Arrêtés pour avoir milité en faveur de leurs mandants

« Nous avons été traités comme des terroristes ! »

  • « Nou pane coquin. Nou pane batte dimoune. Nou pane touye personne. Nou pane mem zouré. Nou fine zis revendique nou droits », s’indignent Gurib, Nadal et Jasgray

« Nous avons été traités comme des terroristes ! » C’est ce que clament les trois élus du village de Plaine-Magnien. Arrêtés, menottés et intimidés parce qu’ils ont osé défendre les habitants qui leur ont fait confiance et aux côtés desquels ils ont passé des jours et des nuits suivant les récentes inondations, Nazim Gurib, président de village, Cursley (Zaick) Nadal, conseiller de district, et Vashil Jasgray, conseiller de village, sont devenus le symbole de la résistance contre l’oppression. Car, malgré les persécutions politiques dont ils ont été victimes, ils ne reculent pas dans leur combat. Au contraire, ils se disent motivés à bloc et ils sont déterminés à faire entendre leurs voix, quitte à déplaire à ceux perchés en haut.

Ils s’intéressent de près à l’administration de leur village et des préoccupations de leurs mandants depuis qu’ils ont été élus aux dernières élections villageoises en novembre 2020. Mais ils étaient loin de savoir qu’en luttant pour que justice soit faite à ceux qui leur ont fait confiance et qui se trouvent aujourd’hui dans une situation angoissante en raison d’une construction irrégulière ayant causé des inondations ravageuses, ils seraient arrêtés, détenus et intimidés pour leur faire taire. « Nou fine élu pou régler problèmes dans village et aide bane dimoune. Mais jamais nou ti pensé nou pou bizin alle passe ene la nuit dans cell », nous confie Vashil Jasgray. « Nou pane fer nanrien de mal. Mo pas trouvé kifer ti bizin arrête nou », poursuit-il.

« À aucun moment, nous n’avons insulté ou menacé qui que ce soit. Nous n’avons fait que revendiquer notre droit pour assister à la réunion à laquelle participaient les ministres Hurreeram et Toussaint. Nous sommes les représentants du village. Nous avons été aux côtés des sinistrés pendant des jours entiers. C’est notre droit de savoir ce qui s’y passait », ajoute, pour sa part, Nazim Gurib. D’ailleurs, précise Vashil Jasgray, le ‘statement’ consigné par les trois membres du gouvernement mentionnait que « Mr Nazim Gurib’s eyes were filled with anger ». « Pareil kouma Collendavelloo ti guet dans lizié Alvaro Sobrino, ti trouve li innocent, pareil zot pe guet dan lizié zot pe trouve menace », rétorque le conseiller de village. Les trois élus de village insistent que leur intention n’était pas de créer du désordre ou de se bagarrer, mais de chercher des réponses par rapport aux inondations causées par la construction d’un SME Park à proximité d’un terrain marécageux. Or, ce problème a été relégué au second plan. « Ils ont détourné l’attention du vrai problème. Ziska zordi, enkor ena delo dans lakaz dimoune et solution penkor trouvé. Demain ena gro lapli, nou pou regagne mem problème », lance Nazim Gurib.

« Trap pavillons orange »

Zaick Nadal se désole de la souffrance que doivent endurer plusieurs familles depuis ces inondations. « Seki noune trouver, c’est bien triste. Je lance un appel au gouvernement. Oublions ce qui s’est passé. Nou pa dire ki zot pa pou kapave mette lipied dan Plaine-Magnien. Au contraire nou dire zot vini, vine guet sa bane dimoune la », soutient-il. Le trio Gurib-Nadal-Jasgray dément avoir un quelconque agenda politique. « J’ai travaillé avec le gouvernement MSM. Camarade Nazim a travaillé pour le PTr. Quant au camarade Vashil, je ne connais pas, même aujourd’hui, quelle est sa couleur politique », martèle Zaick Nadal. Leur but, insiste le conseiller de district, c’est de faire avancer la cause des habitants de Plaine-Magnien car ils ont été élus précisément pour cette raison.

