[Coût de la vie et endettement] Les ménages dans la tourmente

Pour de nombreux Mauriciens, le coût de la vie est devenu une source de stress constant. D’après un sondage réalisé par Afrobarometer, 44 % des sondés (1200 personnes âgées entre 35 et 60 ans) ont classé cette question parmi leurs trois principales préoccupations, une indication de l’impact de l’inflation et de la perte du pouvoir d’achat sur leur quotidien. La flambée des prix des biens de consommation courante et des services essentiels a créé un climat de frustration et d’incertitude économique. Les ménages se battent pour joindre les deux bouts, comme en témoignent certains responsables de familles.

Ralib, 50 ans, informaticien, décrit une inquiétude financière constante, surtout au milieu du mois. Chaque début de mois, il planifie ses dépenses, mais la hausse continue des prix complique cette tâche, le contraignant à réajuster ses prévisions presque chaque semaine. Il explique : « Les imprévus, comme une réparation d’urgence ou des frais médicaux, peuvent bouleverser mon budget ». Pour faire face, il essaie d’épargner un peu chaque mois et de réduire les dépenses non essentielles en comparant les prix avant chaque achat.

Même son de cloche du côté de Joanne, une comptable âgée de 40 ans et mère célibataire de deux enfants. Elle trouve que l’idée d’acheter une maison ou d’investir pour l’avenir de ses enfants semble impossible sans s’endetter jusqu’à sa retraite. Heureusement, elle a hérité d’une maison de ses parents, ce qui allège sa situation financière, mais elle regrette de ne pas pouvoir offrir la même sécurité à ses enfants. « Acheter une voiture m’a déjà endettée, et économiser pour l’éducation de mes enfants reste un défi, surtout avec l’inflation réduisant la valeur de l’argent économisé », avoue-t-elle. Elle confie s’attendre à ce que ses enfants travaillent à temps partiel pour compléter leurs études. « Même si j’arrive à satisfaire les besoins basiques de mes enfants, faire les courses pour notre famille de trois est coûteux, et les factures d’eau, d’électricité et d’internet s’accumulent », ajoute-t-elle. Et même avec une pension alimentaire de son ex-mari, en plus de son salaire, est insuffisante pour couvrir toutes les dépenses nécessaires.

Priscilla, 49 ans, activiste, soutient pour sa part que « ces augmentations, accentuées par les coûts élevés du fret, me poussent à privilégier les petits supermarchés et les boutiques de quartier plutôt que les grandes surfaces, même si cela signifie moins de choix. » Bien que ces choix lui permettent de réaliser de modestes économies, l’insécurité financière reste une réalité persistante. « Les fins de mois arrivent rapidement, avec des factures d’électricité et d’eau qui s’accumulent, rendant parfois difficile le choix entre payer ces factures ou répondre aux besoins essentiels de ma famille. Pour les familles de la classe moyenne, ce contexte est particulièrement préoccupant. Les parents, et surtout les mères, subissent une pression énorme pour gérer les dépenses domestiques, jonglant entre les nécessités alimentaires et le paiement des factures », constate-t-elle. Elle souligne également que « la résilience face à la baisse du pouvoir d’achat nécessite beaucoup de courage et de sacrifices. » Priscilla espère que des solutions seront trouvées pour aider ceux qui peinent à subvenir aux besoins de leur famille, souvent contraints de cumuler plusieurs emplois au détriment de leur santé et de leur famille.

Nalini Burn : « Une forte demande de prêts, accentuant les inégalités »

Nalini Burn, socio-économiste, analyse l’endettement croissant à Maurice et propose des solutions. « L’économie mauricienne est influencée par la financiarisation. Les institutions financières facilitent l’accès au crédit, poussant de nombreux Mauriciens à s’endetter pour des biens immobiliers ou des véhicules », explique-t-elle. Les politiques économiques actuelles ont intensifié cette dynamique. « Les taux d’intérêt bas et l’excès de liquidités ont provoqué une flambée des prix de l’immobilier. Cette situation a généré une forte demande de prêts, accentuant les inégalités », ajoute-t-elle.

Le Household Budget Survey de 2023 révèle que seuls 14 % des ménages gagnent plus de Rs 90,000 par mois, captant une part disproportionnée des revenus. « S’endetter au maximum de ses capacités sans évaluer les risques peut devenir dangereux. Les récents taux d’intérêt en hausse rendent les remboursements plus difficiles », met-elle en garde.

Pour beaucoup, l’endettement est perçu comme un moyen de sécuriser leur avenir financier, notamment à travers l’achat d’une maison, signe de réussite sociale et investissement rentable à long terme. Cependant, l’économiste souligne que cette perception peut devenir dangereuse si l’on s’endette au maximum de ses capacités sans évaluer correctement les risques. Les récents taux d’intérêt en hausse rendent les remboursements plus difficiles, augmentant ainsi la vulnérabilité des ménages. Elle plaide pour une évaluation en profondeur du modèle économique de Maurice, et appelle à comprendre les causes des déséquilibres financiers et à prendre des mesures pour éviter les dérives.

Pour faire face à cette situation, Nalini Burns propose de développer une culture de gestion des risques en éduquant les citoyens sur les dangers potentiels de l’endettement. Cette éducation devrait inclure une sensibilisation aux autres types de risques, comme ceux liés au climat, à la santé, à l’emploi, et même aux comportements à risque comme la toxicomanie et le jeu. Il est crucial de reconnaître que tous les citoyens ne font pas face aux mêmes défis, et chaque groupe doit être ciblé de manière appropriée.

L’économiste critique également les politiques actuelles qui protègent surtout les grandes entreprises, souvent jugées « trop grandes pour faire faillite », tout en négligeant les impacts sociaux et familiaux de l’endettement. Pour protéger les familles mauriciennes, Nalini Burns recommande des réformes économiques qui incluent des mesures concrètes pour prévenir le surendettement. « Une approche plus équilibrée et humaine est nécessaire pour assurer un développement durable et inclusif, qui ne laisse personne derrière », conclut-elle.