Jack Bizlall
Il porte le prénom de l’ami de son père, qui a été tué par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. À 70 ans, Jack Bizlall milite encore et toujours pour les droits des travailleurs. C’est sa vocation, pas question pour ce passionné de justice sociale de jeter l’éponge.
Père de trois filles, cette figure incontournable de la lutte syndicale à Maurice a eu une vie bien remplie. Outre son engagement dans le syndicalisme, il était aussi enseignant du primaire et a siégé comme député du MMM en 1976. La vie de ce septuagénaire a été marquée à jamais par une enfance inhabituelle. Un homme de parole qui tient ses promesses, c’est ainsi qu’il se décrit.
Cet habitant de Beau-Bassin ne peut pas effacer les mémoires de son enfance, qui était marqué par l’absence d’un père, et les ‘meetings’ politiques. Jack Bizlall se remémore ainsi l’époque où les grands ‘meetings’ avaient lieu à la rue Magon à Médine, tandis qu’il jouait aux billes avec ses amis. Toutefois, le jeune Jack Bizlall, alors âgé de 9 ans, prêtait une oreille attentive aux péroraisons des politiciens de l’époque. Les sujets communs étaient alors les élections générales, le coût de la vie, le colonialisme, l’agriculture et l’éducation. « Mon père et mon frère aîné étaient des sympathisants du Parti travailliste », ajoute-t-il. Ce qui explique son intérêt pour la politique et le syndicalisme dès son jeune âge.
Les expériences qu’il a vécues entre 7 et 11 ans ont forgé sa personnalité. Il raconte en particulier quelques anecdotes. « Je me souviens que quelqu’un du PMSD avait apporté dans une boîte, une plante de riz, pour montrer qu’on pouvait planter le riz à Maurice. J’étais impressionné. Le lendemain, j’ai demandé à mon prof si cela était vrai et il m’a répondu que cela fait plus de cent ans qu’on cultive le riz à Maurice. Ce jour-là, j’ai reçu ma première leçon : ne jamais faire une confiance aveugle à qui que ce soit ».
Jack Bizlall n’a pas oublié la punition qu’il avait reçue à l’école primaire pour un larcin qu’il n’avait pas commis. C’est ce qui le poussera à dénoncer toutes les formes d’injustice. Une autre leçon de vie qu’il a reçue, c’était lorsque son enseignant à l’école primaire lui avait fait tourner le dos en classe car ses parents n’avaient pas les moyens de payer ses leçons particulières. Cette épisode a marqué sa vie et depuis, il donne des leçons gratuitement à ses élèves. « La gratuité, l’action d’offrir des choses ou des services gratuitement, font partie de ma philosophie et de ma façon de vivre », dit-il.
Un esprit rebelle
Avec un père absent, le jeune Jack ne subissait pas le joug paternel. Il était libre de prendre ses décisions, mais les justifiait. « Je n’ai jamais dit non à ma mère mais je ne lui jamais obéi non plus ! Quand je lui désobéissais, je lui donnais des explications pourquoi je ne suis pas d’accord », relate-t-il, tout en ajoutant que depuis son jeune âge, il prenait des décisions rationnelles.
Son rêve d’enfant était de devenir prêtre, mais il est devenu enseignant du primaire. Il a travaillé à l’école St. François de Baie-du-Cap et Notre Dame de la Paix. Lorsqu’il a réalisé que ce travail n’était pas fait pour lui, le système éducatif ne favorisant pas l’épanouissement de l’enfant, Jack Bizlall arrête son travail d’enseignant en 1976. D’ailleurs, il a écrit un livre pour dénoncer l’enseignement dit d’assertion, où l’enseignant ne permet pas aux élèves de se servir de leurs esprits critiques.
Syndicaliste et politicien
Ce n’est qu’à la naissance de sa fille aînée Véronique, que son épouse, qui est elle aussi enseignante, le pousse à se syndiquer. Il se dit reconnaissant que cette dernière lui a montré cette voie. Depuis, son engagement dans le syndicalisme a été continuel. De 1972 à 1976, il était au sein de la Federation of Civil Service Union (FCSU). De 1976 à 1980, il sera le fédérateur de la General Workers’ Federation (GWF). Depuis 1980, il est membre de la Federation of Progressive Unions (FPU) et aidera à créer d’autres syndicats, dont la Women’s League for Alternative Feminist Action.
Selon Jack Bizlall, les syndicats ont contribué énormément à l’émancipation de la classe ouvrière à Maurice. « Il n’y a pas un pays au monde où les syndicats ont autant contribué pour les travailleurs. Que ce soit au niveau des salaires, des congés, des conditions de travail, ou de la sécurité de l’emploi, leur contribution est énorme », déclare-t-il.
En 1976, il siègera à l’Assemblée nationale comme député du MMM. Quatre ans plus tard, en voyant la direction idéologique que prend le MMM, il mettra un terme à sa carrière politique et ne cherchera pas à rejoindre un autre parti.
Aujourd’hui, membre du National Minimum Wage Consultative Council, il nous confie que d’ici la fin de l’année, le salaire minimum sera une réalité à Maurice. Ce sera un de ses objectifs, pour lequel il a tant travaillé, qui se concrétisera. Cependant, il précise que tout dépend de la décision du Premier ministre et espère qu’il n’y aura aucune volte-face à ce sujet.
Un intellectuel aimant l’humanité et les Mauriciens
Cet adepte des grands philosophes est constamment à la recherche de nouvelles connaissances. Intellectuel, il veut tout savoir et analyser. Les matières qui le passionnent : la philosophie, la psychanalyse, la cosmologie et l’histoire. Il a toujours mené une vie simple et se contente de ce que Dieu lui a offert. L’humanité dans son ensemble est d’une grande importance pour lui. Il pense que chaque génération doit assumer ses responsabilités pour léguer un monde meilleur aux générations suivantes. Tous, peu importe l’âge, ont un rôle important à jouer pour assurer la survie humaine.
Est-il déçu par les Mauriciens ? « Le Mauricien n’est pas raciste ou individualiste de nature. Il faut mieux se préparer aux changements qui vont venir, mais tout en préservant les côtés positifs de notre mentalité et de nos attitudes. Il ne faut pas succomber à la maladie du pouvoir », déclare-t-il.