Questions à…Jean-Marie Richard  « SAJ n’était pas le seul artisan de l’autonomie »

  • « En dépit de l’autonomie, la chaine de décision administrative est demeurée comme à l’époque coloniale et ne remplit pas ses fonctions de facilitation au service du développement, notamment en faveur de l’émergence d’un secteur privé source de création de richesses, d’emplois et de progrès socioéconomique et financier »

Jean-Marie Richard, consultant en communication et relations médias et observateur averti de la politique et des enjeux stratégiques de Rodrigues, fait le point sur la polémique entourant les célébrations des 20 ans de l’autonomie de l’île.

Q : Les célébrations des 20 ans de l’autonomie de Rodrigues, marquées entre autres par l’inauguration du SAJ Square à Port Mathurin, se sont tenues sur fond de contestations. Pourquoi ?

SAJ est d’abord le Premier ministre qui avait présenté le ‘Rodrigues Regional Assembly Bill’ au Parlement et c’est légitime que Rodrigues lui exprime une forme de reconnaissance. Mais il n’était pas le seul artisan de l’autonomie. C’est le projet de l’OPR et de Serge Clair depuis la création de ce parti. C’est aussi le résultat des travaux de la commission Ahnee sur le plan juridique et constitutionnel. L’autonomie porte aussi l’empreinte d’Antoinette Prudence, également membre de la commission Ahnee. Et ‘last but not least’, l’autonomie porte l’empreinte du soutien indéfectible du MMM et de Paul Bérenger.

Il y a aussi le fait que cette décision a été prise en isolation. Certes, elle a été présentée au Conseil exécutif, mais sans aucune consultation populaire, et en l’absence d’une motion à l’Assemblée régionale. Et pour couronner le tout, la cerise sur le gâteau, c’est que personne n’était au courant à Rodrigues jusqu’au vendredi précédant la cérémonie, et ce à travers le compte rendu du Conseil des ministres. Voilà le cadeau de circonstance pour marquer les 20 ans de l’autonomie. En plus, il y a eu des grincements de dents de la part du Mouvement Indépendantiste Rodriguais en raison du manque de consultation entre les membres de l’alliance qui a provoqué des étincelles et le retrait momentané de cette formation des travaux de l’Alliance. La mécanique a connu un raté dont les conséquences risquent d’être importantes.

Q : Vous reprochez donc au gouvernement central et régional d’avoir commis un outrage vis-à-vis de l’Histoire ?

C’est plus un constat : le manque de communication des uns par rapport à un évènement majeur concernant Rodrigues et le passage sous silence des contributions d’autres personnalités, qui constitue, à mon avis, une faute par rapport au sens de l’histoire. Heureusement que l’action des 79 pétitionnaires de 1915 réclamant une meilleure représentation des Rodriguais au Conseil colonial a été reconnue, de même que les contributions des Rodriguais tels que Daniel André, France Félicité et Marioline Spéville et d’autres amplement méritants ont été reconnus quand leurs noms ont été octroyés à des espaces publics.

Mais par rapport à l’évènement qui nous concerne, il y a eu un voile opaque qui peut donner lieu à des spéculations quant aux motivations profondes des uns et des autres. Il est dommage que ce soit à travers un communiqué du Conseil des ministres que le public a pris connaissance du projet qui a été conçu visiblement en catimini et n’a fait l’objet d’aucune consultation et communication ouverte, transparente et sereine. C’est grotesque en ces 20 ans de commémoration de l’autonomie de l’île, et surtout une polémique et des crispations qui auraient pu être évitées sur fond de quasi non-respect des principes et de l’esprit de l’autonomie.

Q : SAJ a pourtant été présenté comme le Père de l’autonomie rodriguaise…

Il a présenté le projet de loi certes, mais le Parlement central l’a adopté à l’unanimité. Cette loi porte l’empreinte de Serge Clair, d’Antoinette Prudence, de Robert Ahnee et de Paul Bérenger, surtout pour ce qui est de l’introduction d’une dose de proportionnelle afin de corriger les effets pervers du ‘First Past the Post’. Comme je l’ai dit, SAJ a été porteur du texte de loi instituant le ‘Rodrigues Regional Assembly Act’ et il a toujours témoigné un intérêt certain pour l’île, mais il a aussi eu des propos dans le ton et son style habituel qui n’ont pas encore été délayées par le temps dans l’esprit des Rodriguais.

Q : Quel bilan faites-vous du développement de Rodrigues depuis ces 20 dernières années ?

Il y a certainement une plus grande sérénité dans le processus de prise de décision sur le plan local. Auparavant, même pour l’achat d’un clou à la quincaillerie du coin, il fallait se référer au ministère des Infrastructures publiques à Port-Louis. L’autonomie a renouvelé et a élargi l’espace du débat démocratique sur l’île à travers le Conseil régional. Les décisions majeures concernant Rodrigues sont prises sur place et il y a une obligation de transparence et de débat sur les orientations internes de l’île.

Sur le plan infrastructurel, l’île a beaucoup progressé. Reste la sempiternelle question du captage, du stockage et de la distribution de l’eau, de la revalorisation des secteurs traditionnels comme la pêche, l’agriculture et l’élevage qui sont au point mort. Celle de la génération de richesses et de revenus permettant à l’Assemblée régionale de se procurer les moyens financiers de son développement, de la connectivité aérienne et maritime qui sont toujours dépendants de Maurice.

Il y a matière à aller plus loin et plus en profondeur pour relancer avec plus de sérénité le sentiment d’appartenance à la République qui est sujet à un questionnement grandissant. Il faut pour cela une approche systémique des réformes, car en dépit de l’autonomie, la chaine de décision administrative est demeurée comme à l’époque coloniale et ne remplit pas ses fonctions de facilitation au service du développement, notamment en faveur de l’émergence d’un secteur privé source de création de richesses, d’emplois et de progrès socioéconomique et financier.