« Gouvernema ti oulé nou trap pavillons orange pou travay ensam are nou », déplorent-ils. Ce qu’ils refusent de faire, même s’ils ne sont pas contre l’idée de travailler en collaboration avec le gouvernement central pour le développement du village. Les trois élus de Plaine-Magnien ne se laissent nullement affecter par ce qu’ils ont vécu. Ils sont déterminés à aller jusqu’au bout de leur mission : celle d’œuvrer pour leur endroit. « Au contraire, zot ine doubler nou la force. Nou fine passe ene nuit en cachot pou nou village. Nou fiers ki nou pane zet zarme », tonne Nazim Gurib.

Hors-texte

Nazim Gurib : « Ils ont attaqué ma foi »

Élu en tête de liste avec 1 366 voix à Plaine-Magnien en novembre 2020, Nazim Gurib est le président de ce village situé dans le sud-est du pays. Arrêté le mardi 12 avril sous une accusation provisoire de « outrage against depository of public authority », ce père de famille dit avoir vécu la pire nuit de sa vie. Outre d’avoir été arrêté à l’heure de l’‘iftar’ (ndlr : au moment de la rupture du jeûne du Ramadan), il a été presque privé d’une collation à l’heure du ‘sehri’ (ndlr : repas avant le jeûne) tôt le lendemain matin. « Kan mone arrêté, ti ena ene policier Musulman, line amen mo iftar, tou ti korek », nous confie cet homme âgé de 35 ans. Le matelas se trouvant dans sa cellule étant sale, il a fait une requête pour avoir un drap propre, vu qu’il devait effectuer ses prières. « Pas ti ena drap, mais le policier ine donne moi ene molleton ki ti neuf avec ene loryé », poursuit-il.

Mais après un changement de ‘shift’, un autre policier venu effectuer une ronde à 1h du matin devait les reprendre. « Line lève moi. Line dire moi retourne sa molleton ek sa loryé la et line commence agir d’ene façon agressif avec moi », révèle Nazim Gurib, en ajoutant que le policier en question puait l’alcool. « Lerla mone dire li ki à 3h30 pou ena ene dimoune pou vine kit manzé pou moi. Li dire moi non, line gagne instruction pas prend auken manzé pou toi », renchérit-il. Ce à quoi Nazim Gurib lui aurait demandé si le poste de police a prévu un repas pour lui. « Li dire moi line gayn instructions depi laho. Line osi dire sa à camarade ki ti vine kit manzé pou moi le matin », déplore-t-il.

Il a fallu l’intervention du député Eshan Juman pour qu’il puisse enfin avoir son repas dix minutes avant que le ‘sehri’ ne se termine. Mais, malheureusement, Nazim Gurib avait déjà, à ce moment, entamé son jeûne. « Mo pa ti kone l’heure, alors mo ti fini fer mo niyat pou sehri », explique-t-il. « Zot ine prive moi de sa sehri la. Line dire moi ene jour to ti kapave pas garde carême », s’indigne Nazim Gurib, qui estime que c’est une attaque à sa foi et à sa liberté religieuse.

Zaick Nadal : « Dégoûté par bane malpropreté ki mone trouvé »

Louis Cursley Nadal, plus connu comme Zaick, avait récolté 1112 voix à Plaine-Magnien lors des dernières élections villageoises. Depuis, c’est avec une certaine fierté qu’il représente son village natal au conseil de district de Grand-Port. Ce père de trois enfants avoue qu’il n’oubliera jamais sa détention, bien qu’il ait déjà eu des ennuis dans le passé. « Mone trouve ene bane malpropretés komsi ene bane zafer kine installé », dit-il, toujours sous l’effet du choc. « Un ami m’a apporté du ‘halim’ que je n’ai pas pu consommer tellement j’étais dégoûté par la malpropreté qui s’y trouvait. Kumsa fer avec ene dimoune ? », s’interroge-t-il.

« Noune senti nou pire ki ene criminel. Net kom terroriste », poursuit Zaick Nadal. Traumatisé par cet épisode, il n’a pu s’empêcher de verser quelques larmes après sa libération, tellement il était soulagé. Pourtant, il ne cache pas d’avoir travaillé pour le MSM dans le passé. « À Plaine-Magnien, nous travaillons comme une équipe soudée. Pas M. le ministre ki pou vine dire moi vine to tousel, si to envi kitsoz, mo pou donne toi tousel. Mo envi ki mo lekip ensam are moi pou fer travay social la », admet-il, en insistant que les intérêts du village passent au-dessus de toutes autres considérations.

