dénoncer l’ICAC. Le directeur général aurait dû démissionner immédiatement. Il est évident que l’organisme ne fonctionne plus et que les enquêteurs ont délibérément orienté l’enquête dans une direction afin de protéger certains cadres proches du gouvernement… l’ICAC est devenu un instrument dangereux entre les mains de ceux qui sont au pouvoir… le prochain gouvernement devra sans aucun doute revoir le fonctionnement de l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) », affirme-t-il.

« L’instrumentalisation de plusieurs institutions (BoM, FSC, MBC etc…) met notre pays en péril sur la scène internationale. Nous prenons des engagements envers les instances pour lutter contre la corruption et le trafic de drogue, entre autres, mais nous ne pouvons pas nous contenter de beaux discours. Maurice devient pire que certains pays d’Afrique où la corruption et la dictature sont prédominantes », déclare l’avocat.