[EDITO] Chagos : Exploit ou braderie ?

Par Zahirah RADHA

Le Premier ministre Pravind Jugnauth parle d’accord historique sur le dossier Chagos. Et tout le monde, ou presque, applaudit. Mais à bien y voir, s’agit-il vraiment d’une avancée dans notre combat ? La vérité n’est pas aussi rose qu’on le prétend et ceux qui n’y voient que du feu doivent y réfléchir à deux fois. Où est l’exploit ? Il n’y a, à ce stade, qu’un accord conjoint de Maurice et du Royaume-Uni portant sur la reconnaissance de notre souveraineté sur les Chagos. Un pas en avant, certes. Mais attention, cette souveraineté sur l’archipel, sous la forme telle que consentie par le Premier ministre, ne sera techniquement que PARTIELLE ET LIMITÉE. Alors que, jusque-là, on y revendiquait la souveraineté totale et sans équivoque. Que s’est-il donc passé ? La vérité, c’est que ce dossier d’intérêt national, qui éveille généralement notre fibre patriotique bien plus que toute autre considération partisane, a honteusement été traîné sur une plateforme politique à la veille des prochaines élections. Et cela dans l’unique but de donner du sérum politique à un Pravind Jugnauth en nette perte de popularité et de terrain. Voilà la triste et vilaine vérité.

Voyons les faits. « Under the terms of this treaty, the United Kingdom will agree that Mauritius is sovereign over the Chagos Archipelago, including Diego Garcia », dit le communiqué conjoint du gouvernement mauricien et britannique. Mais paradoxalement, « the United Kingdom will be authorised to exercise with respect to Diego Garcia the sovereign rights and authorities of Mauritius required to ensure the continued operation of the base well into the next century ». En d’autres mots, notre souveraineté a été volontairement cédée aux Britanniques. Et pour combien de temps ? 99 ans ! De quelle décolonisation Pravind Jugnauth parle-t-il donc ? En 1965, Sir Seewoosagur Ramgoolam n’avait pas eu de choix lorsque les Chagos avaient été excisés illégalement du territoire mauricien par le Royaume-Uni. Mais Pravind Jugnauth a, lui, accepté en son âme et conscience de céder Diego Garcia sur un plateau d’argent à ce même Royaume-Uni pour presqu’un siècle. Et cela, dans le dos du peuple ! Lalit a parfaitement raison lorsqu’il soutient que « si Trete [Lakor] la al delavan, li (Pravind Jugnauth) pe siyne pu renons nu suverennte – si enn tel zafer posib. Jugnauth, nu bizin rapel, pu rann bann zafer pli pir, ki li alatet seki pe vinn enn Guvernman interimer kan li pe vande lor kestyon suverennte ek lokipasyon militer Moris ».

La décision politique de Pravind Jugnauth revêt aussi une autre implication. En acceptant que les Britanniques exercent une souveraineté sur Diego Garcia, le Premier ministre actuel accepte aussi de renoncer, pour les 99 ans à venir, au droit de regard que Maurice avait sur Diego Garcia et son environnement marin. Un droit que le Tribunal international du droit de la Mer nous avait restauré en 2021 après une âpre lutte. Raison pour laquelle nous pensons que lorsqu’il s’agit d’enjeux de cette taille, relevant de la question d’État et de souveraineté, ils ne méritent pas d’être réduits à de simples négociations politiques à la veille d’une dissolution du Parlement. Ils doivent, au contraire, être soumis à un référendum. D’autant que là, il nous semble que Pravind Jugnauth n’a – ni plus ni moins – bradé une partie intégrante de notre territoire : Diego Garcia, où opérera une base militaire pour encore un siècle. Une braderie de notre territoire qui rapportera des espèces sonnantes et trébuchantes à l’État. Au coût de notre souveraineté totale et sans équivoque. Mais aux yeux de Pravind Jugnauth qui a entraîné le pays dans le piège de la dette, cela ne peut être qu’une bouée de sauvetage. À condition qu’il soit réélu.

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Trahisons

L’élection partielle au no. 10 n’aura pas lieu, comme prévu. Par contre, le pays se dirige aux urnes. Dans un peu plus d’un mois, la population sera donc appelée à choisir ses nouveaux dirigeants. Pour l’heure cependant, le régime sortant doit rendre des comptes. Le bilan est lourd. Moins en termes de réalisations, et plus en termes de scandales et de mauvaise gouvernance. Au lieu de se regarder dans un miroir pour prendre la pleine mesure de ses propres défauts, lacunes et incohérences, Pravind Jugnauth a passé son temps à regarder dans le rétroviseur pour relever les manquements de l’ancien régime travailliste, dont il avait bénéficié du soutien pour faire son comeback politique lors de la partielle au no. 8 en mars 2009. Il risque donc d’être abasourdi par le reality check auquel lui et ses ministres seront confrontés sur le terrain. Car même s’il change tous ses pions pour les prochaines échéances, ses nouveaux lieutenants seront quand même appelés à répondre pour les dysfonctionnements de son gouvernement.

Ce bilan du gouvernement mené par le MSM, nous le connaissons tous. Notre démocratie est réduite à un gimmick. Notre law and order n’est plus qu’une jungle où des opposants du régime sont traités comme des criminels alors que des trafiquants de drogue courent librement sans être inquiétés. Notre économie est à bout de souffle, malgré ce que prétend le gouvernement en manipulant les chiffres. Notre santé publique est sous respiration artificielle, la qualité de service et de soins laissant grandement à désirer malgré de gros investissements dans ce secteur [d’ailleurs, les médicaments gratuits récemment promis par le Premier ministre, après la pénurie sans précédent notée dans nos centres hospitaliers, ne seront, parions-le, bénéfiques qu’aux Hyperpharm ou à certaines quincailleries privilégiées]. Notre système d’éducation demande à être revu de fond en comble. Notre pouvoir d’achat s’effrite de plus en plus, en dépit de l’illusion monétaire qu’on nous fait miroiter sans cesse. La population s’appauvrit pendant que les proches du régime s’enrichissent honteusement.

Plus grave, Pravind Jugnauth a commis non pas une mais deux trahisons envers l’État. D’abord dans l’affaire ‘sniffing gate’. Et ensuite sur la question de notre souveraineté sur Diego Garcia. Lui donner un troisième mandat, c’est donner un « rasoir dans la main zako », comme dirait l’autre.