[Avec le retour de Maersk dans notre port] Alain Malherbe : « La vigilance est de mise car tout revirement de situation en faveur des ports sud-africains jouerait inévitablement contre nos intérêts »

La ‘Mauritius Ports Authority’ (MPA) a finalement une chance de se rattraper après sa gestion catastrophique de ces dernières années. En effet, Port-Louis pourrait tirer profit de la crise provoquée par des congestions portuaires intolérables en Afrique du sud, dont Durban et Cape Town. C’est du moins ce que pense Alain Malherbe, expert en milieu maritime. Il explique le contexte : « Selon Transnet, qui est l’autorité sud-africaine des transports, plus de 60 navires attendent au large de Durban afin de pouvoir trouver une place à quai afin de décharger leurs cargaisons. Selon certaines sources, il faudrait compter au moins sept à quinze semaines d’attente », explique-t-il d’emblée. Et d’ajouter que 20 des 63 navires attendant à l’ancre au large de Durban sont programmés pour opérer sur les quais 1 et 2 des terminaux à conteneurs de Durban.

Durban n’est pas le seul port qui se trouve dans cette situation qui pourrait grandement affecter l’économie sud-africaine, puisque Cape Town se trouve aussi dans une situation similaire, précise Alain Malherbe. « Selon Business Live, Cape Town connait des retards allant jusqu’à 14 jours pour décharger les marchandises des navires opérant à quai », souligne-t-il. Raison pour laquelle le conglomérat maritime Maersk a décidé d’abandonner, temporairement ou pas, Cape Town comme port de transbordement. Et c’est sur Maurice que Maersk a jeté son dévolu, notre port pouvant être utilisée comme alternative. Ainsi, tous les conteneurs seront transbordés de Cape Town à Port-Louis, avant d’être réexpédiés à travers son service de ‘feedering’ régional. « Il convient aussi de faire ressortir que les conteneurs à l’export de Cape Town passeront également par le même circuit de transbordement à Port-Louis », dit-il.

Ce qui pourrait être une opportunité en or pour Maurice de se rattraper, surtout après sa performance pitoyable dans le dernier indice mondial, « The Container Port Performance Index 2022 », où notre port s’était retrouvé à la 327e place sur 344 ports. Mais Alain Malherbe rappelle qu’il faut d’abord que la MPA revoit sa copie en matière de gestion. « Notre port est confronté à de sérieux défis qui affectent sa performance opérationnelle en raison des lacunes dans sa gestion », souligne-t-il. Il énumère ainsi plusieurs défaillances au niveau des infrastructures, de la main-d’œuvre, des investissements, et de la logistique, entre autres.

Défaillances

« Notre infrastructure portuaire souffre de vétusté et impacte négativement la fluidité des opérations. Il y a des équipements obsolètes, dont certains sont mal entretenus et non-adaptés à la fonctionnalité et à la spécificité du ‘Mauritius Container Terminal’ (MCT), tels que la vingtaine de trailers achetés à coup de millions de roupies, entravent à la performance acceptable et raisonnable de notre port », ajoute l’expert maritime. Et de poursuivre : « La capacité de traitement limitée de conteneurs par heure malgré quelques portiques de dernière génération contribue aux retards et aux inefficacités dans le port ». Valeur du jour, seulement 5 des 8 portiques, 6 des 9 reachstackers, et 29 tracteurs sont opérationnels alors que 22 tracteurs sont hors d’état de marche.

La main d’œuvre pose également problème, selon Alain Malherbe qui croit savoir qu’un fort taux d’absentéisme est noté, contraignant ainsi le MCT à opérer avec uniquement 3 portiques.

Performance pour octobre 2023 (Conteneur par heure par portique)

Identification Portique                        Performance

99                                                        18

100                                                      17.7

Qc03                                                   23

Qc02                                                   24

Qc01                                                   23

Le manque d’investissements adéquats dans le port est aussi décrié, alors que des dépenses inutiles sont faites pour des équipements inefficients. « Cela provoque des inégalités entre la demande croissante et la capacité opérationnelle, occasionnant ainsi des retards considérables dans le traitement des navires. Ceux-ci doivent passer plus de temps que prévu à quai, tout en voyant grimper leurs coûts portuaires. Il faut comprendre que tout retard encouru à Maurice a une répercussion négative sur la rotation du navire après Port-Louis », renchérit Alain Malherbe.

