Derrière chaque homme qui réussit, il y a une femme. Dans le cas de Pravind Jugnauth, il y a également une femme qui se tenait, solide comme un roc. Sauf que cette femme n’a pas contribué à son succès, mais a précipité sa chute. Une chute tellement lourde que le principal concerné n’arrive toujours pas à se relever deux semaines après la débâcle de son parti aux dernières élections. Une chute tellement indigeste que le leader du MSM n’a même pas pu s’adresser au peuple pour reconnaître ses erreurs et s’exprimer sur les raisons de sa défaite.
Les facteurs mis en cause sont nombreux : abus, arrogance et accaparement du pouvoir, mauvaise gestion, scandales répétitifs, pillage des fonds publics, copinage excessif, autoritarisme, mafia, corruption, drogue, trahisons, promesses non-tenues, state capture… Tout y est. Mais il y a aussi une autre raison. Ou devrions-nous plutôt dire LA raison principale ? Une raison qui se prénomme Kobita Jugnauth. C’est elle qui, parait-il, tirait véritablement les ficelles dans une obscure Lakwizinn, un terme d’abord utilisé par Joe Lesjongard lorsqu’il était en froid avec le MSM mais qui aujourd’hui défend la couleur de ce même parti à l’Assemblée Nationale.
Lady Macbeth, comme elle est affectueusement surnommée (pas la peine de deviner pourquoi), ne semblait pas se contenter de soutenir ou de conseiller son époux, comme le font tant d’autres épouses. Elle était très ambitieuse. Trop ambitieuse même peut-être. C’est ainsi qu’elle se voyait calife à la place du calife. Elle a donc cru bon de se substituer à son époux, tenant le rôle de cheffe dans l’ombre, tirant les ficelles et prenant les décisions à la place de Pravind Jugnauth tandis qu’elle n’avait aucun mandat légitime et démocratique pour assumer de telles responsabilités. Elle n’hésitait pas de donner des instructions aux sous-chefs suspendus à son service.
D’ailleurs, à la veille des élections, l’analyste politique Jean Claude de l’Estrac, qui a été journaliste, ministre et diplomate et qui a donc tout – ou presque – sur la scène politique, se posait une question fort pertinente : « Eski bane électeurs pou donne ene lot mandat à Kobita Jugnauh ? ». Il n’aurait pas pu être plus clair et plus direct. D’autant qu’avec les Moustass Leaks qui ont ponctué la campagne électorale, la vérité sur l’emprise de Kobita Jugnauth sur les affaires de l’État avait fait surface, donnant raison à tous ceux qui jusqu’ici faisaient état de Lakwizinn.
Cette emprise se décline en plusieurs façons et va de la fermeture retardée des frontières de Maurice pour accommoder son retour au pays pendant la Covid-19 aux nominations dans le gouvernement et les corps paraétatiques, en passant par la prise de décisions de la MBC et d’autres institutions. Les journaux télévisés, dit-on, n’étaient pas diffusés tant qu’elle ne donnait pas son feu vert. Elles donnaient aussi des consignes claires et précises à Anooj Ramsurrun, telles que les « black-outs » sur des lauréates musulmanes ou encore sur la Haute-commissaire de l’Inde. L’épuration politique à Air Mauritius portait aussi sa griffe, selon Sherry Singh et des documents que nous avons précédemment publiés. Il ne serait pas étonnant qu’elle soit également derrière le décaissement des fonds de la MIC à ‘Mauriplage Beach Resort Ltd’ (Maradiva). Pire, il parait qu’elle donnait aussi des instructions à la police, à en croire que les « oui madam oui madam » que l’ACP Jagaï disait au téléphone lors de l’arrestation d’Akil Bissessur. Ce n’est pas tout. Elle semblait même connaître le contenu des ‘cabinet papers’. Allez comprendre…
Cet accaparement de Kobita Jugnauth, même Pravind Jugnauth l’avait reconnu, et ce publiquement. N’avait-il pas dit, le 1er mai dernier, que « mo madame fer zot tremblé » ? Au final, il semble que ce soit bien lui-même qui en a fait les frais, au lieu de ceux qu’elle faisait soi-disant trembler. Et la faute lui revient personnellement. Parce qu’il n’a pu contrôler la soif de pouvoir de son épouse. Il aurait dû s’assurer que cette dernière n’ait pas d’influence et d’ingérence quelconque dans la gestion des affaires de l’État. Or, il a fermé les yeux, lui laissant dicter sa propre loi et en croyant naïvement que l’antichambre du pouvoir n’allait pas être démasqué. Mais le masque est tombé, signifiant la fin du règne de Lakwizinn. Le prix, c’est Pravind Jugnauth lui-même qui l’a finalement payé. Et il le paiera pour longtemps encore, tant que Kobita sera son talon d’Achille.