[VIDÉO] Patrick Assirvaden : « Maurice devient comme le Liban »

Patrick Assirvaden émet des doutes quant aux mesures prises par le gouvernement pour combattre le Coronavirus. Le Premier ministre, dit-il, doit se montrer à la hauteur en prenant certaines décisions fermes, même si elles sont drastiques, afin de protéger la population mauricienne.

 

Zahirah RADHA

 

Q : L’Opposition, dont le PTr, n’est pas convaincue du plan d’action du gouvernement concernant le Coronavirus à Maurice. N’est-ce pas une attitude trop alarmiste ?

Je ne le pense pas. Il faut le voir à deux niveaux. Au niveau international, la France a pris des mesures drastiques. L’Italie a fermé ses frontières complètement et 60 millions d’habitants sont donc casernés. Les Etats-Unis ont fermé l’accès aux pays d’Europe. La Réunion a déjà confirmé plusieurs cas. Tout le monde est affecté par cette pandémie tandis que nous pensons être toujours à l’abri de ce virus.

Les mesures prises par le gouvernement jusqu’ici ne sont pas suffisantes pour empêcher que cette maladie ne rentre à Maurice. Il faut tout faire pour protéger nos concitoyens. Quand on est à la tête d’un pays, il y a un choix à faire. Doit-on protéger les intérêts économiques au détriment de la santé de la population ? Valeur du jour, notre aéroport est ouvert à presque tous les pays du monde. Les bateaux de croisières sont toujours autorisés dans notre port alors que La Réunion, les Seychelles et le Madagascar refusent qu’ils accostent chez eux. Sont-ils plus bêtes que nous ? Non, ils prennent simplement des mesures pour sécuriser la population.

Je pense qu’il est temps de resserrer toutes les entrées du pays, notamment au port et à l’aéroport. On ne peut pas mettre la vie de la population en danger. Je me demande d’ailleurs s’il n’y a pas déjà des cas à Maurice. J’ai cru comprendre que le Coronavirus a des symptômes similaires à la fièvre dengue. Je crois que le gouvernement doit communiquer davantage et vient de l’avant avec une série de mesures pour protéger la société mauricienne et les entrepreneurs contre le désastre économique qui se pointe. Il ne faut pas oublier qu’on a 250 – 300 000 retraités à Maurice et qu’ils sont les plus à risque. Le gouvernement ne fait pas assez, il tâtonne, il hésite. Ce n’est pas le moment d’hésiter. Il faut un Premier ministre fort qui puisse prendre des décisions. Il y va de la vie de nos concitoyens. Loin de nous de vouloir alarmer la population, mais il nous faut tous ‘marié piqué’ dans des moments pareils.

 

Q : Le Premier ministre n’a-t-il pas été suffisamment proactif ?

Il a laissé la gestion de cette crise dans les mains du ministre de la Santé alors que c’est lui, en tant que Premier ministre, qui aurait dû prendre les devants, comme le font tous les chefs de gouvernement au monde. Il s’agit d’une pandémie. Il nous faut un Premier ministre qui puisse trancher. Je le trouve trop hésitant.

Quand la tempête s’abat sur nous, l’on doit se demander : est-ce que le gouvernement sait dans quelle direction il faut aller ? Attend-il que le virus se répande à Maurice avant qu’il ne réagisse ? Où est le programme national de conscientisation dans les écoles, dans les dispensaires ou dans les bureaux de pension ? Je n’en ai vu aucun jusqu’à maintenant. Par contre, il y a des cas confirmés de dengue chez nous. J’attends que le gouvernement nous éclaire, mais je suis inquiet.

 

Q : Fallait-il faire des tests de dépistage plus poussés pour s’assurer que les cas enregistrés dans la capitale s’agissent bien de la dengue ?

