Services financiers Kevin Teeroovengadum : « Ne pas sous-estimer la stratégie rwandaise »

Si le gouvernement continue de croiser les bras et ne fait rien pour redynamiser le secteur des services financiers, le pays risque de se retrouver très vite en face d’un compétiteur émergent. Il s’agit du Rwanda qui continue de se faire une place au soleil alors que Maurice piétine, surtout après son inclusion sur la liste noire de l’Union Européenne (UE). C’est du moins l’avis de l’économiste Kevin Teeroovengadum. Il estime que Maurice ne devrait pas sous-estimer Rwanda. Pour étayer ses dires, il soutient que jusqu’ici, Maurice a pu se forger une place sur le plan global des services financiers en raison de ses traités de double imposition avec des pays africains. Ce qui a rendu nos services financiers attrayant aux yeux des investisseurs étrangers venant principalement de l’Europe, les États-Unis, le Singapour, l’Inde et la Chine, entre autres. Une tendance qui s’est accentuée depuis la dernière crise financière qui remonte aux années 2007 et 2008.

« On n’a pas eu grand mal à nous établir sur le marché des services financiers puisqu’on a pu bénéficier des retombées des accords de double imposition. On a, en quelque sorte, tout obtenu sur un plateau, sans avoir à créer des produits ou des services innovateurs », explique notre interlocuteur. Or, au vu de la stratégie cohérente rwandaise, Maurice pourrait vite se retrouver en arrière, pour ne pas dire en dehors de la course. N’est-ce pas trop de pessimisme ? Non, insiste Kevin Teeroovengadum, en martelant qu’on ne doit pas discréditer le Rwanda qui se positionne comme une passerelle pour l’Afrique de l’Est qui regroupe une population d’environ 300 millions d’habitants. « Il y a une trentaine d’années de cela, le monde avait sous-estimé la Chine. Aujourd’hui, celle-ci se positionne comme la deuxième puissance mondiale », rappelle-t-il.

« Singapore of Africa »

L’économiste estime que la stratégie rwandaise portera ses fruits assez rapidement. « Ce n’est pas parce qu’on a pris 30 ans pour bâtir ce secteur qu’il en faudra aussi une trentaine d’années à Rwanda pour construire et consolider le sien », souligne notre interlocuteur. « Depuis le génocide rwandais, ce pays s’est démarqué au niveau de sa gestion. Il se classe parmi les premiers au niveau des indices de la bonne gouvernance et impressionne de par son leadership à la singapourienne. Ce qui lui a valu le sobriquet de « Singapore of Africa », renchérit-il. L’intérêt que portent plusieurs pays et compagnies internationales au Rwanda prouve que ce pays progresse, dit-il, en faisant référence à l’installation des quartiers généraux du site d’e-commerce Alibaba appartenant au milliardaire Jack Ma et d’autres compagnies technologiques au Rwanda ainsi que divers accords signés entre les autorités rwandaises avec l’Angleterre, Jersey, le Qatar, le Maroc et pas plus tard que la semaine dernière avec le Singapour sur le plan d’investissement et de commerce, entre autres.

« La nomination, en 2020, du Sénégalais Tidjane Thiam, ex-CEO de Credit Suisse, comme président du conseil d’administration de Rwanda Finance Ltd s’insère dans cette même stratégie d’accroître son réseau d’investissement », précise Kevin Teeroovengadum. « En même temps que Maurice est en froid avec l’Angleterre, en même temps celui-ci est en pourparlers avec le Rwanda. L’UE finalise, pour sa part, des négociations pour que les autorités rwandaises fabriquent des vaccins alors que Maurice demeure toujours, à ce stade, sur sa liste noire. Le président Macron, n’oublions pas, s’est aussi rendu au Rwanda il y a trois mois de cela et des retombées sont attendues. Avec l’axe Singapour et Qatar, il est évident que le Rwanda se positionne comme un serious player », poursuit l’économiste. Raison pour laquelle Maurice doit se méfier de la stratégie rwandaise. Sans compter des autres compétiteurs émergents comme le Ghana. « On n’avait jusqu’ici pas de compétiteurs. Mais tel n’est désormais plus le cas. Il est donc primordial pour que le pays revoie sa stratégie le plus vite possible, d’autant qu’elle est restée statique depuis les dix dernières années. Nos précédents succès ne garantissent pas le succès futur de ce secteur », conclut Kevin Teeroovengadum.