Autre facteur qui nuit à la bonne gestion du port, le problème d’ordre logistique. « Des procédures douanières complexes et des retards dans le traitement des documents contribuent également à la mauvaise performance de Port-Louis. Le temps de traitement des conteneurs à être scannés ou qui sont sujets à une vérification physique de la douane dépend exclusivement de la disponibilité des équipements de la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL) qui sont habilités à positionner les conteneurs dans les zones relatives. Ces obstacles entravent la circulation fluide des marchandises », dit-il. D’autant que la mauvaise performance du port a des répercussions directes sur le commerce international. « Les retards dans le traitement des cargaisons affectent la chaîne d’approvisionnement, entraînant ainsi des perturbations dans le processus de l’importation et de l’exportation », fait-il ressortir.

Vigilance

Alain Malherbe est catégorique. La prudence doit être de mise, maintenant que Maersk a décidé de choisir Port-Louis aux dépens des ports sud-africains. « Il n’y a pas si longtemps Maersk avait décidé de concentrer ses activités de transbordement régional hors de Port-Louis. La volatilité de cette industrie est à ce point constante que les stratégies commerciales doivent être revues et corrigées dans des laps de temps très courts en fonction de l’évolution du marché et des performances portuaires. C’est ce que nous voyons aujourd’hui. Dans cette industrie, rien n’est acquis », avance-t-il. « Nous devons rester vigilants car tout revirement de situation en faveur des ports sud-africains jouerait inévitablement contre les intérêts de Port-Louis », prévient-il. Ce qui pourrait également nuire à l’image de marque de la région en tant que centre commercial et de transport. « Cela peut avoir un effet dissuasif sur les investisseurs et compromettre la réputation du pays sur la scène internationale », ajoute notre interlocuteur.

Alain Malherbe rappelle aussi qu’il ne nous faut pas fermer les yeux sur le port malgache qu’il qualifie de « lion qui dort ». « Avec son nouveau terminal à conteneurs et ses portiques qui seront opérationnels sous peu, Toamasina (Tamatave) deviendra notre sérieux concurrent, à moins que d’ici-là, la MPA et la CHCL aient adopté des changements radicaux afin de faire de Port-Louis ce nombril de l’Océan Indien dont ils rêvent tant ! Mais sincèrement, j’en doute ! », laisse-t-il échapper.

Solutions potentielles

Alain Malherbe ne se contente pas de critiquer. Il égrène ainsi une série de solutions qui pourraient, selon lui, relancer le port et le remettre sur les rails du développement et du progrès. Il préconise d’abord un investissement significatif dans la modernisation et la fiabilité portuaire. « Cela devrait inclure la mise à niveau de la logistique, tant dans le choix des équipements de manutention et de transport adéquat que dans leur maintenance », indique l’expert maritime. « Il faut ensuite simplifier les procédures logistiques et accélérer le traitement des documents pour améliorer l’efficacité opérationnelle du port. Une coordination étroite avec les autorités douanières peut contribuer à réduire les retards », souligne-t-il, en déplorant que le nouveau système VCS (Vessel Clearance System) comporte trop de faiblesses et d’inconsistances. Ce qui obligerait les agents maritimes à se tourner toujours vers l’ancien système manuel afin d’obtenir les autorisations nécessaires auprès des diverses autorités pour l’entrée au port des navires.

L’instauration d’une culture de transparence et de responsabilité au sein de la gestion portuaire est primordiale pour redonner confiance en notre système portuaire, affirme notre interlocuteur. « Il faut qu’il y ait un mécanisme qui incite à une responsabilisation et à une meilleure gestion des ressources. Il faut aussi prôner plus de proximité et une attitude plus pragmatique envers le public et les clients du port. Il est de notoriété publique qu’à la CHCL et à la MPA, le ‘Client Orientation Culture Policy’ demeure un élément inconnu. Faut-il que je rappelle qu’il n’y a pas si longtemps, la même Maersk Line demandait à la MPA s’il lui fallait se mettre à genoux afin de recevoir un traitement et un service élémentaire ? », s’exclame Alain Malherbe. Ce dernier tire la sonnette d’alarme une nouvelle fois. « La mauvaise performance et la gestion défaillante au port nécessitent une action immédiate afin d’éviter des conséquences économiques plus graves. En investissant dans des infrastructures de pointe, en optimisant les processus et en instaurant une gouvernance transparente, Port-Louis peut retrouver sa position en tant que moteur essentiel du commerce international, tout en contribuant au développement économique durable de la région », conclut-il.