C’est pour la première fois à Maurice que j’ai vu la police et des ‘riots’ débarquer chez des patients atteints de dengue pour les transporter à l’hôpital. Autre faux pas du gouvernement, c’est qu’en ne précisant pas les lieux exacts où ces cas ont été enregistrés, il expose d’autres citoyens à risque. L’information doit être diffusée pour que la population puisse prendre des précautions. Je ne suis pas médecin et encore moins un spécialiste dans ce domaine, mais quand j’écoute le Dr Caussy ou d’autres spécialistes, je me dis qu’il y a plus de questions et de doute dans nos têtes que de réponses.

 

Q : Notre économie risque de se fragiliser davantage dans le sillage du Coronavirus. N’est-ce pas paradoxal que d’un côté le Premier ministre parle de « serre ceinture » et de l’autre, il y a des gaspillages énormes des fonds publics, comme démontrés encore une fois par le rapport de l’Audit ?

Le Coronavirus devient un bouc-émissaire. Ce n’est pas hier ou aujourd’hui que l’état de notre économie se détériore. Les dettes publiques dont on parle ne datent pas d’hier, mais se sont accumulées depuis 2014. Depuis 52 ans, c’est la première fois que les écoliers n’ont pas fêté l’indépendance, soi-disant parce qu’il allait pleuvoir. Mais autant que je sache, il n’y a pas eu de pluies torrentielles à Maurice le 11 mars.  Je dois d’ailleurs faire ressortir que Navin Ramgoolam, en tant que Premier ministre, avait négocié auprès du Japon pour qu’on puisse acquérir un radar au coût de Rs 545 millions. Ce radar devait nous permettre d’obtenir des prévisions au jour le jour, mais que font-ils avec ?

Voyons les dettes publiques. Notre pays devient comme le Liban qui n’arrive pas à honorer ses dettes. Les institutions internationales lui refusent de l’aide parce qu’il est devenu un ‘rogue state’. Maurice prend cette même voie. Les dettes publiques ont atteint 65% du PIB, soit Rs 320 milliards. On doit emprunter maintenant davantage pour les rembourser.

Maintenant le Premier ministre annonce une baisse de 10% des dépenses gouvernementales. Qu’est-ce que cela signifie ? Que les travaux de drains et la réfection de routes ne se feront plus ? Pouvez-vous imaginer qu’un ministère des Finances puisse louer des bureaux pour des millions de roupies sans qu’il ne les occupe ? Où allons-nous ? C’est pour cela que je dis qu’entre les paroles et les actions, il y a un grand fossé.

Ce gouvernement, il faut le rappeler, n’a été élu qu’avec 37% de la population, ‘avec so votes coquins tou la-dans’. Tous les chefs de gouvernement à travers le monde vous le diront : quand vous êtes en minorité dans un pays, vous ne pourrez pas le diriger. Aujourd’hui, la méfiance qui existe entre 63% de la population et le gouvernement s’agrandit davantage.

Le Coronavirus sert maintenant de prétexte pour tout masquer. Il vient malheureusement à un mauvais moment. Nous sommes empêtrés dans l’endettement. Les fondamentaux de l’économie s’écroulent. Le tourisme, le textile et l’offshore, entre autres, sont en danger. Il vaut mieux ne parler de la canne et le sucre. Ironiquement, pour le gouvernement, c’est ‘business as usual’. Le discours du Premier ministre à l’occasion du 12 mars ne donne pas l’impression qu’il réalise ce qui se passe.

 

Q : Etes-vous de ceux qui pensent que nous sommes dans une situation d’urgence économique ?

Nous sommes dans une situation d’urgence, tout court. Elle peut être économique, sociale, médicale, ou tout ce que vous le voulez. Il y a d’un côté le Coronavirus qui nous guette et de l’autre, on a un endettement de Rs 320 milliards, couplé d’une situation économique désastreuse. Il ne faut pas se voiler la face. Je ne veux pas être alarmiste. Je tiens simplement un langage responsable. Je suis sincèrement inquiet.

 

Q : Il y a certains observateurs et opérateurs qui estiment qu’on aurait pu prendre le Coronavirus comme fer de lance pour rebooster notre économie. Etes-vous du même avis ?

