L’affaire tant attendue du « Stag Party Gate » a pris une tournure dramatique ce mercredi 25 septembre 2024 en Cour suprême, devant les juges Karuna Gunesh-Balaghee et Denis Mootoo. Me Sanjeev Teeluckdharry, avocat du pandit Pursun, s’est engagé dans une véritable bataille juridique face à une armée d’avocats représentant plusieurs personnalités publiques et institutions, dont le Premier ministre, Pravind Jugnauth, et l’Attorney-General, Maneesh Gobin. Cette affaire, qui allie religion, politique, et questions environnementales, promet de retenir l’attention dans les semaines à venir.
Le pandit Vivek Pursun avait demandé une judicial review contre la police et la Financial Crimes Commission (FCC). Il soutient que ces autorités ferment les yeux sur une possible implication de l’Attorney-General, Maneesh Gobin, malgré les multiples allégations contre lui. La défunte ICAC avait bien logé une charge provisoire de « trafic d’influence » contre Rajanah Dhaliah dans le sillage de cette affaire, charge qui est maintenue par la FCC. Mais ces deux instances n’ont jamais inquiété Maneesh Gobin. À noter que pas plus tard que la semaine d’avant, la Cour de district de Port-Louis avait refusé de rayer la charge provisoire de « trafic d’influence » contre Raj Dhaliah.
Le pandit, représenté par Me Sanjeev Teeluckdharry, a assigné le Commissaire de police et la Financial Crimes Commission (FCC) comme défendeurs. Il a cité comme codéfendeurs le Premier ministre, l’Attorney-General, le Directeur des poursuites publiques (DPP), le député Rajanah Dhaliah et Harryduth Ramnarain, un haut fonctionnaire du bureau du Registrar of Associations.
Me Teeluckdharry a livré une plaidoirie magistrale tout au long de la journée de ce mercredi 25 septembre 2024, où il a réfuté point par point tous les arguments avancés par ses adversaires. Il faisait face à une pléiade d’avocats, dont Désiré Basset SC pour Pravind Jugnauth ; Ravind Chetty SC pour Manish Gobin ; I. Mamoojee pour Rajanah Dhaliah ; Glover Chambers pour Harryduth Ramnarain ; D. Reetoo et S. Bhoyroo pour le Commissaire de Police ; N. Senevrayar-Cunden pour le Directeur des poursuites publiques (DPP) ; et M. Roopchand et S. Ramsooroop pour la Financial crimes Commission (FCC).
Selon le pandit Vivek Pursun, étayé par les allégations de Keegan Etwaroo et d’Ajay Jeetoo, Maneesh Gobin accompagné de Ruzayna Beegun, le députe Raj Dahliah et Harryduth Ramnarain, un haut fonctionnaire du bureau du Registrar of Associations, avaient rendu visite à un ranch dans les parages de Grand-Bassin, à l’occasion d’un « Stag Party » organisé par Ajay Jeetoo le 12 septembre 2020, alors que les restrictions pendant la pandémie de covid-19 étaient en place, et alors que l’affaire RKS Deer Ranch Ltd v. Ministry of Agro-Industry était toujours devant la Cour suprême.
Lors de ce « Stag Party », le dénommé Harryduth Ramnarain, haut cadre du bureau du Registrar of Associations, aurait suggéré à Ajay Jeetoo d’incorporer une association, d’où la création d’Eco Deer Park Association. L’affaire RKS Deer Ranch allait être retirée devant la Cour suprême après que le bail d’Eco Deer Park Association avait été approuvé. L’adresse des Office Bearers de RKS Deer Ranch et ceux d’Eco Deer Park Association est la même.
Motion pour mettre le Premier ministre hors de cause : Duel entre Desiré Basset SC et Sanjeev Teeluckdharry
Me Désiré Basset SC, représentant le Premier ministre, Pravind Kumar Jugnauth (PKJ), a ouvert les hostilités en demandant que son client soit écarté de l’affaire. Selon lui, PKJ n’a aucun rôle dans cette affaire, étant donné que les accusations concernent principalement son ministre de l’Agro-industrie, Maneesh Gobin.
Me Sanjeev Teeluckdharry a objecté à cette motion, et son argumentaire s’est avéré percutant. Il a soutenu que PKJ n’a pas pris les mesures nécessaires pour suspendre temporairement son ministre dans l’attente d’une enquête, et pire encore, qu’il a continuellement nié les accusations portées contre son ministre, allant même jusqu’à intimider des journalistes. Me Teeluckdharry a fermement affirmé que PKJ s’est érigé en défenseur de son ministre, agissant ainsi comme le porte-parole de la partie adverse.
