Jacques Soodeen, artisan au mental de fer

A 75 ans, Jacques Soodeen, ‘ferblantier’ depuis ces six dernières décennies, n’est pas prêt de prendre sa retraite. Animé d’un courage inébranlable et d’un mental de fer, il continue de composer son quotidien autour de son enclume, maniant ses outils avec la même passion, la même dextérité. Il avait 15 ans lors de ses premiers pas dans une ferblanterie et ses premiers coup de marteau ont scellé son pacte avec ce métier qui, aujourd’hui, est en voie de disparition. Rencontre avec cet artisan dévoué et persévérant.

Saadiyah Oozeerally 

 

C’est dans un quartier phare de la capitale que se situe l’atelier de Jacques Soodeen, celui que l’on nomme ‘Ton’, en plein cœur de China Town, soit à la rue Emmanuel Anquetil. C’est ici qu’il fabrique des outils et des ustensiles en fer-blanc.  On ne voit qu’une seule couleur dans cet atelier ; le gris métallisé. Le fer-blanc se dévoile sous toutes ses formes chez lui. Ce septuagénaire a le savoir-faire du métier. Du haut de ses 75 ans, Jacques Soodeen ne renonce toujours pas à travailler même après avoir subi une opération du coeur.  Ses amis lui donnent d’autres objets en aluminium et en tôle à vendre, à savoir des ‘calchoul’ et des ‘dabboo’ et le dimanche, il vend des parfums.

Quand on a rencontré Jacques dans son atelier, il contemplait la pluie avec une tasse de thé à la main. Son ami Daya, lui, tapait sur une feuille d’aluminium à l’aide d’un outil, semblable à un marteau. Ce bruit assourdissant nous vibrait les tympans, mais cela n’avait pas l’air de déranger Jacques  pour autant. Ce dernier se dit « habitier par sa tapaz là », depuis qu’il est adolescent. Assis sur sa chaise moitié bois et moitié fer, il évoque le passé comme le bon vieux temps.Pendant des années, ce ferblantier s’est donné corps et âme pour nourrir sa famille et se dit fier que ce métier lui a permis d’éduquer son fils unique, Gilbert,  qui est maintenant établi en France.

C’est à l’âge de 15 ans qu’il s’est lancé dans cet univers. Mais l’atelier existe depuis 1942 et appartenait à la famille Chan Sui Hing, parenté de Jacques. Il a débuté comme manœuvre et s’est ensuite spécialisé dans le domaine. Auparavant, six ouvriers travaillaient dans cet atelier qui était en tôle et en bois pour confectionner des objets en fer-blanc. « Nou ti pé gagne zisRs 20, zis pou lav linz », se souvient-il, quelques sous qui ne lui apportaient pas grand-chose. Toutefois, c’est sa passion pour ce métier qui lui a permis de foncer davantage.

 

Savoir-faire du métier

Aujourd’hui, il se retrouve seul à exercer dans l’atelier.  Cependant son ami Daya vient parfois pour l’aider à donner forme à des morceaux d’aluminium. « Mo servi aluminium pou faire bannrécipientskimett manger. Lontannou ti pé servi tôle, mais li gagne la rouille », explique-t-il. Ce travail nécessite de la force physique, car l’aluminium est dur comme matière et doit passer par plusieurs étapes de fabrication afin de parvenir au résultat escompté. Dans l’atelier, ils ont du pain sur la planche. Jacques a reçu des commandes de moules de gâteaux en forme de cœur, et son ami l’aide à compléter cette commande en se mettant déjà à l’œuvre.  Ses clients sont pour la plupart des marchands de « mines, boulette et halim » et cela n’est pas surprenant puisqu’il se trouve à China Town, un quartier entouré de vendeurs de mets chinois. Toutefois, il reçoit des clients non seulement de Port-Louis, mais aussi de tous les coins du pays qui font confiance en ses années d’expériences. « Mes clients  viennent de Mahébourg, de Flic-en-Flac, de Bel Air et de Trou-aux-Biches », dit-il avec un brin de fierté.  Videsh, marchand de boulettes est venu tout droit de Belle-Mare pour faire réparer  son ‘touk’ de boulettes. « So travay bon », lance-t-il et c’est bien pour cela qu’il est prêt à parcourir des kilomètres.

 

Donner forme aux objets

Les pâtissiers et les marchands de ‘poutou’ passent eux aussi leurs commandes chez Jacques pour leurs moules de gâteaux.

Avec le temps, nous dit Jacques, il a dû évoluer dans son travail. « Avant nou ti pé fer baquet ek seaux mais mo népli faire aster, bann dimounes pas alle lave linz la rivière aster. Bann seaux plastik vanne plibomarcher aussi », déclare-t-il. Des arrosoirs, des entonnoirs et des « toukpou faire gato la cire » et des boîtes à lettres, il y a de tout dans cet atelier.

 

Les outils

‘ Mayer en dibois’, ‘mayer rond’, ‘pied trois’, cisaille, ‘la trans’, ‘bordoire, lanclim et sa machine tir bord’…», ce sont-là les outils que Jacques utilise pour confectionner ses objets en aluminium et en tôle. Selon ce dernier, il y a chez lui de ces outils qui datent de 1942 que les anciens propriétaires lui ont légués en héritage et dont il se sert toujours pour travailler. « Ena bann zoutils mo pa ti enkor né ici », nous confie-t-il. Ce doyen du métier a un souhait : Celui de voir les jeunes s’intéresser à devenir ferblantiers. Même si sa vente a chuté depuis quelque temps, il pense que c’est un métier d’avenir.