[INTERVIEW] Navin Ramgoolam : « La marche n’est qu’un début, d’autres contestations suivront »


Dans l’entretien qui suit, le Dr Navin Ramgoolam, ancien Premier ministre et leader du Parti Travailliste, exprime ses inquiétudes et son écœurement par rapport à la situation qui prévaut dans le pays, balaie d’un revers de la main les appréhensions des uns et des autres sur la question d’un éventuel ‘primeministership’, rassure que les jeunes auront leur place dans un éventuel gouvernement dont ferait parti le PTr, réfute la perception que la marche du 13 février est une action politique et insiste surtout sur la nécessité que le peuple réponde présent en grand nombre à la marche du 13 février à Port-Louis.

Zahirah RADHA

 

Q : Il y a un sentiment presque généralisé de malaise et d’insécurité qui prévaut actuellement dans le pays. Êtes-vous inquiet par cette situation ?

Évidemment que je suis inquiet ! Ce qui se passe actuellement dans le pays est sans précédent. On voit aujourd’hui la pire forme de népotisme, de corruption, d’abus de l’appareil d’état et de manipulation des institutions. Il y a presqu’un « state capture » comme il y en a eu en Afrique du Sud. Le gouvernement accapare tout. Il règne, dans le pays, un climat de terreur où des assassinats politiques sont maquillés en suicide avant que la vérité ne soit découverte. Le ‘law and order’ est ‘enbalao’.

Je vous rappelle d’ailleurs qu’en 2014, ce même gouvernement, alors dans l’opposition, critiquait le ‘law and order’. Que s’est-il passé aujourd’hui ? La drogue fait des ravages parmi les jeunes alors que des policiers enquêtant sur certains cas sont transférés. C’est la catastrophe. C’est affligeant de voir le pays dans une telle situation. Raison pour laquelle on organise la marche du 13 février.

Q : La démission de Nando Bodha du gouvernement et du MSM confirme la décadence du gouvernement, n’est-ce pas ?

Effectivement ! Je pense qu’il est parti à temps. ‘Line réaliser ki Titanic pe coulé’. C’est le commencement de la fin du MSM. Je suis sûr qu’il y en aura d’autres qui vont démissionner quand ils réalisent que c’est la fin du MSM.

Q : Pensez-vous que les mains du Premier ministre sont liées parce qu’il fait lui-même face à de graves allégations notamment dans l’affaire Angus Road ?

Soit il est Premier ministre, soit il ne l’est pas ! D’ailleurs, nous maintenons que les élections ont été truquées. Dois-je vous rappeler qu’il n’avait pas été élu par le peuple la première fois qu’il avait été nommé Premier ministre ? On sait tous comment son père lui avait offert ce poste. La deuxième fois n’était pas mieux puisqu’il y a eu, selon nous, une fraude massive. On verra bien le résultat de la pétition électorale. Mais on voit, en attendant, un pourrissement de la société en général. Pas un seul jour ne passe sans qu’il n’y ait de meurtres, de vols ou de viols. Sans compter les assassinats qui s’accumulent les après les autres. Il y a beaucoup de morts suspectes…

Q : En parlant de morts suspectes, il est beaucoup question, ces jours-ci, de bandes organisées et de mafia. Est-ce justifié ou exagéré, selon vous ?

Je ne pense pas que ce soit exagéré. L’affaire Kistnen en est un exemple. Si Mme. Kistnen n’était pas venu de l’avant avec ses avocats dits les Avengers, on n’aurait pas découvert que sa mort n’était pas un cas de suicide, comme l’enquête policière l’avait initialement conclu, mais un assassinat. La mort de Kanakiah est également suspecte. Il est prétendument mort noyé alors que les avocats ont révélé que, selon le rapport post-mortem, il n’y avait pas d’eau dans son poumon. À cela s’ajoute aussi le présumé suicide d’une secrétaire du PMO qui habite la circonscription no. 8. Ce qui est très drôle.

