Comment Raphael Fishing a acquis les droits d’occupation sur l’archipel

Permanent Grant sur une partie de St. Brandon

Le gouvernement a dans son viseur les droits d’occupation de la société Raphael Fishing Co. Ltd sur l’archipel de St. Brandon, cela alors que le ‘Privy Council’, dans un jugement en date de 2008, avait confirmé que cette société avait bien une concession à perpétuité (‘permanent grant’) sur cet archipel. Vu que la Constitution, notre loi suprême, prévoit que le gouvernement doit respecter les jugements du ‘Privy Council’, la question reste posée sur les moyens juridiques que compte entreprendre le gouvernement pour contourner ce jugement. Nous abordons ici le jugement du ‘Privy Council’ dans les grandes lignes pour mieux comprendre comment la société Raphael Fishing a acquis les droits d’occupation sur l’archipel.

L’atoll de St. Brandon se situe à environ 415 km au nord-est de Maurice. Aussi connu comme Cargados Carajos, il est composé de plusieurs petites îles. Toutefois, sa zone économique exclusive s’étale sur près de 2 300 km² autour de ces îles. Raphael Fishing Co. Ltd est, quant à elle, une société qui avait été incorporée le 7 juillet 1927. Son siège social se situe à Les Salines à Port-Louis. Elle détient une concession à perpétuité (‘permanent grant’)sur 13 des ilots de St. Brandon. Comment cette société a-t-elle acquis ce ‘permanent grant’ ?

Cette affaire remonte en 1820. Cette année-là, le gouvernement colonial de Maurice avait octroyé des ‘jouissances’ à plusieurs personnes sur l’archipel de St. Brandon. Une ‘jouissance’, vestige du droit français avant l’avènement du Code civil, peut être de durée déterminée ou indéterminée (à perpétuité). Elle permet à son bénéficiaire d’exploiter une terre, sans toutefois en devenir le propriétaire. Ces ‘jouissances’ avaient été abondamment octroyées par le gouvernement colonial français aux colons, dans le but de défricher les terres encore vierges de Maurice (alors connue comme Ile-de-France).

Pour régulariser ces ‘jouissances’, le Conseil colonial avait proclamé dans une ‘Ordonnance’en 1874, que les jouissances à durée indéterminée seraient désormais converties en ‘permanent grant’ (concession à perpétuité) ou en ‘permanent lease’(bail à perpétuité). Une concession est une cession d’un terrain par l’État à un particulier dans un but bien précis, et sans aucune contrepartie, contrairement à un bail (par exemple pour lui permettre d’y bâtir une école).

Plusieurs personnes détentrices des jouissances sur St. Brandon les avaient transférées à la compagnie St. Brandon Fish & Manure Co. Ltd sous un ‘Deed of Transfer’ en date du 11 octobre 1901. Ce document établissait un ‘permanent lease’ (bail à perpétuité) en faveur de cette compagnie sur l’archipel de St. Brandon, conformément sous l’ordonnance de 1874. Ce ‘permanent lease’ avait ensuite été légalement acquis en 1928 par la société Raphael Fishing Co. Ltd.

Mais en juin 1995, un dénommé Robert Talbot essaiera de faire valoir ses droits contre Raphael Fishing sur une partie de l’archipel de St. Brandon, se basant sur les anciennes ‘jouissances’ octroyées en 1820, qu’il avait acquis auprès d’une héritière de ces ‘jouissances’. L’affaire fut portée devant la Cour suprême. Celle-ci décida que le ‘permanent lease’ (bail perpétuel) dont jouissait Raphael Fishing sur l’archipel de St. Brandon est incompatible avec le Code civil, qui fait état que tous les baux doivent être de durée déterminée, et donc « null and void ».

En juillet 2006, Raphael Fishing Co. Ltd obtint l’autorisation le Privy Council de contester le jugement de la Cour suprême de Maurice. Pour le Privy Council, dans son jugement en date du 30 juillet 2008, le ‘Deed of Transfer’ de 1901, qui fait état de ‘permanent lease’ sur St. Brandon, avait été fait sous l’ordonnance de 1874. Or, celle-ci n’est pas sujette au Code civil et n’a jamais été abrogée. Pour les ‘Law Lords’, les juges de la Cour suprême mauricienne « have fallen into error in looking for conformity with the Civil Code rather than for the intentions of the legislator as disclosed by the Ordinance ». Le législateur (le Conseil colonial) avait voulu créer un régime d’intérêt permanent dans une exploitation foncière, en dehors du Code civil.

Les ‘Law Lords’ avaient ainsi décrété que les termes ‘permanent lease’ (bail perpétuel), contenus dans le  ‘Deed of Transfer’ de 1901, doivent être interprétés comme ‘permanent grant’(concession à perpétuité), pour bien donner effet aux intentions du législateur. La Raphael Fishing  Co. Ltd jouit donc bel et bien d’un ‘permanent grant’ sur l’archipel de St. Brandon.