Toc, toc, toc, toc… au loin les sons des maillets sur les ciseaux fins sculptant les troncs se font entendre. Dans la cour, un homme dirige tel un maestro les sculpteurs sous sa charge. Cet homme, c’est Lewis Dick, maître sculpteur depuis maintenant plus d’une décennie. Cet habitant de Bambous confie être un « miraculé », une personne que Dame Chance a beaucoup gâtée tout le long de sa carrière. Sculpteur, peintre, chanteur et comédien, Lewis Dick a plusieurs cordes à son arc… Rencontre.
Marwan Dawood
Assis dans son salon, Lewis Dick commence à nous raconter son parcours de combattant pour arriver là où il est aujourd’hui. Pour cela, il nous ramène à la fin des années 70, dans un contexte social difficile. L’île Maurice connaissait alors une poussée dans le taux de chômage et Lewis Dick est à cette époque sans emploi. Il se permet quand même d’épouser Josiane, qui va le soutenir pendant sa traversée du désert. De cette union sont nés deux filles et un garçon. Lewis Dick poursuit son récit : « J’avais deux filles à cette époque et alors que Noël approchait, mes deux filles n’avaient pas de jouets, contrairement aux autres enfants. Nous n’avions pas de la nourriture et nous passions par des moments très difficiles. »
Le suicide épiphanique
C’est un soir de l’avant-veille de Noël, vers la fin des années 70. Lewis n’arrive pas à joindre les deux bouts et décide de commettre l’irréparable. Muni d’une corde, il fait un nœud à une branche et s’apprête à se pendre quand il lève la tête pour prier une dernière fois. C’est alors qu’il observe que la branche a une forme peu ordinaire. « J’ai vu que la branche ressemblait à un corps humain. J’ai en effet vu la forme d’une poupée et comme je n’avais pas les moyens d’acheter des jouets pour mes filles, je me suis dit que c’est probablement un signe de Dieu ».
Lewis s’extirpe de son nœud et découpe la branche. Pendant toute la nuit, il la sculpte à l’aide d’un vieux tournevis et donne naissance aux formes qui défilaient dans sa tête et le lendemain, soit le 24 décembre, les enfants de Lewis vont se réveiller avec une grande surprise.
«Au réveil, elles étaient très contentes et moi aussi. Pour moi, ce n’était qu’un morceau de bois avec des formes mais pas pour tout le monde », dit l’artiste. Ce dernier se souvient qu’alors que les enfants montraient fièrement leur poupée de bois à leurs amies, un homme qui passait par là s’intéressa à l’objet. « Il est venu me voir pour me dire de ne pas laisser les enfants jouer avec des objets de valeur et a voulu m’acheter la sculpture. Aléatoirement, j’ai dit que cela lui coûterait Rs 4 000, ce qui représentait une fortune à l’époque. Sans y réfléchir deux fois, l’homme accéda à ma requête et j’ai pu m’acheter de la nourriture et des vrais jouets pour mes enfants. J’ai fait une deuxième sculpture et ma cousine me l’a achetée également… J’ai alors su qu’avec la sculpture, je pouvais vivre », dit-il.
Début prometteurs
En 1984, après avoir passé des années à travailler comme marchand de plage en vendant ses œuvres, Lewis Dick approche l’une des plus prestigieuses galeries d’art de Maurice, soit la galerie Max Boullé. Il ne recevra toutefois pas l’autorisation pour y exposer ses œuvres, étant un artiste débutant. Ne baissant pas les bras, il organise sa propre exposition dans une petite pièce à Trèfles et invite ceux qui l’ont ignoré auparavant. « J’ai invité tout le monde et là ils ont compris qu’ils avaient tort. Une fois l’exposition terminée, ils m’ont invité à exposer. J’ai accepté et voilà un peu comment Lewis Dick a débuté. Avant, je ne me suis jamais intéressé à la sculpture et je ne savais pas que j’avais ce talent », dit-il.
Les années passèrent et Lewis continua son petit bonhomme de chemin. Vers la fin des années 90, il quittera Rose-Hill pour Bambous, où il va s’installer définitivement. Il décide alors de tenir une exposition de cinq jours pour marquer sa venue. « Le pays venait de connaître les émeutes après le décès de Kaya et on m’avait dit de tenir mon exposition au Village Hall car on avait incendié la salle du District Council. Alors que l’exposition devait se dérouler sur cinq jours, on a tenu 21 jours et par la suite, cette exposition a fait le tour de Maurice pendant un an. »
Ouverture à l’étranger
Au cours de cette exposition, Lewis Dick sera pris en photo par des touristes suisses et ses œuvres atterriront devant le maître sculpteur, Ewald Brigger, qui l’invite pour un symposium à Morges. On est alors en 2001 et depuis, Lewis et ses collaborateurs ont fait le tour du monde, Australie, les Amériques, Hawaï, France, Afrique, pour ne citer que quelques pays.
École de sculpture, école de la vie
La consécration lui viendra quand il fondera une école de sculpture à Bambous en 2002. Lewis Dick estime qu’il y a eu au moins 15 000 jeunes formés à travers cette école et ses branches à travers l’île. «Nous avons eu beaucoup de jeunes qui s’intéressent à cet art et en venant ici, ils changent, ils s’adaptent aux défis de la vie. C’est pour cela que nous disons que l’école de sculpture, c’est l’école de la vie », dit-il. Parmi ses projets d’avenir, Lewis Dick annonce la tenue d’un symposium en Malaisie pour 2019 à laquelle participera son équipe. « Nous travaillons pour porter haut les couleurs de Maurice à travers cet art noble », explique le maitre sculpteur. Aujourd’hui âgé de 65 ans, Lewis Dick n’est pas prêt de passer le relai et ambitionne toujours de viser plus haut.