« Mr Jagai finn repon mwa[…] li pa prend lord avec mwa…»

EXCLUSIF

Affaire Bissesseur : un ‘Postal Officer’ lève le voile sur le ‘controlled delivery’ effectué à l’aéroport

  • L’une d’entre elles destinée à un dénommé « Avinash Sesur » à Avenue des Tulipes à Quatre-Bornes
  • Il confie n’avoir pas vu de ‘warrant’, malgré son insistance, lorsque l’ASP Jagai et son équipe ont pris possession du colis

Beaucoup a été dit concernant le « controlled delivery » effectué par la PHQ Special Striking Team (SST) chez Akil Bissessur le 20 juin dernier. Grâce à une copie d’une lettre que Sunday Times a en sa possession, nous sommes en mesure de vous dévoiler le déroulement de cet exercice AVANT qu’il ne soit livré chez Akil Bissessur, plus précisément lorsqu’il a atterri au ‘Plaisance Air Transport Services Ltd’ (PATS) le lundi 19 juin 2023. Dans cette correspondance, datée du 19 juin 2023 et adressée au CEO de la ‘Mauritius Post Ltd’, au ‘HR Manager’, à l’‘Operation Manager’ et au « President of Sydicat », un employé de la poste, dont nous ne révèlerons pas l’identité pour des raisons évidentes, explique dans les moindres détails ce processus, craignant sans doute des sanctions, ayant récemment été affecté à ce poste à PATS.

Cet employé, un ‘Postal Officer’, affirme ainsi avoir été approché par deux officiers de l’ADSU et de la CANS (‘Customs Anti Narcotics Section’ de la MRA) lorsqu’il a pris son poste à 8h le lundi 19 juin 2023. Ils lui ont fait savoir qu’ils l’accompagneront à G2AIR quand il recevra le colis BA2065, (British Airways), et portant le ‘Dispatch No.’ : 179 Frankfurt, en provenance de l’Allemagne. C’est ce qu’ils ont fait, et une fois le colis arrivé, il les en informe, comme convenu. Selon cette lettre, les deux officiers lui auraient alors demandé de leur remettre le colis. Ce que l’employé en question refuse de faire, conformément aux règlements de la poste. « Zot finn dir mwa ki zt pou prend sac la jus pu fer 1 scanning », explique-t-il dans la correspondance. L’employé a alors décidé d’appeler l’‘Area Manager’, un certain Mons. G. Mais devant l’insistance des deux officiers, il finit par accepter qu’ils fassent le ‘scanning’, à condition cependant qu’il soit effectué en sa présence.

Enter « Mr Jagai »

Cette étape, soit le ‘scanning’, terminée, les deux officiers auraient poussé le bouchon plus loin, en insistant cette fois-ci pour ouvrir le colis. Une fois de plus, l’employé a d’abord refusé d’obtempérer, sans qu’il n’obtienne l’aval de ses supérieurs. Il devait alors passer un deuxième coup de fil à Mons. G. Ce dernier lui dira que « apparemment zt bizin ena 1 warrant avant et li pe fer le nécessaire de contacter le CEO de la poste pour avoir des infos ». Mais l’employé n’était visiblement pas au bout de ses surprises. Alors qu’il attendait les instructions de ses supérieurs, il devait voir arriver une équipe de la SST, dont « Mr Jagai ». « Ti ena a peu pret une vingtaine de personnes de sa lekip la ki fine autour mwa et (Mr Jagai) ine approche mwa en tant que responsable de la post a G2AIR a cet heure la », poursuit-il dans sa lettre.

L’employé est ainsi informé que l’équipe de la SST devait y mener une opération de drogue. Celle-ci concernerait le colis portant le ‘Dispatch No.’ : 179 Frankfurt. Il a alors réitéré son refus, en soutenant qu’il devait au préalable obtenir la permission de ses supérieurs. « Mr Jagai finn repon mwa en me disant que li pa prend lord avec mwa ou ni avk mo ban Manager mem CEO de la Post pu ki li ouver sac la ». Tenant bon malgré tout, l’employé de la poste lui demande alors de lui accorder quelques minutes pour rechercher l’aval de sa hiérarchie afin de ne pas avoir d’ennuis au travail. « Mo finn deman li aussi si jamai li ena kit warrant pou certifier ki lin recevoir permission imterrompe mwa dan mo travay pou ouvert le sac ». Ce à quoi l’ASP Jagai lui aurait répondu que c’est une affaire strictement confidentielle et qu’il ne fallait pas qu’il y ait des fuites d’information.

