La situation a empiré, selon Faizal Jeerooburkhan

Deux ans après la grande marche du 29 août 2020

Qui pourra oublier cette grande marche qui avait eu lieu le 29 août 2020, où plus d’une centaine de milliers de Mauriciens avaient descendu dans les rues de la capitale pour manifester ? C’était dans le sillage du naufrage de Wakashio, qui avait commotionné le pays. Deux ans après, où en sont les choses ? Le point avec l’observateur politique Faizal Jeerooburkhan.

Faizal Jeerooburkhan estime que la situation a empiré depuis cette grande marche. « L’autocratie, les scandales, la mauvaise gouvernance, le gaspillage, l’opacité, l’impunité, le népotisme, le favoritisme, la fraude, la corruption, les crimes politico-financiers, entre autres, sont devenus monnaie courante », constate-t-il, un brin désabusé. La réaction du Premier ministre suite à la manifestation était explicite, selon lui. « Laisse zot zapper », nous fait-il rappeler. « Dès lors, on avait perdu tout espoir d’une quelconque amélioration. Notre modèle de démocratie représentative ne nous permet pas, en tant que citoyens, d’intervenir pour faire entendre nos revendications, et cette marche était le dernier recours. De ce fait, nous devons absolument songer à une démocratie participative, où les citoyens peuvent décider de leur sort et prendre les choses en main pour combattre la mauvaise gestion des affaires du pays et qui nous entraîne indubitablement et actuellement vers la banqueroute », dit-il.

« Cette manifestation était une initiative citoyenne de grande envergure. C’était la première fois des citoyens descendaient dans la rue en si grand nombre pour exprimer leur ras-le-bol face aux dérives dictatoriales et une gestion catastrophique des affaires du pays. Les manifestants ont fait l’impasse sur leur appartenance et leur couleur politique. C’est possiblement cela qui explique la réussite de ce mouvement. Ceci étant, si on veut renouveler une marche de cette ampleur, il faudrait qu’il y ait une résolution citoyenne avec pour but un changement en profondeur de la politique, de l’appareil d’État et l’amélioration de la qualité de vie de chaque Mauricien. Toutefois, l’interférence de la politique partisane, pour tirer un capital politique, pourrait bien faire capoter cette démarche », analyse-t-il.

Faizal Jeerooburkhan affirme que ce ras-le bol est certainement toujours présent et a même pris de l’ampleur, selon les réactions des Mauriciens dans les médias et sur les réseaux sociaux. « Malheureusement, suite au refus des autorités de reconnaitre ‘kot mone fauté’, face à l’intransigeance et à la brutalité de la force policière et face à la dégradation de la situation socioéconomique, les gens seront découragés et hésiteront à descendre dans la rue. L’implication des politiciens, surtout de la vieille garde dans cette démarche, n’est pas pour arranger les choses. Ainsi va notre démocratie », constate-t-il.

Notre interlocuteur affirme que « les scandales s’accumulent. Chaque semaine apporte son lot de scandales, que le pouvoir en place essaye de justifier et que les institutions supposément indépendantes tentent de camoufler. La liberté d’expression et d’opinion sont sérieusement menacées. Les journalistes sont pointés du doigt et même menacés dans leur quête de vérité et leur devoir d’informer. Dans un tel contexte, le ras-le-bol de la population ne peut que s’accroitre. » Faizal Jeerooburkhan plaide également pour une opposition unie.  « Il faut une alliance capable de s’entendre, de réfléchir, de s’adapter et d’innover en fonction du nouveau paysage socioéconomique. Avec le système ‘first-past-the-post’ (FPTP), une Opposition divisée fera certainement le jeu du parti au pouvoir ». Peut-on juger un parti politique par le nombre de personnes qu’il rassemble dans ses congres ? « On sait bien qu’avec de gros moyens financiers et logistiques, voire avec l’appareil d’État, on peut réunir beaucoup de monde, venant de tous les coins du pays, surtout si le transport est gratuit, et accompagné par le fameux ‘briani’ et toutes sortes de boissons. Réunir des personnes déjà partisanes à sa cause n’est pas nécessairement un acquis en soi. Pour se refaire une santé politique, il faut réunir la masse des indécis et les convaincre, pas par un langage ordurier et abusif, mais par un projet de société, un modèle économique crédible, des solutions aux grands enjeux nationaux etc., et avec des garanties concernant leur implémentation », dit-il.