Maurice sur la liste noire de l’UE : Que compte faire le gouvernement ?

À partir de ce jeudi 1er octobre, Maurice a finalement été placé parmi environ douze autres pays sur la ‘liste noire’ de l’Union européenne. Quelle sera l’impact de l’inclusion de Maurice sur la ‘liste noire’ de l’Union Européenne ? Nous faisons le point avec Kevin Teeroovengadum, économiste, et Reza Uteem, député du MMM.

Depuis le 21 février dernier, le Groupe d’action financière (GAFI), la ‘Financial Action Task Force’ (FATF), avait d’abord placé notre île sur la ‘liste grise’.

La FATF a pris soin d’expliquer comment Maurice s’est retrouvée sur cette liste. C’est le blanchiment d’argent et le financement d’actes terroristes qui fait que Maurice soit classé sur cette liste. Maurice avait bel et bien eu du temps de se rattraper car le GAFI avait donné des consignes à suivre afin que le pays puisse retrouver sa place sur la liste blanche.

Kevin Teeroovengadum, économiste

« Si le gouvernement agit dès maintenant, d’ici mars 2021, Maurice peut ne plus être sur la liste noire »

L’économiste Kevin Teeroovengadum tient d’abord à clarifier que Maurice n’est pas au même niveau que certains pays qui se retrouvent sur cette liste, tel que le Zimbabwe, entre autres. Mais quand même nous devrions avoir honte d’être sur cette liste car cela aura un impact très négatif sur le ‘branding’ de Maurice qui dépasse le cadre du global business.

De ce fait, il y a aura un processus qui va être mis en place, connu comme le ‘enhanced monitoring’, ce qui veut dire que les banques internationales prendront plus de temps pour effectuer les transactions d’argent, afin de s’assurer que les gens qui font les transferts d’argent sont dignes de confiance. Donc, dorénavant, pour les transferts d’argents, les banques poseront plus de questions.

L’impact sur Maurice suite à son inclusion sur la ‘liste noire’ est que certains fonds d’investissement ne voudront plus effectuer de transactions avec Maurice, mais plutôt avec d’autres marchés, pour éviter des délais administratifs en faisant ces transferts d’argent.

L’économiste note toutefois que certains fonds d’investissement d’Europe n’ont même pas le droit de faire affaire avec les pays basés sur cette liste. De ce fait, ces fonds vont devoir trouver des nouvelles juridictions.

Kevin Teeroovengadum estime qu’il y a certes les lois à Maurice, mais il faudrait faire preuve d’action, pour démontrer que le pays agit selon les directives émises par le GAFI, et pour démontrer que le gouvernement ou le ministère concerné se livre à un « nettoyage » dans le secteur du ‘Global Business’. Ce dernier fait référence à l’interview de l’ambassadeur de l’Union européenne à Maurice sur les ondes d’une radio, où ce dernier avait dit clairement que l’UE veut voir des actions. « Or, les seules choses qui ont été faites, c’est que les lois ont bien été passées, mais il n’y a pas eu d’action tangible », dénonce-t-il.

Selon les estimations de Kevin Teeroovengadum, si le gouvernement agit dès maintenant, d’ici mars de l’année prochaine, Maurice peut ne plus être sur cette ‘liste noire’, mais de façon réaliste, il pense que le pays va rester sur cette liste pour une année encore.

L’économiste prend exemple sur l’Angleterre à travers la CDC, qui a entériné un protocole d’accord avec le Rwanda dans le domaine financier. Cela démontre une stratégie typique et tout fait attendu des Anglais jouant à fond la carte géo-politique pour forcer Maurice à revenir à la table de négociations. Or, dans notre cas, nous voyons que Maurice sort l’artillerie lourde contre l’Angleterre dans l’affaire Chagos au lieu de discuter normalement. « C’est comme une fourmi qui veut se battre contre un éléphant », lance-t-il. Sachant que nous avons beaucoup de fonds venant de l’Angleterre, maintenant ce seront les autres pays d’Afrique qui vont en bénéficier.