La mort soudaine du secrétaire du board de la STC qui gérait tous les documents de cet organisme vient allonger cette liste. Il y a également beaucoup d’interrogations sur la mort de Manan Fakoo alors que celle de Marcelin Humbert est aussi douteuse. Il faut que la police fasse son enquête, mais toutes ces morts nous poussent à nous poser des questions. Dois-je aussi faire ressortir que la policière Dimple Raghoo n’aurait pas dû mourir ? Combien de morts aurons-nous encore ? C’est un gouvernement qui est clairement acculé et qui est prêt à tout…

Q : Le Premier ministre, qui est responsable du ‘law and order’, abdique-t-il de ses responsabilités ?

C’est clair qu’il n’assume pas ses responsabilités.

Q : Pourquoi pas une motion de blâme contre lui ?

Une motion de blâme, s’il y en a, ne servira pas à grande chose puisqu’il a une majorité parlementaire.

Q : Il y a une perception à l’effet que l’Opposition n’est pas suffisamment active sur le terrain. Qu’en dîtes-vous ?

C’est faux. Nous tenons régulièrement des réunions bien qu’elles ne soient pas médiatisées. J’étais d’ailleurs au no. 10 jeudi. Nous faisons un travail de fourmi, mais sans aucune publicité. On ne dévoile pas sa stratégie politique.

Q : Le Reform Party (RP) de Roshi Badhain vient de rejoindre le regroupement de l’Opposition. Entre quatre partis et quatre leaders ayant tous de fortes personnalités, comment arrivez-vous à trouver un terrain d’entente malgré vos différences ?

Il ne faut pas confondre l’arbre et la forêt. La légitimité de ce gouvernement est contestée par toute l’opposition. Cette dernière s’accorde à dire que le gouvernement a truqué les élections. ‘Avec so coquin tou, line gagne zis 28% votes’. Ainsi, le plus essentiel à ce stade, c’est de rassembler toutes les forces de l’Opposition pour faire partir ce gouvernement. Tout le reste viendra après.

Q : Mais est-ce que tout va comme sur des roulettes entre les quatre partis ou y a-t-il quand même certains couacs ?

Je vous l’ai dit, le but, c’est de rassembler toutes les forces de l’opposition pour faire partir ce gouvernement illégitime. Il nous faut une nouvelle île Maurice. Il y a beaucoup de changements à faire. Je parle de rupture depuis 2019. Il est grand temps de le faire.

Q : Les PTr-MMM-PMSD-RP se sont-ils déjà concertés sur les grandes lignes de cette politique de rupture ?

Non. À ce stade, on n’est pas dans une alliance quelconque. C’est une entente cordiale avec un seul but : sauver le pays de ce gouvernement mafieux et corrompu. Le PTr s’en tient plus ou moins à son manifeste de 2019 quoiqu’il y ait d’autres choses qu’on voit qu’il faut changer. Cela concerne aussi des changements constitutionnels.

Q : Vous savez sans doute qu’il y a, au sein même de ce regroupement, des appréhensions concernant l’éventuel ‘primeministership’. Cette question a-t-elle déjà été évoquée ?

On l’a effleuré en passant. Mais elle n’est pas d’actualité pour l’instant. La priorité, c’est de se débarrasser de ce gouvernement mafieux et corrompu. Le reste viendra après.

Q : La jeunesse se retrouvera-t-elle dans cette équation quand viendra l’heure fatidique ?

Un parti qui ne se renouvelle pas signe sa fin. J’ai dit, dans mon message de fin d’année, qu’on travaille sur le renouvellement du parti et qu’on prépare la relève. Les jeunes auront leur place. Mais j’insiste aussi à dire que l’expérience est un facteur essentiel. Vous n’avez qu’à voir cette bande de voyous sans expérience qui est censée gouverner le pays mais qui n’arrive même pas à le gérer pour comprendre la nécessité qu’il y ait des gens d’expérience dans un gouvernement.

Q : Quel est l’objectif que l’opposition veut atteindre à travers la marche du 13 février ?

Posez-vous une question : est-ce que le peuple est satisfait de la situation actuelle ? La réponse est un NON catégorique. Ils ne devraient donc pas rester les bras croisés. Le plus grand danger, c’est l’indifférence du peuple. Nous avons le devoir de ratisser large et d’emmener le maximum de personnes possible pour que le gouvernement comprenne qu’il lui faut partir. On ne peut pas permettre que le pays s’enfonce davantage dans l’abîme. ‘Si nous atane, pays fini net’.

