[EXCLUSIVE] Épuration politique à Air Mauritius pendant l’administration volontaire « Instructions formelles » de Kobita Jugnauth pour jeter les travailleurs présumés proches de l’opposition sur le pavé, selon Sherry Singh

  • Yogita Baboo est, parait-il, l’une des victimes de ces représailles politiques de la cheffe de Lakwizinn. Pourtant, elle nie avoir fait étalage d’une quelconque affinité ou couleur politique
  • Le nom d’un proche de Lormus Bundhoo, ancien ministre travailliste, figure également sur cette liste que Sunday Times a pu avoir en partie

Flashback : 12 juin 2020. Sherry Singh reçoit une liste sur laquelle les couleurs et les affinités politiques présumées des travailleurs d’Air Mauritius et d’Airmate sont inscrites à la main par Kobita Jugnauth. Un exercice fait par Lakwizinn avec la complicité du NSS, chargé de faire le screening des employés. Au final, la moitié d’entre eux seront remerciés, l’administration volontaire étant mise en avant pour expliquer ce licenciement massif. Sauf qu’il s’agissait d’un exercice d’épuration politique, visant à se débarrasser de ceux perçus comme étant proches de l’opposition, dont le Parti Travailliste. C’est du moins ce qu’a affirmé Sherry Singh, ancien bras droit des Jugnauths, lors d’un entretien accordé à un média en ligne. « C’est Mme Kobita Jugnauth kine donne moi sa et ou pou trouve so l’écriture ladans », avait-il dit en insistant qu’il avait eu des « instructions formelles » en ce sens alors qu’il pilotait le ‘Transformation Committee’ d’Air Mauritius. Sunday Times publie une partie de cette liste, en prenant soin de ne pas divulguer les noms des employés pour des raisons de confidentialité, à l’exception de celui de Yogita Baboo, qui a toujours clamé haut et fort avoir été victime d’une politique discriminatoire. Maintenant on sait pourquoi, bien qu’elle nie avoir une proximité politique quelconque. « Je ne connaissais même pas de politicien avant mon licenciement », insiste-t-elle.

La révélation est signée Sherry Singh. Cet ancien bras droit de la famille Jugnauth a fait une confession de taille durant un entretien qu’il a accordé à un média en ligne, Informus, la semaine dernière. Celle-ci a trait aux licenciements qui avaient eu lieu à Air Mauritius durant son administration volontaire. Évoquant des tensions qu’il y avait entre le pouvoir et lui-même, il a avoué que l’une de ces raisons concernait Air Mauritius où il avait été nommé chairman du ‘Transformation Committee’. Une mission qu’il n’avait pu compléter en raison de la Covid-19 qui a poussé la compagnie nationale d’aviation vers la mise sous administration volontaire.

« Mone gagne instructions, bane administrateurs osi, carrément met la moitié dehors. Mone gagne instructions formelles », a dénoncé Sherry Singh durant le podcast en question. Le seul critère pour ce licenciement massif en prétextant l’administration volontaire : l’appartenance ou les affinités politiques des employés. C’était l’un des objets de discorde entre Kobita Jugnauth et lui-même, selon l’ex-CEO de MT. Il est allé encore plus loin en dévoilant le mécanisme de cette épuration politique prônée par l’épouse du Premier ministre. « Banla dire moi nou pe fer ene exercice avec NSS et NSS pe guet tou dimoune ki ena la-labas parski sa bane travaillistes la jamais pa pou vine pou nou. Alors nou bizin met zot dehors ».

Et cette liste justement, datée du 12 juin 2020, Sunday Times a pu en avoir une partie, incluant les noms, postes, et adresses de 35 employés sur au moins deux milliers d’employés d’Air Mauritius et 800 autres d’Airmate. On peut y voir la présumée appartenance politique de ces employés écrite à la main à la fin de chaque colonne. Une écriture attribuée à Kobita Jugnauth elle-même, selon Sherry Singh. Sur cette liste de 35 travailleurs, au moins 18 sont présumément proches du « MLP », soit le Parti Travailliste, 3 du MMM, 4 du PMSD, 8 du MSM, 1 de l’OPR et 1 neutre.

Y. Baboo et un proche de Lormus Bundhoo ciblés

Sur cette liste partielle que nous avons, un nom saute aux yeux. Il s’agit de Yogita Baboo, ancienne hôtesse de l’air d’Air Mauritius. Le « MLP » inscrit à côté de son nom suggère qu’elle serait proche du Parti Travailliste. Est-ce la raison de son licenciement abusif ? En tout cas, la présidente de l’Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCA), dit ne s’être jamais associée de près ou de loin avec un quelconque parti politique du temps où elle travaillait encore au sein de la compagnie nationale d’aviation, bien qu’elle ait ses propres convictions (voir plus loin).

Un autre nom, celui d’un pilote, se démarque aussi. Selon une remarque écrite à la main, il serait « related to Lormesh Bundhoo ». Lormus Bundhoo, on le sait, est un ancien ministre travailliste. D’ailleurs, il prête actuellement main-forte à la campagne électorale de l’Alliance du Changement. On n’a pu cependant confirmer, à l’heure où nous mettions sous presse, si ce pilote habitant à Triolet a bel et bien été licencié par Air Mauritius ou s’il est effectivement parenté à Lormus Bundhoo. Nous ne sommes pas en mesure non plus, à ce stade, de savoir si tous les employés se trouvant sur la liste complète que dit détenir Sherry Singh ont été remerciés. Mais par contre, Sherry Singh est catégorique. « C’est Mme. Kobita Jugnauth kine donne moi sa et ou pou trouve so l’écriture ladans », a-t-il dit sur le plateau de ce média en ligne, soulevant des questions sur la bonne gouvernance et surtout sur l’ingérence de l’épouse du Premier ministre dans les affaires internes des institutions du pays.

Yogita Baboo, présidente de l’AMCA

« Aucune proximité politique »

Réagissant à notre question sur ses prétendues affinités ou proximité avec le PTr, la présidente de l’AMCA, Yogita Baboo, les rejette catégoriquement. « J’ai été recrutée en 1996 sur la base de mes mérites et compétences et je n’ai jamais frappé à la porte d’un politicien, que ce soit du gouvernement ou de l’opposition, pour obtenir une promotion. En tant qu’hôtesse de l’air, je passais la plupart de mon temps à l’étranger. Comme syndicaliste, je m’en tenais strictement à mon rôle, en défendant les droits des travailleurs. J’ai mes propres convictions politiques mais je n’ai jamais fait étalage de mes couleurs en allant ou en participant à des activités politiques. C’est pour cela que je dis que je ne dois rien à personne. Cette façon d’opérer est dégoutante, on ne peut pas être pénalisé par rapport à nos opinions ou convictions politiques. Nous avons des droits qui sont supposés être protégés par la constitution du pays. Le fait qu’ils aient mis une couleur politique à côté de mon nom est impardonnable. Que la couleur soit vraie ou fausse, une ligne rouge a encore été franchie par le gouvernement », dit-elle.