Les Mauriciens sont en général des combattants. Nous avons vécu beaucoup de moments difficiles durant notre histoire. Mais le pays s’est toujours remis sur ses pieds. Quand on avait eu l’indépendance, de grands économistes avaient dit qu’il n’y avait pas d’avenir pour une île comme Maurice. Pourtant, il y en a eu. Après 52 ans, nous sommes fiers de notre pays.

Le Coronavirus nous a cependant montré à quel point nous sommes tributaires de ce qui se passe en Chine. Je crois que les entrepreneurs mauriciens doivent se réinventer et redonner à l’industrie locale sa valeur. La production locale doit être le fer de lance de l’économie mauricienne. Néanmoins, il incombe au gouvernement de jouer le rôle de facilitateur.

Le journal britannique ‘The Independent’ a d’ailleurs dit clairement que le Coronavirus fera plus de dégâts économiques que médicaux. Le gouvernement ne doit pas attendre que tout s’écroule avant de passer à l’offensive. Il aurait dû déjà annoncer une série de mesures qui sera prise en cas où le pays passe en diverses phases, comme l’ont fait d’autres pays. Mais ici on prétend toujours que tout va bien alors que personne n’a pu démentir le Dr Caussy jusqu’ici (Ndlr : le Dr Caussy a remis en cause les mesures prises par le gouvernement en disant qu’elles ne sont pas adaptées et adéquates). Si ce qu’il dit est vrai, on est dans de sales draps. N’oubliez pas qu’on a approximativement 500 000 visiteurs de la Réunion tous les ans…

 

Q : Les vols vers La Réunion n’auraient-ils pas dû au moins être suspendus dans l’immédiat ?

À mon avis, il faut fermer les frontières pour un laps de temps. Mais les autorités s’obstinent à autoriser les bateaux de croisières dans notre port .

 

Q : Elles soutiennent que des tests nécessaires ont été effectués. N’êtes-vous toujours pas rassurés ?

Vous pensez qu’il n’y a pas de tests en France, en Italie ou au Canada ? Il y en a partout. Mais ils ont quand même été contaminés. Chez nous, on ne sait même pas comment le virus est transmis. Y a-t-il suffisamment de masques pour tout le monde ? Le Premier ministre a évoqué 30 000 masques alors qu’on a une population de 1, 3 millions ! ‘Pou guette figure pou donne sa bane masques la ?’ Les masques auraient dû déjà avoir été distribués aux écoliers ? Attend-on qu’il vienne chez nous pour démarrer une campagne de sensibilisation ou pour fermer nos frontières ?

 

Q : Etant donné que c’est un problème qui transcende les considérations politiques, ne pensez-vous pas que le gouvernement et l’opposition doivent travailler de concert pour le combattre ?

Certainement ! Cette guerre, on la vaincra ensemble. Le leader de l’Opposition, Arvin Boolell, a d’ailleurs lancé un appel en ce sens. Les moments les plus difficiles restent à venir. Le président Macron l’a dit. Nous ne sommes qu’au début de la pandémie. C’est important de bien la gérer. Il faut prendre certaines décisions, mêmes si elles sont difficiles ou drastiques. Il y va de l’intérêt et de la santé de nos concitoyens.

 

Q : Un souhait ou un appel que vous aimeriez lancer à la population ou aux autorités ?

À la population, je dirais que nous sommes tous concernés par ce problème. Il ne voit pas les couleurs, les races ou les statuts sociaux. Qu’il s’agit de l’épouse du Premier ministre Canadien ou des footballeurs, personne n’est épargné. Il faut donc se serrer les coudes et écouter les consignes des spécialistes de santé. Le contact physique est à éviter et le maintien d’une bonne hygiène est conseillé. Il faut bien évidemment qu’on soit solidaire, uni et patriotique dans ces moments. Il faut aussi, par dessus tout, que le gouvernement parle un langage de vérité.