Non-présentation du ‘warrant’

Le ‘Postal Officer’ reprend alors contact avec Mons. G. Et c’est là que le premier nommé dira qu’il n’a pas vu de warrant. « Kan mone dir li que Mr Jagai pa p accepter pou remet mwa le warrant, li finn dir mwa ok b donne li sac la … », souligne l’auteur de la lettre. S’ensuit alors le déballage du colis. La responsabilité de l’ouvrir est revenue à l’employé de la poste, bien que ce dernier soutienne dans sa correspondance que « sa c pas mon travay mais la part de douanier ». Le colis, relate-t-il, contenait trois boîtes adressées à trois différentes personnes. « Ti ena 1 boite dedan ki addresser a un denommer (Avinash SESUR) ki supposer etre livrer à (Ave des Tulipes) a (Quatre-Bornes) ». Il ouvrira alors une boite supposée contenir une balance, mais qui contiendrait, en fait, de la drogue. Pendant deux heures, l’équipe de la SST aurait fait un ‘assessment’, avant de demander finalement à l’employé de la poste de signer plusieurs ‘statements’ ainsi qu’une enveloppe dans laquelle la drogue, soit les pilules d’Ecstasy, avaient été scellées.

Mais l’employé dira, en guise de conclusion, que « en final, zt in prepare 1 dummy dans mon absence pou ki zt re met li dan sac la post la pour la livraison du (control delivery) ». Il dira ne pas connaître la suite des événements, une fois qu’il a remis les autres colis reçus à l’aéroport au bureau de poste à Port-Louis, où il a été suivi, durant le trajet de Mahébourg jusqu’à la capitale, par un véhicule de la police.

Interrogations et inconsistances

Plusieurs questions se posent à la lumière de cette lettre. D’abord, il semble que la direction de la ‘Mauritius Post Ltd’ n’avait pas été mise au courant de cette opération dite « strictement confidentielle », alors que cela aurait dû être le cas. Les procédures ont-elles été respectées. Dans ce cas précis ? Faut-il qu’un ‘warrant’ soit d’abord présenté ? Aucune réponse du côté de la poste, nos tentatives pour solliciter le CEO, Anand Ramchurn, étant restées vaines, ne pouvant également pas confirmer s’il a reçu la lettre qui lui a été adressée par le ‘Postal Officer’ ou pas.  

Mais selon les explications que nous a fournies Dev Jokhoo, ancien DCP ayant participé aux opérations de « controlled deliveries », il ne nous semble pas que les étapes normales ont été suivies. D’ailleurs, le Premier ministre, lors d’une question supplémentaire de Nando Bodha au Parlement mardi, a soutenu que c’est à la cour de décider si l’exercice était légal ou pas, en défendant toutefois l’opération menée par la SST dans le combat gouvernemental contre la drogue.

Dev Jokhoo nous explique, pour sa part, qu’un tel exercice doit se faire généralement au quartier général de la ‘Mauritius Post Ltd’ en la présence des officiers de l’ADSU et de la CANS (MRA), affectés à la poste, ainsi que et des représentants du ministère de la Santé. « Il faut la clearance de toutes les parties concernées pour ce genre d’opération », explique-t-il. Or, dans ce cas-ci, rien n’a été mentionné, dans la lettre dont nous faisons état, sur la présence des officiers du ministère de la Santé.

D’ailleurs, l’employé de la poste affirme n’avoir vu aucun ‘warrant’, alors qu’au Parlement mardi, le Premier ministre a soutenu que « the parcel was intercepted by a team of the Special Striking Team (SST), at Ground 2 Air Warehouse, Sir Seewoosagur Ramgoolam International Airport by virtue of a Search Warrant ». Qui plus est, selon Dev Jokhoo, l’opération doit se faire au ‘Central Post Office’. Or, celle-ci s’est déroulée au bureau de G2AIR à l’aéroport, sans grande supervision apparente, sauf celle des deux officiers de l’ADSU et de CANS et de l’équipe de la SST.

Selon les explications de Dev Jokhoo, il y a normalement deux options en ce qu’il s’agit des « controlled deliveries ». « Soit le destinataire est notifié à travers une carte pour qu’il aille le récupérer à la poste centrale. Soit, dépendant du volume du colis, on peut l’envoyer à la poste régionale, mais celle-ci ne livre pas le colis. Elle informe le destinataire, toujours à travers une carte, pour qu’il le récupère. Si jamais celui-ci ne peut pas prendre la livraison, il faut qu’il renvoie cette carte à la poste avec les coordonnés d’une personne qui puisse aller le chercher, en produisant sa carte d’identité », explique-t-il.

Si personne ne récupère le colis, le contenu est alors détruit. « Mais à auken moment zot pa alle deliver », insiste-t-il. Et de toutes les façons, précise-t-il, le « prohibited content » n’est jamais livré. « Celui-ci reste en possession de l’ADSU. C’est un substitut qui est livré au destinataire », Mais qu’en est-il si le nom du destinataire est mal écrit, ou n’existe pas ? « Normalement, il faut s’assurer de l’identité de la personne avant de livrer quoi que ce soit », dit-il. Il semble cependant que le colis livré chez Akil Bissessur le 20 juin 2023 portait le nom d’Avinash Bissessur tandis que, selon le ‘Postal Officer’, une des trois boîtes contenues dans le colis en provenance de l’Allemagne était destiné à un certain « Avinash SESUR ». Autant de facteurs qui alimentent davantage les doutes…