La récente intervention de certains policiers à Côte d’Or a mis en lumière des accusations graves d’abus de pouvoir et de brutalité policière lors d’une manifestation pacifique organisée par le mouvement ‘Rann Nou la Terre’. Cet incident, qui s’est produit pendant la remise des titres de propriété à des entités culturelles, dont le Mauritius Tamil Cultural Centre Trust, par le Premier ministre, a conduit à l’interpellation violente de plusieurs manifestants. Une vague de critiques sur les réseaux sociaux, notamment dans les interactions et commentaires des directs de cet incident, a soulevé des préoccupations sur le respect des droits de l’homme et des libertés civiles à Maurice
Kushal Lobine, avocat, nous explique que la loi sur ‘rogue and vagabond’ vise à protéger la société contre les comportements perturbateurs qui menacent la tranquillité publique. Elle englobe non seulement les actions qui causent des troubles physiques, mais aussi les paroles qui peuvent créer un sentiment de peur ou de violence. D’un autre côté, la ‘Public Gathering Act’ garantit le droit à la liberté d’expression et de rassemblement, éléments essentiels d’une société démocratique.
Rajen Narsinghen, présent à la manifestation en qualité de conseiller juridique du mouvement et avocat des droits de l’homme, a lui aussi été arrêté de manière violente et arbitraire par la police. Kushal Lobine, rappelle que ce dernier répondait aux questions des journalistes présents lorsque les forces de l’ordre l’ont brusquement interrompu et malmené. « Nu pa bizin ene avocat pu nu trouver a auken moment pena auken offense de rogue and vagabond ki finn crée la », dit-il. Il souligne que dans une démocratie, répondre aux questions de la presse ne devrait jamais être considéré comme un crime. Cela nous amène à nous interroger : est-ce qu’un simple échange avec des journalistes peut être interprété comme une offense ?
Pour mettre en lumière la gravité de la situation, Kushal Lobine cite les propos du Dr Navin Ramgoolam, qui a rendu visite à Me Narsinghen à la clinique Wellkin après l’incident : « Nous ne sommes pas dans une démocratie, mais dans une autocratie où la liberté d’expression est bafouée ». Ce qui contraste singulièrement avec ce que le Premier ministre prétend sur la liberté d’expression. En juillet dernier, alors qu’il visitait des chantiers d’infrastructure routière : « Mo trouve dimounn pe dire pena liberté d’expression dan sa pei-la. Mo pa kone dan ki pei nou pe viv zordi. Zot-la, eski kikenn kapav dir mwa pena liberte d’expression ? […] Kot ena oppression, ou trouv nou pe fer oppression ? » Kushal Lobine rappelle que la liberté d’expression est garantie par le chapitre 2 de la Constitution de Maurice, qui protège les droits fondamentaux de chaque citoyen, et que toute action qui porterait atteinte à ces libertés pourrait ternir l’image du pays, surtout à l’approche des élections.
L’avocat dénonce une politique de terreur qui aurait commencé depuis un certain temps à Maurice, caractérisée par des abus de pouvoir et des actions arbitraires. Selon lui, la police, qui est censée servir le public, semble parfois agir pour satisfaire des intérêts particuliers. L’expression « l’ordre vin depi la-haut » devient alors une réalité courante, suggérant que certaines actions policières seraient influencées par des directives venues d’en haut.
Kushal Lobine appelle les instances indépendantes, telles que l’Independent Police Complaints Commission (IPCC), à mener une enquête objective sur ces pratiques. Il insiste sur la nécessité d’un rôle actif de ces institutions pour garantir que les droits fondamentaux des citoyens soient respectés et protégés.
Lovena Soowkee : « Cela crée une atmosphère de peur »
Suite à l’incident survenu à Côte d’Or, le ministre des Arts et du Patrimoine Culturel, Avinash Teeluck, a argué, sur les ondes d’une radio privée, que l’intervention policière était liée aux préoccupations concernant la sécurité des 3000 personnes présentes à la cérémonie. Cependant, l’avocate Lovena Sowkhee ne partage pas ce point de vue, soulignant que celui-ci n’a pas apporté de justifications claires pour disperser les manifestants. « On ne peut pas simplement décider de disperser une manifestation pacifique, qu’elle soit légale ou non. Il existe des procédures à suivre, et ce que nous avons vu à Côte d’Or ne correspond pas à ces normes. Ce qui est évident ici, c’est qu’il s’agissait d’une manifestation pacifique et légale », affirme-t-elle.
Pour Lovena Sowkhee, une explication plus cohérente de la part du ministre de la Culture et des Arts aurait été nécessaire pour comprendre pourquoi cette manifestation pacifique, impliquant si peu de personnes, poserait un problème aux 3 000 personnes qui adhèrent aux politiques du gouvernement. Selon elle, ces affaires seront probablement rejetées par la Cour, car elles ne relèvent pas réellement de cas de « rogue and vagabond ». Cependant, quelles sont les conséquences pour les personnes accusées entre-temps ? « Admis en clinique et placé sous surveillance, il (ndlr : Rajen Narsinghen) doit désormais obtenir une autorisation de la Cour chaque fois qu’il souhaite voyager. Le traumatisme vécu par ces personnes ne touche pas seulement ceux qui sont directement concernés, mais envoie également un message fort à l’ensemble de la population », avance-t-elle.
Où est le Commissaire de police ?
Lovena Soowkee ajoute que si quelqu’un élève la voix pour dénoncer avec vigueur les abus ou exprimer son désaccord face à la manière dont le pays est gouverné, surtout à l’approche des élections, il risque d’être réduit au silence. « Cela crée une atmosphère de peur, décourageant ainsi les citoyens à manifester leur mécontentement et à défendre leurs droits ». Lovena Sowkhee s’interroge aussi sur le silence du Commissaire de police, qui semble oublier que son poste est de nature constitutionnelle, exigeant de lui qu’il agisse en toute indépendance. À la tête de la force policière, il est crucial de faire preuve d’indépendance et d’une intégrité sans faille, et il est inconcevable que des décisions soient prises dans le but de satisfaire certains intérêts personnels au détriment de la justice et de la sécurité publique, rappelle l’avocate. Sous ce gouvernement, la police semble avoir adopté une posture dominatrice, montrant une incapacité à gérer la sécurité nationale de manière équitable. Au lieu de servir fidèlement l’ensemble de la population, elle paraît plutôt orientée vers la protection de certains individus, laissant planer un doute sur son impartialité.
L’incident survenu à Côte-d’Or soulève de sérieuses questions sur la manière dont les forces de l’ordre utilisent leur pouvoir pour gérer les manifestations pacifiques. La devise de la police, ‘Loyally we serve’, souligne que le rôle de la police est de protéger les citoyens mauriciens, et non d’obéir aveuglément aux ordres de ceux qui nous gouvernent.