Q :  Cela a été ‘business as usual’ pour le gouvernement après la marche du 29 août dernier. Celle prévue samedi prochain pourra-t-elle provoquer un déclic qui le fera fléchir ?

‘Pravind Jugnauth et Teeluck ti dire zot kapave marse marsé kantité nou envi, zot pou continuer’. Ils sont tellement bêtes qu’ils ne réalisent pas que, dans une vraie démocratie, c’est le peuple, et non pas la ‘Government House’, qui détient le vrai pouvoir. C’est pour cela qu’il nous faut réveiller le sens du patriotisme des Mauriciens.

Il ne faut pas qu’on s’arrête à cette marche. Il faudra augmenter les contestations, un droit qui est garanti par la Constitution, pour leur faire comprendre que ‘enough is enough’. La marche de Bruneau Laurette était un début que nous relançons maintenant.

Q : À quel genre de contestations faites-vous référence ?

Je ne veux pas dévoiler nos stratégies pour l’instant. Mais je le redis, aucun gouvernement ne peut résister à la contestation du peuple. Le printemps arabe en est un exemple concret.

Q : Croyez-vous que le peuple soit suffisamment éveillé pour de grandes contestations sachant que le contexte dans lequel la marche du 29 août avait été tenue était différent de la situation actuelle ?

Si le peuple choisit de rester dans son coin, la situation se dégradera jusqu’à ce que Maurice soit complètement pourri. C’est pour cela qu’il est primordial que le peuple réponde présent à cette marche. Je crois dans le pouvoir des Mauriciens de se surpasser. Partout où on va aujourd’hui, le peuple réalise la différence entre moi, quand j’étais Premier ministre, et l’actuel titulaire du poste, en dépit de leur campagne de ‘character assassination’ contre moi. ‘Tou pe retombe lor zot zordi’. C’est impérieux que la population comprenne cette nécessité d’être présente le 13 février.

Q : Lancerez-vous un ultimatum au gouvernement ?

Aucun leader de parti ne prendra la parole, sauf le leader de l’Opposition au nom des partis de l’opposition et Bruneau Laurette au nom des autres groupes qui seront présents, et cela uniquement pour guider la foule au début de la marche et ensuite pour les remercier à la fin. Il n’y aura pas de meeting.

Q : N’est-ce pas une erreur stratégique, comme cela avait été le cas en août dernier ?

Ce n’est pas une erreur. La marche citoyenne organisée par Bruneau Laurette était claire. Il n’y a jamais eu auparavant 150 000 personnes qui  sont descendues dans les rues, surtout pour protester contre un gouvernement qui venait supposément de gagner aux élections il y a tout juste un an. C’est une autre preuve que les élections ont été truquées.

D’autres groupes ont organisé des marches, mais elles étaient moins conséquentes. Je tiens à rappeler que nous avions nous-mêmes tenu un meeting à Saint Pierre en décembre. Maintenant, on reprend les mouvements de contestations qui est un droit légitime.

Nous devrons poursuivre avec des stratégies qui nous permettra d’obtenir le résultat escompté. Il n’y aura pas d’ultimatum car le gouvernement détient une majorité. Au PTr cependant, nous avons un plan pour accentuer la pression et pour faire partir le gouvernement. Un plan alternatif que je ne souhaite pas dévoiler pour l’instant.

Q : Il y a une certaine réticence parmi les Mauriciens pour participer à cette marche car elle est considérée comme une action politique et non citoyenne. Que leur répondez-vous ?

Je leur demande de savoir faire la différence entre l’arbre et la forêt. Notre action ne relève pas de la politique. Le but n’est pas de savoir quelle position occupera X ou Y. Le but, c’est de déloger ce gouvernement pourri. Il n’y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Q : Un appel au public ?

Je demande au public d’oublier leurs couleurs et leurs affinités politiques car ce n’est pas important. Ce qui est important par contre, c’est d’empêcher que le pays ne s’enfonce dans l’abîme. Dieu nous a donné un esprit pour raisonner, alors raisonnons. Je m’attends à ce que chaque patriote ait un sursaut, réalise ce qui se passe dans le pays et répond présent pour que le pays ne s’enfonce pas davantage dans l’abime. S’il reste indifférent, il ne faudra pas se plaindre après.