« Les fils et filles à papa sont assurés d’être nommés députés »

Interview

Parvez Dookhy, avocat et expert constitutionnel :

  • « Cette réforme consolide et accentue toutes les dérives politiques qui existent depuis l’Indépendance »

Il n’y va pas de main morte pour critiquer la réforme électorale présentée par le Premier ministre Pravind Jugnauth, vendredi. L’avocat et expert constitutionnel Parvez Dookhy trouve que ce projet de réforme rime avec un recul de la démocratie qui créera deux catégories de députés, entre autres. 

Comment qualifierez-vous le projet de réforme électorale tel que présenté par le Premier ministre Pravind Jugnauth ?

Il s’agit d’une négation de la démocratie. Ce n’est plus le peuple seul qui va désigner les élus, mais les chefs de parti ou d’alliance. Ça s’appelle une cooptation, c’est-à-dire ce sont les membres d’un groupe qui désigneront qui en seront les nouveaux membres. Quant à la représentation communautaire issue du Best Loser, le nouveau système va amplifier le phénomène. Nous avons actuellement 3 ou 4 groupes (dépendant de l’inclusion ou pas de la « population générale » en tant que communauté), avec le nouveau dispositif il y aura plus de groupes communautaires et surtout des sous-groupes que les chefs de parti auront tendance à faire représenter. Ils vont aussi créer le député avec mandat impératif. Sous le système actuel, le député a un mandat « représentatif », il représente donc tout le pays, toute la nation mauricienne, avec toute sa liberté de pensée. Il n’est pas astreint à la fidélité à son parti. Avec la réforme, les députés issus de la liste proportionnelle seront contraints de rester fidèles au parti, sauf l’hypothèse où ils seront plus de 5, ce qui correspond à approximativement 50 % ou plus des députés nommés par la direction du parti. Ils vont créer deux types de députés dans une assemblée dite nationale. Cette réforme consolide et accentue toutes les dérives politiques que nous connaissons depuis l’Indépendance.

Cette formule n’est-elle pas antidémocratique puisque les députés nommés suivant cet exercice de repêchage ne reflèteront pas le choix de l’électorat mais celui des leaders des partis politiques ?

La proportionnelle n’a de sens que si, au préalable, les partis politiques fonctionnent de manière démocratique. Là, les fils et filles à papa sont assurés d’être nommés députés. Ou même un chef de parti comme Pravind Jugnauth. N’oublions pas qu’il a été battu en 2005. Il n’a toujours pas véritablement de circonscription sûre. Imaginons qu’il est battu et qu’il s’auto-désigne comme député ! Idem pour les Bérenger, Ramgoolam et Duval.

Cette proposition de réforme ne répond donc pas aux besoins spécifiques de notre pays ?

Non. Elle ne fait que maquiller les maux qui rongent notre paysage politique. Comme on dit, c’est cacher la poussière sous le tapis. Le jeu démocratique a besoin de clarté : il faut abolir le Best Loser System purement et simplement. Quitte à ce que les partis s’assurent, au moment de l’investiture, que les candidats reflètent une certaine représentation informelle de toutes les composantes de la nation, comme cela est pratiqué en Angleterre ou en France.

La plus grande crainte de tout projet de réforme électorale demeure justement le Best Loser System. Son remplacement par les Best Loser Seats garantira-t-il un équilibre ethnique à l’Assemblée nationale ?

En théorie, il n’y a aucune garantie. Puisque les chefs de parti vont pouvoir nommer les députés en toute discrétion. Le critère ethnique/communautaire/religieux n’en serait pas un. Mais selon le gouvernement, les chefs de parti procèderont selon une démarche empirique, ce qui n’est pas certain. Aussi peut-on se demander qui sera le chef de parti qui nommera ses députés en premier et qui sera celui qui nommera les siens en dernier ? Il se peut que le député qu’un chef de parti nomme en premier change l’équilibre ou le déséquilibre ethnique (supposée ou réelle) avec ses nominations. Est-ce que le leader d’un parti qui nommera ses députés en dernier prendra en considération les nominations faites par un autre leader en premier afin de veiller qu’il n’y ait pas de déséquilibre ethnique ?

La question de représentativité des partis politiques n’a pas été tenue en compte. N’est-ce pas là une autre faiblesse que comporte cette réforme ?

Ce projet de réforme pénalise davantage les candidats « indépendants » que les partis politiques. Dans le système actuel, ces derniers sont exclus uniquement de l’attribution des sièges Best-Loser. Par contre, avec la nouvelle réforme, ils seront exclus tant des best-losers que de la représentation proportionnelle. Ce qui fait que, sur le plan de l’égalité, un candidat d’un parti a plus de droit qu’un candidat indépendant. Le principe même de l’élection démocratique, c’est que tous les candidats ont les mêmes droits et chances d’un point de vue juridique. Ce qui n’est pas le cas avec cette nouvelle réforme.

Un Parlement à 81 députés serait-il bénéfique pour Maurice ou est-il synonyme d’un gaspillage des fonds publics ?

L’Assemblée nationale a besoin d’autonomie dans son fonctionnement : une présidence indépendante (avec un droit de recours au chef juge et une décision immédiate si une sanction prononcée est injuste), des sessions parlementaires fixées constitutionnellement et non selon le bon vouloir du Premier ministre, des commissions spécialisées permanentes pour être plus efficace, une grande participation des groupes parlementaires dans la fixation de l’ordre du jour (celle-ci est actuellement la prérogative du Premier ministre en sa qualité de Leader of the House) et l’instauration des « Questions écrites au Gouvernement ». Oui, une nouvelle Assemblée avec 81 membres est bien inutile.

Le projet de réforme fait un black-out total sur le financement des partis politiques. Celui-ci ne devrait-il pas marcher de pair avec la réforme électorale ?

Oui, c’est effectivement une urgence. Car actuellement, avec la complicité des partis de l’establishment, le financement et dépenses des partis se font avec du black money, sans contrôle, sans sanction, sans plafond, ni trace. L’idée de cette réforme, c’est pour consolider le fonctionnement des partis de l’establishment, les entreprises politico-familiales !