Pour la démocrate Alexandria Ocasio-Cortez, le projet n’est pas assez ambitieux. Pour le patron des républicains au Sénat, pas question d’augmenter les impôts sur les sociétés pour le financer. Fidèle à son habitude, Joe Biden a dévoilé un compromis, mercredi. Le président américain a proposé mercredi d’investir quelque 2.000 milliards de dollars dans les infrastructures, avec l’objectif affiché de créer des millions d’emplois, de tenir tête à la Chine et de lutter contre le changement climatique.

« C’est ambitieux ! C’est audacieux ! Et nous pouvons le faire ! », a lancé le président, soucieux depuis son arrivée au pouvoir il y a moins de trois mois de démontrer sa volonté réformatrice. « Cela permettra de créer l’économie la plus résistante, la plus forte et la plus innovante du monde », a-t-il ajouté, insistant sur la nécessité de « gagner » face à la Chine. « Ce sont des investissements que nous ne pouvons pas ne pas faire », a-t-il ajouté depuis Pittsburgh, en Pennsylvanie, où il avait lancé sa campagne visant à conquérir la Maison Blanche il y a deux ans.

Financé par une hausse de l’impôt sur les sociétés

La première phase de son programme « Build Back Better » («Reconstruire mieux ») porte sur des investissements qui seraient étalés sur huit ans et financés par une hausse de l’impôt sur les sociétés de 21 % à 28 %. « Il ne s’agit pas de pénaliser qui que ce soit », a expliqué Joe Biden, martelant « croire au capitalisme américain » et n’avoir « rien » contre les millionnaires et les milliardaires. « Je suis ouvert à d’autres idées », a-t-il assuré, tout en réaffirmant qu’il ne voulait pas que les revenus les plus faibles soient mis à contribution.

Son plan prévoit en particulier d’injecter 620 milliards de dollars dans les transports, permettant de moderniser plus de 32.000 kilomètres de routes et autoroutes, et de réparer quelque 10.000 ponts à travers les Etats-Unis.

Cette nouvelle offensive législative intervient peu après l’adoption par le Congrès d’un plan de relance centré sur la pandémie de Covid-19, lui aussi chiffré à près de 2.000 milliards de dollars.

Mais ce discours de Pittsburgh n’est que le point de départ d’une âpre bataille au Congrès dont l’issue est incertaine. La majorité démocrate y est en effet étroite et les tractations s’annoncent redoutables.

L’aile gauche pas satisfaite

Déjà, les premières voix dissonantes sont venues de l’aile gauche du parti démocrate.

Pour l’élue de New York Alexandria Ocasio-Cortez, les sommes proposées sont tout simplement « insuffisantes ». « Il faut que l’enveloppe soit beaucoup plus importante », a tweeté celle qui défend un Green New Deal pour le climat.

Pour le sénateur républicain du Wyoming John Barrasso, à l’inverse, ce projet n’est qu’un « cheval de Troie » pour permettre aux démocrates « de dépenser plus et d’augmenter les impôts ». Seule certitude : les mois à venir mettront à l’épreuve les qualités de négociateur du président démocrate, fin connaisseur des rouages de Washington.

Le plan prévoit d’amplifier « la révolution des véhicules électriques » avec, par exemple, le passage à l’électricité pour 20 % des célèbres bus jaunes de ramassage scolaire. Il vise aussi à rendre les nouvelles infrastructures plus résistantes aux évolutions liées au changement climatique.

Restaurer ou construire des routes, ponts, voies ferrées, ports et aéroports ? L’idée est bien sûr parlante pour le grand public, d’autant que nombre d’infrastructures aux Etats-Unis datent des années 1950 et que leur délabrement ne fait pas débat.

L’échec de Trump et Obama

Mais dégager un consensus politique n’est pas une mince affaire. Les deux prédécesseurs de Joe Biden, Donald Trump et Barack Obama, avaient eux aussi fait de grandes promesses sur ce thème. Elles sont restées lettre morte.

Ancien rival de Joe Biden dans les primaires démocrates et désormais ministre des Transports, Pete Buttigieg, qui sera en première ligne sur ce dossier, assure que tout sera différent cette fois, que les astres sont alignés. « Je pense que nous avons une occasion extraordinaire d’avoir le soutien des deux partis pour voir grand et faire preuve d’audace sur les infrastructures », martèle le jeune ministre.

« Les Américains n’ont pas besoin qu’on leur explique que nous devons agir sur les infrastructures, et la réalité est que vous ne pouvez séparer la dimension climatique » de ce défi. Si l’enthousiasme et le capital politique de Pete Buttigieg sont réels, la tâche s’annonce ardue.

Fait révélateur, la Chambre de commerce américaine, qui avait jusqu’ici salué nombre de décisions de Joe Biden, du retour dans l’accord de Paris sur le climat au plan de sauvetage de l’économie, a exprimé mercredi son net désaccord. Si elle approuve la volonté de faire des infrastructures une priorité, elle estime que le président démocrate se trompe « dangereusement » sur la façon de financer son programme.

Dans un communiqué agressif et sans nuances, Donald Trump a, lui, accusé son successeur de proposer une stratégie de « capitulation économique totale ». Dénonçant une « monstruosité », il a estimé que la hausse de l’impôt sur les sociétés serait « un énorme cadeau » à la Chine. « L’attaque cruelle de Joe Biden contre le rêve américain ne doit jamais devenir loi (…). Notre économie sera détruite ! », a-t-il conclu, reprenant une formule régulièrement utilisée en campagne lorsqu’il évoquait l’éventuelle victoire de son adversaire.