L’accident de Pailles : Quelques zones d’ombre

Ce jeudi 5 novembre a été un jour noir pour la communauté des travailleurs bangladais à Maurice. En effet, un accident d’une rare violence a eu lieu ce jour-là, impliquant un autobus dans lequel voyageaient environ 80 Bangladais. Quatre de ces derniers ont trouvé la mort. Il convient de faire ressortir que quelques zones d’ombre subsistent sur cet accident.

 

 

 

 

 

 

 

En ce jeudi fatidique,  environ 80 employés (tous des hommes) avaient quitté leur dortoir à Trianon pour grimper dans le bus. Ils devaient en effet se rendre sur un chantier dans la capitale.

Arrivé à hauteur de Pailles, le bus, qui roulait à tombeau ouvert selon plusieurs témoignages concordants, devait emboutir avec une rare violence un abribus en béton en bordure de l’autoroute.

Volontaires, sapeurs-pompiers, policiers et le personnel du SAMU ont tous apporté leur aide pour extirper les blessés et ceux qui étaient inanimés sous l’amas de ferraille, qui ont été par la suite transportés à l’hôpital Dr Jeetoo.

À l’hôpital Dr Jeetoo, on dirige les blessés vers un jardin

C’était une scène poignante à l’hôpital Dr. Jeetoo, où les larmes et les cris de douleur emplissaient les salles du ‘Casualty’ de l’hôpital.

Environ une cinquantaine de Bangladais ont reçu des traitements à l’hôpital Dr. Jeetoo. Toutefois, ces derniers déplorent la façon dont ils ont été traités à l’hôpital. Après avoir reçu les premiers soins, les Bangladais ont été dirigés dans un jardin dans la cour de l’hôpital où ils été invités à s’asseoir par terre, sous le soleil, avec leurs douleurs et leur traumatisme.

Quand la Haut-Commissaire du Bangladesh Rezina Ahmed est arrivée en compagnie du ministre du Travail, Soodesh Callichurn,  les Bangladais ont fait part de leurs doléances à ces derniers.

A ce jour, le bilan s’élève à 4 morts et à une soixantaine de blessés. Les victimes sont, Abdur Razzack (32 ans), Sonchoy Das (23 ans), Islam Faruk (38 ans) et Rakib Molla (27 ans).

Eli & Sons et Al-Ihsaan, deux entreprises de pompes funèbres, ont pris en charge le rapatriement des dépouilles vers le Bangladesh, exercice qui se fera le mercredi 11 novembre. De plus, une séance de prières a été organisée le vendredi 6 novembre par Al-Ihsaan au cimetière de Riche-Terre.

 

Le syndicaliste Faizal Ally Beegun propose une compensation aux  familles des défunts

Le syndicaliste Faizal Ally Beegun, qui milite depuis des années pour les droits et le bien-être des employés étrangers, nous confie sa tristesse devant cette perte de vies humaines. « Il est choquant de voir des êtres humains perdre leur vie dans de telles circonstances », dit-il.

Il dit avoir eu l’occasion de poser quelques questions aux Bangladais, malgré le fait que la compagnie qui les emploie (voir Encadré) avait mis des « espions » dans l’enceinte de l’hôpital pour s’assurer que les survivants ne parlent pas avec les journalistes ou les syndicalistes.

Ally Beegun revient sur les circonstances de cet accident, notamment sur la vitesse à laquelle le chauffeur roulait. « C’est l’enquête de la police qui va déterminer cela, mais j’espère que la transparence primera dans cette enquête », dit-il. Il remonte 9 ans en arrière, à St-Julien d’Hotman, où 11 Bangladais avaient péri dans un accident de la route. À l’époque, une enquête avait été initiée, mais peu après, il y a eu un silence complet sur cette affaire. « J’espère que dans ce cas précis, les choses ne vont pas se répéter », nous dit le syndicaliste.

Le gouvernement doit assumer sa responsabilité pour exiger à ce que les compagnies respectent les lois en ce qui concerne le transport des ouvriers. Le syndicaliste lance un appel au gouvernement de prendre l’exemple de l’accident de 2011, quand le gouvernement de Navin Ramgoolam avait offert une compensation de $ 2 000 à chaque famille endeuillée. La Jummah Mosque avait de son côté recueilli une somme importante d’argent, qui avait été envoyée en Bangladesh. « Je propose que le gouvernement offre une compensation à chaque famille des défunts, de l’ordre de $ 3000, et même une compensation à ceux qui ont été blessés car ils ont contribué à l’économie du pays », réclame le syndicaliste. Il demande aussi à ce que la contribution des défunts au National Pension Fund (NPF) soit remboursée à leurs familles.

Deux versions contradictoires

Le chauffeur de l’autobus accidenté est un habitant de Nouvelle-Découverte, dénommé Nishal Goorapah.

Selon les policiers qui étaient sur le lieu de l’accident et qui ont recueilli la version du chauffeur, celui-ci leur aurait expliqué que le frein de l’autobus a lâché. Il a alors voulu arrêter la folle course du bus en l’emboutissant contre l’abribus.

Une version qui ne cadre pas avec celle des ouvriers bangladais. Plusieurs de ces derniers ont ainsi affirmé à la presse que le chauffeur roulait à vive allure. À un moment donné, ils ont entendu un bruit, et ce serait alors que le chauffeur a lancé aux passagers que les freins du bus ont lâché. Il aurait alors perdu le contrôle du véhicule, qui se serait alors embouti contre l’abribus.

En ce qui concerne l’enquête policière, il semblerait que la police privilégie la thèse d’excès de vitesse, et des précisions sont toujours attendues.

À noter que l’autobus ‘Koushal Travel’ avait un permis de ‘Contract Bus’ (School) (Employees), et était couramment utilisé pour le transport des collégiens.

Le groupe Hyvec avait apparemment fait fi des doléances des employés

La compagnie Hyvec, l’employeur des Bangladais accidentés, est spécialisée dans le domaine de la construction.

Le bus accidenté transportait environ 80 ouvriers bangladais, dont une dizaine était en position debout, ce qui a priori est à l’encontre  de la loi ou des ‘Regulations’ de la NTA.

Selon nos recoupements, les employés de la compagnie avaient, à maintes reprises, attiré l’attention des cadres supérieurs de la compagnie sur le fait qu’on fourguait 80 personnes dans le bus vers le lieu du travail.

La réponse des cadres supérieurs avait été laconique : « Si cela ne pose pas de problèmes au chauffeur, pourquoi cela devait vous poser un problème ? »

La direction de la compagnie  fait ressortir que Hyvec est un employeur responsable et qu’elle considère les employés de la compagnie comme les membres  d’une même famille. De plus, la compagnie fait un suivi sur toute l’affaire et compte apporter son aide et son soutien aux familles des victimes, ainsi qu’une aide psychologique à ceux qui ont été témoins de l’accident.

Un officier des Resources humaines de cette compagnie, que nous avons joint au téléphone, explique qu’aucun montant n’a encore été décidé quant au paiement de la compensation. une réunion est prévue la semaine prochaine, et ce n’est qu’à ce moment qu’un decision sera prise pour tout paiment de compensation, ainsi que pour le quantum de cette compensation.

 

Neevedita Nundowah