L’anarchie

La situation dans le pays est arrivée à un point inimaginable. La crise persistante qui secoue deux instances phares du pays, soit la police et le bureau du DPP, ne fait qu’accentuer cette tension perpétuelle au sommet de nos institutions, en alimentant le malaise général d’une population déjà assaillie par le coût élevé de la vie et des scandales infinis. Ce bras de fer qui oppose la police et le bureau du DPP ne date pas d’hier. Et il n’a rien à voir avec le fait que le fils de l’actuel Commissaire de police, Chandra Prakashsing Dip, qui, après avoir obtenu la grâce présidentielle dans un cas d’entente délictueuse et de détournement de fonds, a été poursuivi par le nouveau DPP, Me. Rashid Ahmine, pour un autre cas de détournement de fonds.

Il remonte, en fait, à bien plus longtemps que cela, soit en 2015, lorsque l’ICAC voulait arrêter Satyajit Boolell, ancien DPP, dans l’affaire Sun Tan et ainsi l’exclure de sa position de DPP. Probablement parce que son patronyme dérangeait les dirigeants du jour, nouvellement installés à l’Hôtel du gouvernement après les élections de 2014, et qui s’étaient engagés dans une vendetta politique sans précédent contre des membres et des proches de l’ancien gouvernement. Cette vaine tentative contre l’ancien DPP avait alors culminé par un projet de loi, la ‘Prosecution Commission Bill’. Mais celui-ci avait dû être abandonné, n’ayant plus la majorité requise pour effectuer l’amendement constitutionnel qu’il nécessitait, après que le PMSD s’y soit opposé catégoriquement, en quittant le navire gouvernemental.

On aurait ainsi tort de croire que la police n’en fait qu’à sa tête dans cette crise institutionnelle engagée contre le bureau du DPP. Car elle reflète clairement une volonté politique de « casse les reins » du bureau du DPP, dont l’indépendance n’est pas au goût de tout le monde. La police est donc tirée par des ficelles invisibles, avec la complicité déconcertante du bureau du Premier ministre et de l’Attorney General (mis en cause dans le sillage de l’affaire Franklin), dont le silence interpelle. Mais au-delà de cette crise police-DPP, les méthodes grossières employées par la police dans certains cas, surtout ceux impliquant des opposants politiques du gouvernement, sont également révoltantes.

La non-présentation des mandats d’arrêts, comme dans l’affaire Sherry Singh, ou encore le refus à des avocats d’avoir accès à leurs clients, dans les cas de Vimen Sabapati, Bruneau Laurette et Akil Bissessur, sont des ‘evil precedents’ qui ne peuvent être tolérés dans un état de droit. D’ailleurs, le Bar Council évoque une « situation extrêmement grave » entre le barreau et la police. « C’est inacceptable que des avocats soient menacés de poursuites pénales, d’actions civiles ou de sanctions dans le cadre de l’acquittement de leurs fonctions en conformité aux normes professionnelles et déontologiques », a réagi sa présidente, Me. Priscilla Balgobin-Bhoyrul. D’où sa demande pour une rencontre avec le Commissaire de police. Et qu’on doute aboutira à une action concrète, malgré toutes les bonnes intentions de la présidente du Bar Council, tout simplement parce que c’est Lakwizinn qui décide.

Dans la Santé, alors que le gouvernement s’active à passer une loi qui lui permettra de plumer davantage la population, à travers l’achat des médicaments et des équipements médicaux, les employés de ce ministère se heurtent à une fin de non-recevoir quant à leurs doléances. Le manque de personnel et de ‘burn-out’ à l’hôpital de Moka ont mené à la mort d’une aide-soignante, déplorent ses proches. Quant aux cas de négligence criminelle ayant provoqué la mort des patients dialysés pendant la Covid-19, il a fallu que le Medical Council prenne les choses en main pour réclamer que les neuf autres cas lui soient également référés devant l’apathie du ministre Kailesh Jagutpal. Celui-là même qui avait initialement prétendu que seulement deux cas de négligence avaient été identifiés. Un autre mensonge pour lequel il ne sera pas sanctionné, puisque c’est l’incompétence du gouvernement qui devait être gardé secret. Ainsi va le pays. Au grand dam de la population.