Importance du ‘Judicial Review’ et ‘Locus Standi’ du pandit Pursun
L’audience s’est poursuivie tout au long de l’après-midi, avec des échanges intenses entre les deux camps. L’enjeu : l’objection des défendeurs et codéfendeurs portant sur le locus standi du pandit Pursun. Ce terme latin signifie que la cour n’entend qu’une affaire que si le plaignant démontre que ses intérêts personnels ou matériels sont affectés.
La journée a été marquée par une plaidoirie magistrale de Sanjeev Teeluckdharry, qui a méthodiquement réfuté les arguments avancés par les avocats adverses, notamment Désiré Basset, Rajesh Chetty, et Iqbal Mamoojee. Il a démonté point par point leurs objections sur le locus standi du pandit Pursun, tout en expliquant pourquoi son client est en droit de contester cette affaire.
S’appuyant sur une plaidoirie riche en jurisprudence, Teeluckdharry a rappelé l’importance d’une judicial review en droit mauricien, tout en expliquant la distinction entre un writ of mandamus et un writ of certiorari. Il a particulièrement insisté sur l’assouplissement de la jurisprudence relative au locus standi et à la notion de « sufficiency of interest ». Il a évoqué l’affaire Emtel, entendu en 1999 devant le Conseil privé ; l’affaire Quedou contre l’État, où il avait lui-même plaidé, et l’affaire Eco-Sud.
Dans cette dernière affaire, les Law Lords, dans un jugement rendu en juillet 2024, ont considérablement étendu la notion de locus standi des ONG en matière environnementale. Le Conseil privé, en juillet 2024, avait renforcé l’idée que les citoyens peuvent avoir un intérêt suffisant dans des affaires environnementales. Me Teeluckdharry a reproché à tous ses adversaires, sans exception, de n’avoir pas cité cette affaire, qui est la plus importante sur le « sufficiency of interest » et sur l’« environmental stewardship ».
La plaidoirie de Me Teeluckdharry s’est ensuite focalisée sur les faits spécifiques à son client, le pandit Pursun. Il a élaboré comment l’affidavit de son client, en date de septembre 2023, est en ligne avec la décision du JCPC de juillet 2024, et comment, sur les faits, son client a le locus standi requis dans cette affaire, alors qu’il se bat pour la protection de l’environnement et pour le respect des animaux.
Selon Me Teeluckdharry, le pandit Pursun avait en effet dénoncé le fait qu’un « stag party » avait eu lieu tout près d’un lieu de pèlerinage, où les protagonistes avaient tué et mangé un cerf et un sanglier. En tant que prêtre dévot de Shiva, son client estime que son droit de pratiquer librement sa religion, garanti par la section 11 de la Constitution, a été bafoué par l’organisation de cette fête. Selon lui, le « stag party », organisé près d’un lieu de pèlerinage sacré, avait des implications immorales, notamment le sacrifice et la consommation de viande de cerf et de sanglier, ce qui représente une atteinte directe à ses croyances religieuses.
De plus, Me Teeluckdharry a soulevé des questions environnementales majeures, car l’octroi d’un bail de 733.4 arpents par le ministre de l’Agro-industrie à des prête-noms du dénommé Franklin, en vue de la construction d’un ranch, a impliqué la déforestation de 5 % de la superficie d’une zone critique pour la gestion des eaux, particulièrement dans la région de Mare-aux- Vacoas, source d’approvisionnement en eau pour Palma, où réside le pandit Pursun et sa famille.
Autant de faits contenus dans l’affidavit du pandit, qui n’ont pas été niés à ce jour par les défendeurs et codéfendeurs. La prochaine audience est prévue pour la semaine prochaine, où le dénouement pourrait potentiellement avoir des répercussions sur les personnalités politiques impliquées.
Les juges devront ainsi décider si le Premier ministre doit être mis hors de cause, si le pandit Pursun a le locus standi requis et si le « leave to apply for judicial review » devra lui êtreaccordé. Si les juges décident d’octroyer le « leave to apply for judicial review » au pandit Pursun, un autre bench de deux autres juges devra déterminer, durant l’exercice de judicial review proprement dit, si une ordonnance (writ) de mandamus devra être émise contre la FCC et la police, leur enjoignant de diligenter une enquête contre Maneesh Gobin, enquête qui devra déterminer si l’Attorney-General est trempé dans un quelconque délit de corruption dans la saga Black Label and Stag Party.