Vashil Jasgray : « Mone pensé ki zot pou touye moi »

Du haut de ses 33 ans, Vashil Jasgray est celui qui avait fondé le ‘Mouvement Zeness de Plaine Magnien’, dont font également partie Gurib et Nadal, avant la tenue des élections villageoises en 2020. Son parti a pu faire élire sept des neuf candidats. Preuve de leur politique de proximité prônée auprès des habitants de leur village. Le jeune conseiller de village dit toujours ne pas comprendre pourquoi il a été transféré du poste de police de Grand-Bois, où il avait été détenu, à celui de Bel Ombre au beau milieu de la nuit. « Dans sa 30 minutes avant ki banla ine vine prend moi la, mo pensé zot pou fini touye moi ».

« Sa l’heure-là, mo pe penser pe fer travay social, pe debouter pou bane habitants Plaine-Magnien, mais kapave perdi lavi », relate Vashil Jasgray, en nous confiant qu’il était tenaillé par une peur inexplicable. « Ine traite nou komsi bane terroristes. Nou pane coquin. Nou pane batte dimoune. Nou pane touye personne. Nou mem pane zouré. Nou fine zis revendique nou droits », s’indigne Vashil Jasgray. Il se demande si l’on vit dans une dictature où la liberté d’expression n’existe plus. « Pas pe laisse nou rempli nou fonction comme conseillers de village. Kozer pas pe kapave. Pou ene simple ti zafer, pe ferme ou. Pena démocratie ditou dans sa pays-là », insiste-t-il.

Le jeune conseiller de village dit vouloir faire de la politique autrement, mais, dit-il, « mo pe trouver ki sa ena ene prix à payer ». D’ailleurs, révèle-t-il, le ministre Bobby Hurreeram lui avait demandé, à la veille des élections du conseil de district, de voter pour le candidat pro-MSM. Et de lui promettre une nomination en retour. Une offre que Vashil Jasgray a rejetée, préférant maintenir une neutralité politique. En dépit de ce qu’il a vécu, il croit toujours dur comme fer que la politique peut être faite autrement.

Gurib privé de ‘sehri

Shiva Coothen : « Il faut d’abord inspecter les nourritures »

L’inspecteur Shiva Coothen, porte-parole du ‘Police Press Office’ (PPO), affirme que les policiers présents au poste de police où Nazim Gurib était détenu attendaient les instructions de leur supérieur, car il fallait d’abord inspecter le repas avant de le lui remettre. « En l’absence d’un officier responsable à la station à cette heure, bane policiers de service bizin atane instructions pou inspecter sa nourritures la avant donne li accès à ce repas, surtout avec tou seki passé dans cellules », explique-t-il.

Or, ce n’est pas ce qui s’est réellement passé au poste de police, avance Nazim Gurib, qui maintient que le policier lui a dit « ine gagne instructions pou pas donne ou nanrien ». Et d’ajouter que « ti ena caméra la-bas ».

Pour sa part, face au tollé provoqué par cette affaire au sein de la communauté musulmane, le ‘Deputy Speaker’ Zahid Nazurally a publié, jeudi, un post sur sa page Facebook où il affirme que « Sehri li droit tout détenu. Respect tout pratique religieux svp. Constitution garanti freedom of religion. Maurice arc en ciel ».

Mise en garde du PM contre ceux qui se laissent influencer

Pravind Jugnauth : « Guet bien, réflési bien »

Pravind Jugnauth sera intolérant envers « bane dimoune ki fer désordre ». Le Premier ministre allègue que ceux qui ont été arrêtés cette semaine ont été incités par certains députés de l’opposition pour créer du désordre. Il prévient que les autorités agiront contre tous ceux qui vont à l’encontre de l’ordre et la paix dans le pays. Et, mine de rien, il lance une mise en garde contre ceux qui se laissent influencer. « Kan actions pou prend, c’est pas contre sa bane certains dimounes de l’opposition là, mais contre bane dimounes ki laisse zot influencer. Kan zot pou tombe dans trou, li pou trop tard », lance-t-il. Et d’ajouter, presque comme une menace, « Pas bliyer quand ene dimoune alle condamner dans la cour, dans so certificat moralité, li paret sa. Guet bien, réflesi bien pou certains ki laisse zot emporter. Pas alle fer bane connerie ».