Questions à… Kevin Teeroovengadum, économiste : « L’EDB doit être restructuré »

Q : Le maintien de Maurice sur la liste noire de l’Union Européenne semble finalement vous donner raison puisque vous aviez déjà averti les autorités mauriciennes que tel serait le cas…

En réalité, depuis janvier 2020, j’avais alerté les autorités mauriciennes via des messages envoyés à certaines connaissances au PMO et également via un article dans la presse. Quand une éventuelle inclusion de Maurice sur la liste noire de l’UE avait été évoquée pour la première fois en mai 2020, j’avais déjà prévenu que ce n’était pas qu’une simple menace et qu’elle prendra certainement effet en octobre parce qu’on avait failli sur plusieurs points. Je l’avais appris à travers mon réseau de contacts dans le giron à Londres et aussi à Bruxelles. J’avais même proposé une équipe de professionnels à l’internationale pour aider les autorités pour faire du « lobbying » et aussi pour l’exécution au niveau de l’implémentation du « clean up ». Malheureusement, les autorités mauriciennes ont préféré faire la sourde oreille en insistant qu’elles avaient jusqu’à octobre pour plaider leur cas.

Or, elles n’ont rien fait de vraiment tangible entre mai et octobre 2020 pour réparer les dégâts et prouver notre bonne foi à l’UE et au FATF. Ce qui aurait pu jouer en notre faveur et nous donner plus de temps pour désamorcer la bombe. Il me semble que les autorités n’arrivent pas à comprendre et sont coincées dans un optimisme éternel alors que la réalité est tout autre.

Maintenant que tout indique qu’on sortira de cette liste noire vers la fin de cette année, il nous faudra assurer que les lois mises en place durant les six derniers mois soient appliquées dans toute leur rigueur et que le nettoyage nécessaire soit effectué, d’ici octobre, dans les secteurs de l’immobilier, la bijouterie, et le global business, entre autres.

 

Q : Mais les nombreuses allégations de corruption ne risquent-elles pas de réduire nos chances de sortir de cette liste noire ?

Bien sûr. Raison pour laquelle il ne faut pas le voir uniquement en termes de transactions financières dans le secteur du global business. Les allégations de maldonnes et de corruption, surtout pendant la période de confinement, sont répercutées ailleurs et trouveront certainement écho auprès de l’UE et du FATF. Et puis, l’ampleur de la circulation de la drogue dans le pays est aussi inquiétante puisqu’elle finira possiblement dans le circuit monétaire. Il en est de même pour les allégations de corruption. D’où les problèmes de blanchiment d’argent. C’est d’ailleurs ce qui s’était passé dans d’autres pays auparavant ‘blacklisted’ comme les pays des Caraïbes ou des iles du Pacifique Sud. C’est pour cela que les institutions internationales mettent en doute, malheureusement avec raison, notre bonne foi parce qu’on ne tacle pas les problèmes à la racine.

 

Q : Même si le pays sort de cette liste d’ici la fin de l’année, l’investissement ne sera-t-il pas impacté ?

Depuis notre inclusion sur la liste noire l’année dernière jusqu’à son éventuelle sortie à la fin de cette année, soit pendant presque deux ans, nos compétiteurs nous ont déjà ravis certains de nos clients existants. Les nouveaux clients sont eux contraints de se tourner vers d’autres pays comme le Singapour, Dubaï, et le Rwanda parce qu’ils n’ont pas le droit de traiter avec un pays se trouvant sur la liste noire. On perd déjà notre part du marché.

D’ailleurs, les statistiques publiées dans un quotidien vendredi démontrent clairement que le secteur du ‘global business’ est en perte de vitesse. Même si on sort de la liste noire, les allégations de corruption n’inspireront pas confiance aux investisseurs pour qu’ils viennent à Maurice. C’est aussi l’une des raisons pour laquelle on n’arrive pas à augmenter notre ‘foreign direct investment’ depuis plusieurs années.

 

Q : Qu’est-ce qui a pu provoquer cette perte de vitesse du secteur du ‘global business’ ?

J’ai l’impression que les autorités se fient à quelques conseillers qui n’ont pas d’expérience au niveau international. Ou alors qu’elles sont conseillées par certaines personnes du secteur privé qui ne voient pas « the bigger picture » ou qui n’ont pas de réseaux à l’international. Il faut comprendre que le global business est un secteur où on doit « compete » au niveau international et un secteur qui est dynamique et qui évolue chaque année.

J’aurai bien conseillé au ministre de tutelle d’instituer un « advisory council » composé de cinq professionnels de ce secteur parmi la diaspora pour avoir des informations réelles, fiables et indépendantes.

 

Q : Quelles mesures auriez-vous souhaité voir, surtout dans le prochain budget, pour relancer l’investissement ?

Au niveau de la FSC et la FIU, il faut que des experts, que ce soit au niveau local ou international, soient engagés, pour les prochains deux ans, pour y mettre de l’ordre et former le personnel pour que ces derniers puissent éventuellement prendre le relais. Il faut aussi passer à l’action et révoquer certains permis s’il le faut. Ensuite, il faut consolider le secteur du ‘global business’ tout en réduisant à moitié le nombre de ‘management companies’. Il en existe actuellement plus d’une centaine. C’est trop et c’est impossible de les contrôler. Il faudra donc les ramener à une cinquantaine.

Finalement, je pense que le l’« Economic Development Board » (EDB) doit être restructuré, fut-il au niveau du board ou de la direction. Il faudra, pour cela, avoir recours aux professionnels du privé basés à Maurice et/ou à l’international qui ont l’expérience réelle dans l’investissement pour qu’ils puissent « restructure and drive » l’EDB. Pendant que nous avons terminé l’année de 2020 avec US$ 300 M de « Foreign Direct Investment » (FDI), le Rwanda a reçu $1.3 milliard. On a besoin des gens qui sont des vrais « deal makers » et qui ont des réseaux avec les investisseurs à l’international. On doit être agressif au niveau de notre objectif, et voir comment on peut emmener au minimum US$1 milliard de (FDI) par an. C’est tout à fait possible, mais il va falloir passer par la restructuration de L’EDB.

Propos recueillis par Zahirah RADHA