Sur le même volet, nous voyons aussi que la Grande péninsule, la semaine dernière, a annoncé qu’elle a mis en place une ‘GIF City’, un énorme centre d’investissement, ce qui fait qu’on va continuer de perdre un gros part de notre marché.

 

Reza Uteem, MMM

 « La pure incompétence du gouvernement nous a conduit à cette situation »

Pour sa part, le député du MMM, Reza Uteem, dénonce l’inaction du gouvernement. « Le gouvernement ne semble pas réaliser ce que cela veut dire, que Maurice est blacklisted », fustige-t-il. De ce fait, il y aura bel et bien des conséquences sur le secteur offshore du pays.

Il est du même avis que Kevin Teeroovengadum en ce qui concerne le transfert d’argent d’un pays à l’autre : cela va prendre plus de temps que d’habitude, mais ces démarches seront plus coûteuses.

Mais le pire, c’est qu’il y aura des banques qui vont directement refuser les transactions. Cela s’avérera un problème pour les parents dont les enfants se retrouvent à l’étranger pour leurs études. Idem pour les importations, entre autres.

Selon l’UE, si Maurice est sur la liste noire, cela veut dire que Maurice est un pays à haut risque, et que Maurice est déficiente en ce qui concerne le contrôle du blanchiment d’argent, ce qui constitue une allégation très grave.

Fut une époque quand les autres pays prenaient Maurice comme un exemple mais maintenant, divers pays, à l’instar du Sénégal, ont révoqué des traités avec l’ile Maurice. Pourquoi ? Car il y a des soupçons que des compagnies basées à Maurice sont utilisées pour faire du blanchiment d’argent. Et au lieu de prendre des sanctions contre les compagnies suspectes, le gouvernement les traite en tant que VIP, ce qui donne la perception que Maurice est un centre de blanchiment d’argent.

Comme Kevin Teeroovengadum, il explique qu’il existe des lois qui empêchent les pays de l’Europe de ne pas investir dans des pays classés sur la liste noire, ce qui fait qu’à un moment, il va y avoir un problème de pénuries de devises, ce qui va créer l’inflation.

Il dénonce vivement la réaction du gouvernement, quand Maurice avait été placé sur la liste grise de la GAFI. Au lieu de considérer l’ampleur de la catastrophe, le ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance avait fait de l’autoflatterie, en essence pour dire que « Le GAFI nous a félicité pour le progrès qui a été fait».

Il y a eu depuis des milliers de versions de cet exercice de bombage de torse, et selon Reza Uteem, selon certaines informations, des lobbies ont été embauchés à coup de millions pour tenter de rectifier le tir.

Mais malgré tout cela, si nous sommes aujourd’hui sur la liste noire, il y a quelque chose qui est « rotten » quelque part. Pour lui, c’est de la « pure incompétence ». Le gouvernement doit assumer sa responsabilité et soumettre sa démission, au lieu de venir larmoyer avec le fameux « kot mone fauté ».

La Mauritius Bankers Association (MBA)

« Une conséquence qui ne réjouit personne »

Une porte-parole de la Mauritius Bankers Association (MBA) explique que l’inclusion de Maurice sur la liste à haut risque de l’Union européenne, qui est entrée en vigueur depuis le 1er octobre, est une conséquence qui ne réjouit personne.

La principale crainte du secteur bancaire, dès l’annonce de cette éventuelle mesure le 7 juin 2020, a été le retard éventuel sur les paiements et tout impact défavorable sur les investissements.

Cependant, la MBA n’a heureusement pas fait face à des blocages sur les paiements, ou de pertes sur les investissements. Bien au contraire, une légère hausse des dépôts est à constater. Il est cependant trop tôt pour mesurer le plein effet des choses.

En ce qui concerne des banques correspondantes à l’étranger, elles travaillent avec les banques locales depuis des décennies et ont entamé des vérifications (‘due diligence exercises’) au préalable, sur le contrôle interne des banques à Maurice. Elles sont aujourd’hui en train de demander plus d’informations sur les transactions auprès des banques locales. La MBA fait cependant comprendre qu’elle n’a pas constaté de difficultés sur l’acheminement des paiements, du moins pour l’heure.

 

Neevedita Nundowah