Alors que l’Europe vit une crise énergétique sans précédent depuis le début de l’année, le gouvernement français cherche des solutions pour faire face aux risques de pénuries et de coupures.
Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), les prix de l’énergie ont augmenté de 28% en moins d’un an pour les ménages français. La crise et l’inflation qui en découlent touchent durement les ménages les plus modestes. Les locataires des logements sociaux (habitation à loyer modéré, dit HLM) se retrouvent confrontés à l’explosion des charges alors qu’ils sont 35% à vivre sous le seuil de pauvreté.
Le ministère de la Transition Écologique a annoncé dans un arrêté officiel fin septembre qu’Enedis, filiale du groupe EDF (premier producteur et fournisseur d’électricité en France et en Europe), pourra couper les ballons d’eau chaude. C’est plus de 4,5 millions de Français qui seront touchés par ces restrictions autorisées dès la mi-octobre, et ce, jusqu’à la mi-avril.
Alors que les particuliers commencent à réaliser l’ampleur de cette crise énergétique, les professionnels, eux, subissent déjà la flambée des prix.
Les entreprises font un constat alarmiste : leur facture d’électricité va être multipliée par cinq. C’est là les tarifs que leurs proposent les fournisseurs. Pour le simple boulanger qui, habituellement, paie 60 000€ annuels, il devra désormais débourser près de 300 000€ – une somme quasi impossible à payer pour de nombreuses sociétés.
Plus tôt déjà, à l’occasion de la rentrée universitaire, plusieurs campus de France avaient fait part de leurs décisions drastiques face à la crise : certaines facultés fermeront leurs portes deux semaines de plus en hiver, d’autres ont basculé en distanciel ou ont adopté une baisse des chauffages dans les locaux.
Les remontées auprès des syndicats se font nombreuses et plus les institutions prennent des décisions, plus les étudiants semblent acculés.
Pour ceux dont l’électricité est à leur charge, la prochaine facture est synonyme d’anxiété.
Ilyes, étudiant en master à l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspé) vit seul dans une chambre de 15m2 au Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) de Paris.
Il réprouve fermement ces restrictions : “Les prochaines factures d’électricité m’inquiètent. Déjà l’électricité de base, ce n’est pas donné lorsqu’on est étudiant. L’année dernière, en janvier, ma facture d’électricité est montée à plus de 60€ à cause du froid malgré mes réflexes pour limiter ma consommation.”
Avec la crise, Ilyes redoute encore plus le courrier de son fournisseur d’énergie. Il multiplie les efforts pour y faire face.
“J’ai baissé le chauffage à 18°C, parfois même 17°C. Je dois me couvrir un maximum avec des pulls, des plaids, des chaussettes. Et comme mon logement est très mal isolé, j’ai dû mettre du scotch tout autour de mes fenêtres. Évidemment, je n’abuse pas de l’eau chaude et j’éteins toujours ma multiprise et retire la prise du micro-ondes dès que je ne l’utilise pas”.
Sur fond de guerre en Ukraine, le gouvernement français multiplie les initiatives pour sensibiliser à la sobriété énergétique – la dernière en date : une campagne nationale intitulée “Chaque geste compte”.
Pour Yoan, ingénieur d’application à Paris, cette nouvelle mesure est risible : “C’est facile de toujours taper sur les petits alors qu’à côté on voit des enseignes allumées toute la nuit dans les rues.”
A ses yeux, lancer une campagne de sensibilisation qui “pointe du doigt le Français lambda, c’est culpabilisant et contre-productif”.
Les différentes interventions de la première ministre Française Elisabeth Borne concernant la consommation des Français ont d’ailleurs fait l’objet de vives critiques sur les réseaux sociaux.
Yoan déplore: “Quand on voit l’utilisation d’énergie des multinationales et des milliardaires, ce n’est pas du tout comparable. Il faut se concentrer sur ces grosses dépenses-là.”
Thomas Dagorn Dias Da Silva, expert en transition écologique joint par Anadolu, rappelle que “les habitants formant la moitié de la population mondiale la plus pauvre ne contribuent que pour 12% des 50 milliards de tonnes de CO2 émises en 2019 alors que les 10% des plus riches de la planète en produisent 48%”.
Très dépendante du nucléaire – qui assure 70% de la production d’électricité – la France souffre encore trop de la mise en pause de la majeure partie de ses réacteurs (26 sur un total de 56) bien que le président général d’EDF Jean-Bernard Lévy ait assuré à la mi-septembre le redémarrage des centrales nucléaires pour cet hiver.
Le consultant rappelle que concernant les énergies renouvelables (ENR), “elles nécessitent encore trop de matières non renouvelables et ont une empreinte carbone conséquente.
Il explique qu’il n’y a pas de mix énergétique parfait. Chaque énergie a ses défauts. Ce n’est pas juste une affaire de proportion et les choix doivent être contextualisés, au cas par cas, dépendamment de la localisation et des besoins”.
Face aux restrictions énergétiques et aux risques de pénuries, une nouvelle problématique se dessine – ne faudrait-il pas, à terme, envisager un mode de vie différent qui nécessite moins (voire pas du tout) d’énergie ?
Selon le spécialiste et conférencier en transition écologique, “nous avons besoin indéniablement de voir ce qu’il se passe hors de notre prisme. Nous avons tous des efforts considérables à faire et cela implique de changer et de sortir de sa zone de confort… L’humain est réticent mais il est plus que nécessaire d’arrêter d’être dans le déni.”
Au-delà des factures d’électricité qui seront indéniablement trop élevées, le conflit russo-ukrainien et ses conséquences sur la consommation européenne aura permis de mettre en lumière les enjeux de la dépendance énergétique en France.
SOURCE : AA